Yaakov Baruch est le rabbin de l’unique synagogue d’Indonésie, mais comme la plupart des membres de la petite communauté juive du pays que compte la plus importante population musulmane au monde, il se fait discret et porte rarement la kippa.
Il y a quelques années, alors qu’il déambulait dans un centre commercial avec son épouse enceinte, un groupe d’hommes l’a menacé de mort et traité de « fou juif ». Il ne porte désormais sa kippa qu’en lieu sûr. « Ça ne s’est plus jamais produit parce que j’ai choisi de dissimuler mon identité juive en public », explique-t-il à l’AFP.
La discrétion est de mise pour la plupart des quelque 200 juifs qui vivent encore dans le pays d’Asie du Sud-Est fort de 260 millions d’habitants dont plus de 90% de musulmans.
Manado, dans le nord de l’île de Célèbes, est l’un des rares endroits d’Indonésie où une petite communauté vit toujours sa foi au grand jour. Les juifs de Manado, qui se comptaient par milliers avant la Seconde guerre mondiale, sont pour l’essentiel des descendants de marchands venus d’Europe ou d’Irak.
Une imposante menorah de 19 mètres, le chandelier à sept branches qui est l’un des principaux objets de culte du judaïsme, surplombe la ville de Tondano, à quelque 20 kilomètre de Manado, où se trouve la petite synagogue de Yaakov Baruch.
Fort sentiment antisémite
La synagogue Shaar Hashamayim de Tanado est la seule qui subsiste en Indonésie après que celle de Surabaya, deuxième ville du pays, a été détruite en 2013. Cible de manifestations anti-Israël pendant des années, cette dernière avait été fermée par les fondamentalistes religieux en 2009 et laissée à l’abandon.
Si l’Indonésie a longtemps cultivé une forme d’Islam tolérant, l’influence des fondamentalistes se renforce et la population musulmane devient plus conservatrice. Les tensions entre Israël et les Palestiniens rencontrent beaucoup d’écho dans la majorité musulmane et ont accentué les divisions entre religions.
Ainsi, quand le président Donald Trump a annoncé l’an dernier sa décision de déménager l’ambassade des Etats-Unis à Jerusalem, des milliers de manifestants sont descendus dans la rue. « Il y a un fort sentiment antisémite en Indonésie ». Et « généralement, les Indonésiens ne font pas la distinction entre les juifs et Israël« , souligne le rabbin.
« Ils pensent que les juifs et Israël sont les ennemis de leur religion et de leur pays ». « On ne peut pas nier que la tolérance recule dans notre pays », déplore-t-il. La taille modeste de la communauté rend les juifs quasi invisibles dans le pays et ils n’ont pas été ciblés par des groupes islamistes radicaux, comme d’autres minorités religieuses plus importantes.
La série d’attentats à la bombe contre des églises à Surabaya l’an passé rappelle cependant la menace qui pèse sur les minorités religieuses, tandis que les chiites et les ahmadis — considérés par certains musulmans comme hérétiques — ont été aussi visés par des attaques.
Pas d’existence légale
Mais les juifs d’Indonésie sont tout de même sur le radar de certains groupes. Monique Rijkers, qui a tenté de réconcilier les communautés avec une émission télévisée sur le judaïsme, s’est attirée la colère de l’Association des étudiants musulmans.
« Ils ont demandé que je soit licenciée et que l’émission soit déprogrammée », explique la fondatrice de l’association Hadassah d’Indonésie, qui offre des programmes culturels centrés sur Israël, les juifs et l’Holocauste.
Les juifs d’Indonésie font face aussi à des difficultés pratiques, comme celle de trouver de l’alimentation cachère, quasi inexistante dans le pays. Et alors que la constitution indonésienne ne reconnaît que six religions — l’islam, le protestantisme, le catholicisme, le bouddhisme, l’hindouisme et le confucianisme — le judaïsme n’a pas d’existence légale.
Pour obtenir une carte d’identité, nécessaire pour avoir accès aux services publics, la plupart des juifs doivent mentir et se déclarer chrétiens. Même les musulmans qui s’intéressent au judaïsme suscitent l’hostilité.
Sapri Sale, s’est passionné pour l’hébreu qu’il a appris à l’étranger depuis les années 1990. Il a publié ce qu’il présente comme le premier dictionnaire hébreu-indonésien, et a commencé il y a un an à enseigner la langue à Jakarta. Mais il a subi beaucoup de critiques. « On m’a appelé Sapri le juif« , explique-t-il.