Nouvelle terre promise pour la Tech française, qui vient s’y acclimater, Israël a fait de l’innovation sa meilleure planche de salut. Dans ce pays à la tradition probusiness, universités et pôles d’excellence offrent une oasis fertile à mi-chemin entre la Chine et les Etats-Unis. Derrière ce petit miracle, l’aiguillon de l’armée et une R&D très poussée.
Le vendredi 22 février, à 3 h 45, heure de Jérusalem, une fusée Falcon 9 a décollé du pas de tir de Cap Canaveral, en Floride, embarquant un petit véhicule baptisé Beresheet. L’appareil de moins de 600 kilogrammes est la fierté de tout un peuple. Si tout se passe bien, il se posera sept semaines plus tard pour une mission d’exploration sur la Lune. Et Israël, petit pays de 9 millions d’habitants, deviendrait la quatrième nation à avoir posé un engin sur le satellite unique de la Terre. Les trois ingénieurs à l’origine de ce projet fou sont les seuls rescapés du concours Google Lunar X-Prize lancé en 2007.
Ils ont levé 100 millions d’euros pour concevoir ce véhicule doté d’un minimum de redondances, donc très léger. Et beaucoup moins cher qu’une mission classique. Le programme est aussi nettement plus risqué. Mais la seule alternative était de ne rien faire. Pour les Israéliens, cette histoire est une allégorie de leur écosystème d’innovation.
Constance politique
Au niveau national, cet univers hightech représente aujourd’hui 8 % des emplois, près de 10 % du PIB et 49 % des exportations. Un dynamisme qui repose, pour une très large partie, sur son incroyable tissu de près de 6 000 start-up, soit environ 1 pour 1 450 habitants. « Depuis les années 1960, les gouvernements successifs ont maintenu une politique constante d’investissement dans la recherche et développement et l’entrepreneuriat », explique Boaz Golany, vice-président du Technion, l’université polytechnique de Haïfa. Les dépenses en R&D représentent plus de 4,5 % du PIB, sans compter les crédits alloués aux militaires, qui jouent un rôle fondamental dans l’innovation et la formation des élites scientifiques. Un petit miracle économique qui stimule, depuis plusieurs années, l’immigration française. En une décennie, ce sont près de 28 000 Français qui ont fait leur alyah.
Cette machine à innover est très largement alimentée par l’Innovation Authority, organisme placé sous l’autorité directe du Premier ministre. Celle-ci finance aussi bien les start-up que les PME ou les grands groupes, pour des projets portant une réelle avancée technologique. Il ne s’agit ni de prêts ni de prises de participation : si le projet réussit, l’emprunteur rembourse la somme en versant de 3 % à 5 % de son chiffre d’affaires annuel. « Nous donnons l’argent là où nous pensons qu’il y a un gros potentiel mais qu’il y a défaut du marché », explique le docteur Ami Appelbaum, président et chief scientist de l’autorité. Cette manne est également abondée par des financements étrangers. Sur les 6,5 milliards de dollars levés par la tech israélienne l’an dernier, 58 % ne venaient pas d’Israël.
Et les investissements directs s’accélèrent, notamment en provenance des Etats-Unis. La multinationale de semi-conducteurs Intel, qui compte déjà deux importantes installations et quelque 12 000 salariés dans le pays, a récemment annoncé un nouvel investissement de 10 milliards de dollars pour la construction d’une troisième usine dans le sud. Le groupe californien a également frappé très fort en faisant l’acquisition, en 2017, de Mobileye, à Jérusalem, spécialiste des systèmes anticollisions et des dispositifs pour les futurs véhicules autonomes. Montant de l’opération : 15,3 milliards de dollars, un record pour l’industrie hightech israélienne.
Une opération loin d’être isolée. « Nous sommes agiles et rapides, nous aimons changer d’endroits, nous réinventer, mais notre mentalité n’est pas de développer des grands groupes », décrypte Ornit Kravitz, partner du fonds d’investissement Guez Partners. Le pays voit ainsi régulièrement lui échapper certaines de ses plus belles pépites, dans tous les compartiments de jeu : l’appli de navigation Waze, reprise par Google pour 1,15 milliard en 2013, le fabricant de machines à gazéifier les boissons Sodastream, racheté par PepsiCo pour 3,2 milliards en 2018, ou encore Frutarom, producteur de saveurs et de parfums, raflé pour plus de 7 milliards par l’américain IFF.
Ultra-connecté avec le monde des affaires américain, l’écosystème israélien s’est aussi beaucoup rapproché de la sphère chinoise depuis quelques années. « Ils ne s’intéressent pas à l’immobilier, mais ils regardent de près les technologies, l’agriculture ou les systèmes de des salinisation de l’eau », observe Yaïr Shamir, fils de l’ancien Premier ministre Yitzhak Shamir, ex-ministre de l’Agriculture et cofondateur de Catalyst Fund. Lui-même a appris à collaborer avec ces nouveaux alliés : plus de 50 % du fonds qu’il a monté en 2014 est constitué d’investisseurs chinois, avec en tête Everbright, firme de Hong-kong. Depuis quelque temps, la guerre commerciale entre Washington et Pékin complique la donne mais, à l’instar de Yaïr Shamir, entrepreneurs et investisseurs veillent à ne pas collaborer avec la Chine sur des technologies sensibles, comme la cybersécurité.
Faiblesses structurelles
Sur toutes ces composantes, la start-up nation est scrutée avec intérêt depuis une bonne dizaine d’années par la France, qui cherche elle-même à structurer son écosystème. « Mais ce modèle est fragile : le secteur high-tech ne représente que 8 % à 10 % du PIB et le reste n’est pas terrible », rappelle l’historien Elie Barnavi, ancien ambassadeur d’Israël en France. Il pointe notamment du doigt les infrastructures de transport, gros point noir. Le pays se range parmi les nations les plus embouteillées.
« Israël, champion du monde hightech, vient seulement de se doter d’un train reliant Jérusalem à Tel-Aviv en vingt minutes… mais qui ne fonctionne pas », déplore l’ancien diplomate, qui stigmatise aussi le système éducatif, générateur selon lui de beaucoup d’inégalités. Les géants américains de la tech captent aujourd’hui l’essentiel des talents issus des trois grandes universités du pays, à coups de salaires mirobolants attisant une flambée des prix à Haïfa ou Tel-Aviv. La capitale économique se classe aujourd’hui au neuvième rang des villes les plus chères du monde. En dehors de la tech, le salut est incertain en terre promise.