Ce n’est pas un scoop : il y a des quartiers de Paris et de sa banlieue où il ne fait pas bon être juif. Et le phénomène prend une ampleur inquiétante. Trois articles du Parisien sur ce sujet brûlant.
Exil à l’ouest et au sud de Paris
La majorité des départs forcés ont lieu dans les quartiers populaires franciliens, en particulier de Seine-Saint-Denis, du Val-de-Marne et du Val-d’Oise. « Dans certaines villes, il y a eu des engagements inutiles pro-palestiniens de la part d’élus. La population croyait bon d’être solidaire au point de s’en prendre parfois à la communauté juive », dénonce Sammy Ghozlan, président du Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme. Sur place, les synagogues se vident. L’une d’elles, à Saint-Denis, a même fermé ses portes.
Les pôles d’attraction se situent, eux, dans la capitale, mais aussi dans la banlieue ouest comme Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) et sud de Paris à l’instar de Vincennes et Saint-Mandé (Val-de-Marne).
« Ce n’est pas seulement de l’entre-soi communautaire, c’est aussi de l’entre-soi économique et culturel. Ceux qui ont les moyens déménagent vers les quartiers plus chics, comme d’autres Français », nuance la sociologue Martine Cohen, chercheuse émérite au CNRS.
Strasbourg, destination privilégiée
À Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), le rabbin Chalom Lellouche a constaté « un développement exponentiel » ces derniers temps de nouveaux arrivants désireux de « vivre normalement leur judaïsme sans être inquiétés, agressés, humiliés… » « Mais Levallois, c’est cher. Il y a des familles qui n’avaient pas prévu d’engager autant de frais pour le loyer. Alors elles emménagent dans un deux-pièces au lieu d’un F3 auparavant. Qu’on choisisse de vivre à Levallois, c’est bien. Mais qu’on soit obligé d’y vivre, ça, je le regrette. Être contraint de partir nous contraint de créer des ghettos », souligne-t-il.
Sans être forcément visées par les attaques antisémites, certains foyers optent pour la mobilité afin de mieux s’épanouir sur le plan religieux. Strasbourg est une destination privilégiée. « On accueille 40 à 50 familles d’Île-de-France chaque année depuis quatre ans, souvent de jeunes couples avec enfants. Elles trouvent ici une certaine quiétude. La communauté juive y est superbement bien structurée et intégrée à la vie de la ville », décrit Maurice Dahan, président du consistoire israélite du Bas-Rhin.
LE MOT. Alya intérieure
Apparue il y a environ trois ans, l’expression « alya interne » désigne le phénomène de déplacement, en France, de familles juives qui, face à la haine antisémite, quittent leur quartier pour s’installer dans un autre où elles estiment être davantage en sécurité. Elle fait référence au mot hébreu « alya » signifiant littéralement « ascension » ou « élévation spirituelle » et consistant, pour la diaspora juive, à aller vivre en Israël. L’« alya interne », « alya intérieure » ou encore « petite alya » est une appellation utilisée par une partie de la communauté juive (dont certains de ses responsables) mais contestée par une autre. Cette dernière considère qu’elle est inappropriée d’un point de vue sémantique car l’alya est « un accomplissement, un projet de vie souhaité » et non pas « une contrainte, un départ forcé ».
le 17e arrondissement de Paris, nouveau refuge pour les juifs
C’est un peu la nouvelle Terre promise hexagonale ! Ces dernières années, le XVIIe arrondissement de Paris a accueilli de nombreuses familles juives souhaitant vivre pleinement leur foi avec le sentiment de se sentir protégées et d’être à l’abri des menaces antisémites. Pour beaucoup, ces nouvelles populations viennent d’autres arrondissements de la capitale, notamment du populaire XIXe, mais peu de banlieues.
« Il y a approximativement 45 000 juifs, c’est la plus importante communauté de France et même d’Europe. Les différentes couches sociales sont présentes car c’est un quartier avec des appartements aux loyers très élevés et d’autres abordables », décrypte Murielle Gordon-Schor, adjointe (LR) au maire du XVIIe en charge, notamment, de la mémoire et vice-présidente du consistoire israélite de Paris. Selon son évaluation, un habitant sur quatre dans le XVIIe est de confession juive.
« Il y a beaucoup de diversité, des loubavitch, des libéraux… », précise-t-elle. « Il n’y a pas une communauté mais plusieurs groupes qui se fréquentent », constate la sociologue Martine Cohen. C’est dans ce quartier qu’ouvrira ces prochains mois le Centre européen du judaïsme, comprenant notamment une grande synagogue.
« On compte aujourd’hui une quinzaine de lieux de culte et plusieurs dizaines de boutiques cacher. Quand je suis arrivée en 1983, il n’y avait que deux restaurants cacher », se souvient l’élue Murielle Gordon-Schor. « Ici, c’est un cocon. Les nouveaux arrivants ont peut-être perdu en surface de logement mais ils ont gagné en sérénité », résume Garry Levy, patron de la boucherie Berbeche.
Témoignage : «A la fin, on en a marre d’être victime et on s’en va»
Lior, la trentaine, et sa femme ont quitté leur commune du Val-de-Marne, meurtris par la haine et les insultes antisémites de leurs voisins.
C’est, pour lui, une « impression de défaite face à l’antisémitisme, un sentiment de lassitude, l’impression d’avoir abandonné, d’avoir baissé les bras, d’avoir aussi été lâché par les autorités locales ». « Mais à la fin, on en a marre d’être victime, on ferme les yeux et on s’en va », confie Lior.
Il y a quelques mois, ce trentenaire, analyste économique, et son épouse entrepreneuse ont quitté leur logement en proche banlieue cossue du Val-de-Marne, meurtris par les attaques antisémites d’un couple de retraités habitant dans leur immeuble. Ils ont emménagé dans une commune voisine.
« Une alya contrainte et forcée, juste pour survivre, mais aussi un grand soulagement », résume ce fils de rabbin. Comme eux, des milliers de juifs en quête de tranquillité et de sécurité ont quitté leur quartier ces dernières années, pour trouver refuge dans un autre, où ils espèrent ne plus être pris pour cible en raison de leur confession.
Retour en arrière, vers ce que Lior considère comme « l’enfer ». Quand il achète en 2017 son appartement, le trentenaire, qui a toujours pu vivre sa foi comme il l’entendait, est loin de se douter qu’il va devoir affronter la haine. « J’étais dans une super ville avec une forte communauté juive, où tout se passait bien », décrit-il.
« Les problèmes ont démarré quand on a mis la mezouzah », explique le jeune marié, faisant référence à l’objet de culte juif fixé au chambranle de la porte d’entrée d’une demeure. « Ma femme a commencé par se faire insulter derrière la porte, par la fenêtre, par deux personnes âgées qui répétaient les mots : juif ! Juif ! Juif ! Elle était aussi traitée de sale pute », raconte-t-il.
« Ces voisins voulaient nous empêcher de faire shabbat. Tous les vendredis soir, ils mettaient la radio à fond, c’était du tapage nocturne, du harcèlement pour qu’on craque », affirme-t-il. « Au début, on parlait à voix basse avec les amis qu’on conviait autour d’une belle table. Mais petit à petit, on n’invitait plus personne, je ne mettais plus la kippa dans la résidence. Lors de shabbat, on essayait de passer le moins de temps possible chez nous, on allait chez les parents et beaux-parents », poursuit-il.
Au fil des semaines, le duo continue d’être la cible d’un « antisémitisme primaire et sournois, dans la théorie du complot, lié à une faiblesse culturelle et intellectuelle ». « C’était : Vous les juifs, vous n’êtes pas Français, Vous les juifs, vous avez le pouvoir… Pour eux, le juif est un étranger, une sous-catégorie qu’on tolère mais qui doit faire le dos rond. Ils prenaient soin de ne pas laisser de traces écrites pour ne jamais tomber sous le coup de la loi », dénonce celui qui adore son pays et verse souvent une larme quand « la Marseillaise » retentit.
À plusieurs reprises, il alerte le commissariat. « Les policiers sont venus les voir mais ça n’a rien changé », regrette-t-il. « On était partagé entre le faut qu’on résiste et le faut qu’on parte. Finalement, au bout d’un an de tensions permanentes, on est partis », souffle ce grand costaud. L’appartement dont ils sont propriétaires est alors mis en location. Ils en louent un autre à quelques kilomètres de là. Le traumatisme reste vif.
« Ma femme ne peut pas en parler, elle pleure à chaque fois », regrette-t-il. Lior n’exclut pas de s’exiler un jour aux États-Unis ou en Australie, par exemple. « Si j’ai une opportunité de vivre mieux ailleurs mon judaïsme, en toute sérénité, pourquoi je me priverais ? Je suis sceptique sur la qualité de vie pour un juif en France, sur le bonheur d’être juif ici », conclut-il.
Sources leparisien, leparisien et leparisien