Myriam Levain, journaliste et auteure française, a créé Stay Tunes, une page Instagram qui met en avant les visages et les histoires de juifs tunisiens.
Elle s’est livrée au HuffPost Tunisie dans une interview où elle raconte la genèse du projet et ses ambitions.
HuffPost Tunisie : Pouvez-vous nous en dire plus sur qui vous êtes?
Myriam Levain : Je m’appelle Myriam, j’ai 37 ans, j’habite à Paris, je suis française et juive. J’ai co-fondé il y a cinq ans CheekMagazine et dedans j’écris surtout sur les femmes.
Ma grand-mère était juive tunisienne, et elle m’a beaucoup parlé de la Tunisie. J’ai réalisé que je connaissais très mal son histoire. L’année dernière, je suis venue à Tunis avec mon frère qui, lui, n’était jamais venu. Je voulais en savoir plus sur mon héritage. J’ai cherché des adresses, essayé de trouver des documents, de mettre des images sur mon histoire en fait. On a trouvé beaucoup plus de matière que ce qu’on imaginait. Ça a été un déclic. Je me suis rendue compte que mon histoire personnelle rejoignait une histoire beaucoup plus collective.
Qu’est ce qui a motivé la création du compte Instagram ?
Pour moi, c’était avant tout une quête personnelle sur mon identité, mes origines. J’ai d’abord fait des recherches: j’ai lu des livres, visionné des documentaires. Quand j’ai commencé à réfléchir à Stay Tunes je me suis aperçue qu’il y avait un réel décalage dans ma génération, en France, là où une grosse partie de la communauté juive tunisienne réside désormais, entre le fait d’être fier de ses racines, de revendiquer son identité juive et de n’être jamais allé en Tunisie et de ne pas ou peu connaître l’histoire de cette communauté.
Du côté tunisien, je ressens aussi cette mouvance: René Trabelsi a été nommé ministre, la pièce de théâtre Juif de Hamadi Louhaibi, le film Papa Hedi qui raconte le parcours d’une femme qui essaie de retrouver les traces de ses aïeuls en Tunisie… J’ai aussi fait la rencontre à Tunis de Moché Uzan, un jeune tunisien juif qui veille à l’archive et la sauvegarde de la mémoire juive tunisienne. Il a été comme un miroir, dans le sens où il reflétait réellement dans son travail la volonté que j’ai de rétablir cette mémoire.
Ce n’est pas par hasard à mon avis. Il y a un désir collectif de réhabiliter l’histoire.
Pourquoi avez-vous choisi Instagram comme plateforme ?
Je fais partie de la génération réseaux sociaux. J’ai du temps libre et Instagram m’a permis de me lancer très rapidement, sans contrainte externe. J’ai juste besoin de mon téléphone pour prendre une photo, recueillir le témoignage et poster. Il y a une forme d’instantanéité et de proximité dans ce réseau qui me donne accès à ma génération.
Comment choisissez-vous les personnes qui apparaissent sur le compte?
J’essaie d’avoir des témoignages très variés. Le format est court donc je suis à la recherche de quelque chose qui n’a pas déjà été dit. Je pars du principe que tous les témoignages sont intéressants, je les vois comme les mille reflets d’une histoire commune. J’essaie de mettre en avant aussi bien les hommes et les femmes qui ont vécu en Tunisie, que ceux qui ont 25 ans et n’ont jamais mis les pieds ici, ceux qui sont très religieux et ceux qui sont plutôt laïcs, ceux qui ne connaissent que la gastronomie, d’autres que les livres.
À quoi aspirez-vous à travers Stay Tunes ?
Ce qui m’intéresse, c’est l’actualité du sujet, ce qu’il y a à raconter aujourd’hui, sur comment vit cette minorité, quels sont les héritages qui ont été transmis.
Moi qui pensais qu’en France, les juifs étaient minoritaires, que dire de Djerba et Tunis! Cela me rend un peu triste qu’il en reste si peu, par rapport à 60 ans en arrière. Je veux voir comment la Tunisie va préserver cette histoire, sortir du folklore, car malheureusement, ils seront forcément minoritaires dans mes témoignages. Depuis que je suis là, je remarque que les gens sont curieux vis-à-vis de cette histoire, ils considèrent que c’est une force pour la Tunisie d’avoir cette mixité, ce multi-culturalisme, assez unique dans le monde arabe. À mon sens il faut le valoriser, c’est un atout.
Est-ce que vous essayez de faire écho à l’actualité et aux polémiques de ces derniers mois en France?
Le hasard a fait que j’ai lancé le compte au moment où on a vu naître des événements relatifs à ce sujet en France. J’étais mitigée, je n’ai jamais vraiment écrit sur ce sujet-là, en France je ne suis pas identifiée là-dessus et je n’en ai jamais parlé publiquement. En même temps, je me dis qu’il est important de prendre la parole et de faire entendre une voix de curiosité et d’ouverture entre les différentes communautés. Il y a des communautés juives en Tunisie, au Maroc, et pourtant en France, il y a cette idée aberrante que les arabes et les juifs ne peuvent pas s’entendre. À force de propager ce cliché, ça dresse réellement les juifs et les arabes les uns contre les autres. (Qui se dresse contre qui en fait???)
Il existe vraiment entre les deux, une histoire partagée, des traditions communes, il faut le montrer: on peut être juif et arabe ou de culture orientale en tout cas. Je pense que c’est nécessaire de faire entendre une voix qui n’est pas teintée de peur ou d’hostilité. C’est une instrumentalisation politique qui me fait très peur. En France, nous sommes tous français avant tout, on partage certaines traditions et bien sûr qu’il y a des différences, mais cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas s’entendre.
Quels sont vos futurs projets ?
Je travaille sérieusement à l’élaboration d’un documentaire sur le sujet, notamment sur la jeune génération. Il me faut évidemment d’abord des producteurs et des financements, ce qui n’est pas forcément simple. Les termes “juif” et “arabe” font peur en France. Ça sera manifestement différent de ce qui est sur Instagram aujourd’hui. Je pense que c’est faisable, il n’y a aucune raison pour que je n’y arrive pas.
Avez-vous une anecdote à livrer sur votre expérience à Tunis ?
Ce qui est génial, c’est que ce voyage, en plus d’être un projet professionnel, est très actuel et lié à ma vie personnelle. Hier, j’ai fêté Pourim (une fête qui célèbre la délivrance miraculeuse des juifs d’un grand massacre, ndlr) pour la première fois en Tunisie! Pour moi c’est un voyage très important et enrichissant, qui prouve que cette vie-là existe encore.