En août 2018, un coup de fil renvoie Raymonde Fontateau 74 ans en arrière. «Une femme m’a demandé si je me souvenais que je faisais travailler des enfants qui ne pouvaient pas aller à l’école en 1943. Elle a continué en disant : ils sont à côté de moi. Je suis restée sans voix !»
Comment aurait-elle pu oublier Colette et Gérard Sattinger, ces petits Juifs accueillis chez elle avec leur mère Rachel plusieurs semaines en 1944 ? Eux n’ont jamais oublié Raymonde, son mari Roger, et plus largement la famille Fontaneau. Et pour cause : ils leur doivent la vie. Pour cette raison, ils ont contacté Yad Vashem, l’organisme qui honore les personnes ayant aidé les Juifs afin que le titre de Juste soit attribué à Raymonde et son mari Roger. Après plus d’un an d’enquête, leur requête a abouti.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, comme des milliers de personnes, Colette et Gérard risquent la mort pour le simple fait d’être nés Juifs. Après la rafle du Vel d’Hiv en juillet 1942, ils trouvent refuge chez une tante à Toulouse, puis s’installent dans un appartement rue Alfred de Musset. Lorsque les Allemands envahissent Toulouse, par mesure de précaution, Colette 9 ans, et Gérard, 8 ans, ne vont plus à l’école. «Leur mère cherchait quelqu’un pour les faire travailler. Ma mère était institutrice, je pense que c’est pour ça qu’elle est venue me voir», explique Raymonde. La jeune femme de 19 ans accepte de devenir leur professeur. «Ma mère me donnait des livres pour les faire travailler. Je me rendais chez eux trois fois par semaine et leur donnais des cours de calcul, d’histoire, de grammaire, etc. Ils étaient très mignons, mais on voyait qu’ils avaient souffert.» Comme tous les Juifs, ils ont progressivement vu leur situation se dégrader. Victor, le mari de Rachel est arrêté en mai 1941. Interné pendant 14 mois, il sera déporté et assassiné à Auschwitz en 1942.
Raymonde donne des cours aux enfants entre septembre 1943 et juin 1944. À l’été 1944, la traque s’intensifie. En juillet, des policiers arrêtent leur voisin, Juif lui aussi. Rachel ne doit son salut qu’à une confusion : les agents la prennent pour la propriétaire de la villa. La jeune femme et ses enfants se rendent alors chez la seule personne de confiance qu’ils connaissent : Raymonde. «Madame Sattinger m’a confié les enfants, elle m’a expliqué qu’elle était obligée de quitter sa maison.» Raymonde n’hésite pas une seconde et les accueille chez elle, elle tient toutefois à préciser qu’elle l’a fait avec l’aide de toute sa famille. Les enfants passent la journée à lire et à travailler. «C’était une période difficile, seuls les Allemands avaient une voiture. Dès qu’on en entendait une dans la rue, on se demandait si elle allait s’arrêter devant la maison.» Finalement, la libération arrive, et la famille retrouve Paris à la fin de l’année 1944. Les échanges épistolaires se raréfient, et chacun se perd de vue, jusqu’à l’été dernier.
Un mois après le coup de fil de Yad Vashem, Colette et Gérald retrouvent leur bienfaitrice à Toulouse. «Nous nous sommes embrassés, j’étais très heureuse de les revoir ! Nous avons échangé des souvenirs, des lettres et des photos. Mes fils les ont accompagnés jusqu’à leur ancienne maison», sourit Raymonde, les yeux pétillants. Cette fois, les adieux étaient temporaires. Elle reverra ses anciens élèves lundi. Pour ses actions, cette grand-mère de six petits-enfants sera honorée lors d’une cérémonie à la salle des Illustres, à Toulouse. Son mari Roger sera médaillé à titre posthume. Bien sûr, Raymonde est ravie de cette reconnaissance, mais également surprise de cet honneur. «Je n’ai jamais pensé que tout ce que j’avais fait valait la peine.» Pourtant, combien comme elle, ont eu le courage de tendre la main ?