L’enseignement supérieur, reflet de la société, n’est pas un rempart contre l’antisémitisme. Un sondage Ifop fournit pour la première fois des chiffres éloquents.
Ces derniers mois, plusieurs événements inquiétants avaient mis en émoi le monde universitaire : comme le saccage du local de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) sur le site de Paris I-Tolbiac, en mars 2018 ; ou, la même année, cette inscription sur les murs de l’université Grenoble-Alpes, soupçonnée de viser son président, Patrick Lévy (« La rentrée, ça gaze(ra) ? ») ; ces tags (croix gammées, mot Juden écrit au marqueur) découverts dans une salle de cours d’HEC à Jouy-en-Josas (Yvelines) ; sans oublier la plainte, le 20 octobre dernier, de cette étudiante en médecine de Paris XIII (Seine-Saint-Denis) qui affirme avoir été victime de « harcèlement à caractère antisémite » au sein de sa fac…
Des cas isolés ? Combien de jeunes sont-ils confrontés à des propos, des injures ou des agressions antisémites derrière les murs des écoles et des universités française ? Quelle est l’ampleur des préjugés et des stéréotypes véhiculés dans le cadre étudiant ? Une vaste enquête Ifop, réalisée à la demande de l’UEJF en mars 2019 – « le regard des étudiants sur l’antisémitisme » – donne enfin des éléments de réponse. Cette étude est constituée de deux volets : Le premier concerne le ressenti et le vécu des étudiants dans leur ensemble (échantillon de 1007 personnes représentatives de la population étudiante française). Le second concerne le ressenti et le vécu des étudiants de confession ou de culture juives (405 personnes). L’Express vous livre, en exclusivité, ses principaux enseignements.
Question : Dans le cadre de votre vie étudiante (cours, vie associative étudiante, soirée…) avez-vous déjà été victime de l’un des actes suivants ?
89% des étudiants juifs interrogés affirment avoir été victimes d’au moins un acte antisémite (injure, agression, blague « potache » sur la Shoah, stéréotype) au cours de leurs études. « Dans un souci de coller au plus près de la réalité du terrain, nous avons comparé ces réponses à celles données par des étudiants non juifs. Or, 45% de ces derniers disent, pour leur part, avoir assisté à au moins un acte antisémite au cours de leurs études. Ce qui donne une idée de l’ampleur du phénomène », explique Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l’Ifop.
Question : Comment avez-vous réagi ?
Parmi les étudiants juifs qui affirment avoir été un jour victimes d’actes antisémites, seulement 1 % déclarent avoir porté plainte, 8 % ont procédé à un signalement auprès de l’administration de leur université ou école, 19% n’ont rien dit par peur de représailles et 58 % ont tenté de régler la situation directement avec les personnes concernées. « Cela montre le décalage abyssal entre le discours officiel, qui proclame que tout acte antisémite doit faire l’objet d’une plainte, et la réalité du terrain », affirme Frédéric Dabi.
Question : Êtes-vous d’accord ou pas d’accord avec les affirmations suivantes ?
63 % des étudiants interrogés estiment que « les juifs sont injustement attaqués quand les choses vont mal ». L’Ifop les a également questionnés sur différents stéréotypes : 22% pensent que « les juifs sont plus riches que la moyenne des Français », 18% que « les juifs utilisent dans leur propre intérêt leur statut de victimes du génocide nazi pendant la Seconde guerre mondiale », 17% que « les juifs ont trop de pouvoir dans le domaine de l’économie et de la finance »…. « Ils sont tout de même moins nombreux à adhérer à certains de ces stéréotypes, comparé à la moyenne des Français, fait remarquer Frédéric Dabi. Cela peut s’expliquer par le fait que le niveau d’études des sondés est plus élevé que la moyenne. »
Question : Connaissez-vous le référent racisme et antisémitisme de votre université ?
Après les attentats de Charlie Hebdo, en 2015, des référents racisme et antisémitisme avaient été nommés dans les établissements du supérieur. On en compte aujourd’hui 150 sur tout le territoire. Problème, 88% des étudiants interrogés n’en ont jamais entendu parler. Confrontés à un manque de visibilité, de moyens, de formation, de manque de structuration… ces référents peinent à s’imposer comme des recours. Un vade-mecumrecensant les outils et les procédures juridiques à leur disposition leur sera bientôt distribué. Une vaste campagne serait également prévue. Comme le prouve cette enquête de l’Ifop, il est grand temps.