Chez Grasset, la psychanalyste psychologue clinicienne et le documentariste publient « La main du diable », une enquête à la fois historique et journalistique sur la relation que le parti de Jean-Marie Le Pen et ses descendants entretiennent avec les Juifs de France.
Ils ont sillonné la France. Toute la France, car malheureusement, l’extrême droite est partout, du nord au sud, dans les villages comme dans le plus grand arrondissement de Marseille. Marine Le Pen a perdu l’élection présidentielle mais a-t-elle réussi à faire sauter le dernier verrou qui pèse sur le parti de son père : l’antisémitisme ?
« Bruno Gollnisch s’est toujours posé la question : « faisons-nous 15% grâce à ce type de saillies ou sommes nous bloqués à 15% à cause de ce dérapage » (p.158). La saillie dont parle le député européen est la phrase tristement célèbre que Le Pen père prononce en 1987 au micro d’RTL, au sujet des Chambres à gaz : « Je n’ai pas spécialement étudié la question, mais je crois que c’est un point de détail de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale ».
Entre le père et la fille, des années, puis une discorde qui l’amènera à l’exclure du parti et récemment à changer le nom du Front National – ironie de l’histoire – en Rassemblement National, premier nom pensé par des antisémites notoires (Bousquet, Brigneau…) Cela, les auteurs le prouvent extrêmement bien dans une première partie qui rafraîchit la mémoire. Le FN a été fondé par des ardents collaborateurs.
Le livre interroge alors la filiation. Que garde la fille du père ? L’inconscient parle pendant la campagne et l’image démocratique éclate : Marine Le Pen déclare « La France n’est pas responsable du Vel d’hiv » (P. 175).
Jonathan Hayoun et Judith Cohen Solal circulent dans ce brouillard installé entre l’électoralisme pragmatique et l’antisémitisme héréditaire. On apprend, un peu sonnés que Jean-François Jalkh, qui assure la présidence du Front pendant la campagne de 2017, a des sympathies nazies plutôt rétro. Les auteurs le citent : « Il a aussi déclaré qu’il était impossible d’un point de vue technique d’utiliser le gaz Zyklon B dans les exterminations de masse » (P.181)
Au cœur du livre, entouré par l’histoire puis le présent, les auteurs nous offrent une incroyable enquête de terrain. lls ont parlé aux maires FN de chaque ville et ont interrogé en même temps les responsables des communautés juives locales. L’effroi pointe face à une résignation. Par exemple, à Hayange, pour sauver le carré juif du cimetière, les Juifs finissent par accepter le dialogue avec Fabien Engelman.
Comment composer avec son ennemi naturel ? Ce que montre ce livre essentiel, c’est qu’il n’y a aucune évidence. En interrogeant philosophes, institutionnels et spécialistes de l’extrême droite, les auteurs tentent de savoir si oui ou non des juifs ont non seulement tendu leurs mains au diable, mais continuent de marcher amoureusement avec lui.
A lire pour le savoir, pour se souvenir aussi que les fondations ne sont jamais sans conséquence. Un essai salutaire qui ose explorer les porosités des frontières idéologiques.
Judith Cohen Solal, Jonathan Hayoun, La Main du Diable, Grasset, 192 pages, janvier 2019, 17€