Comme de nombreux journalistes israéliens, Amy Spiro a reçu récemment un message sur son compte Twitter lui annonçant un scoop. En réalité, il s’agissait de l’une des nombreuses « fake news » contre lesquelles Israël tente de lutter en pleine campagne électorale.
Le message contenait un lien vers un site reproduisant la page officielle de l’université de Harvard aux États-Unis. Le site affirmait que le ministre de la Défense israélien Avigdor Lieberman avait démissionné car il était lié avec le renseignement russe.
« Je n’y ai pas prêté attention, jusqu’à ce que je remarque que beaucoup d’autres gens en parlaient », rapporte la journaliste, qui couvre la culture et les médias pour le quotidien israélien Jerusalem Post.
Le compte Twitter dont émanait le message, créé sous le nom à consonance juive de Bina Melamed, était un faux, localisé en Turquie. Il illustre les tentatives, dont Israël est victime à son tour, visant à manipuler l’opinion sur internet avant les élections législatives du 9 avril, en propageant des « fake news » grâce à des réseaux de comptes fictifs.
Ces « bots » sont des comptes programmés pour diffuser des messages automatiques. Face à la menace, des diplomates, hackers et programmeurs israéliens ont joint leurs forces en une insolite coalition pour identifier ces comptes et les faire supprimer des réseaux sociaux. Quatre journalistes israéliens ont néanmoins publié le « scoop » de Bina Melamed.
Objectif : polariser
« Nous avons bloqué (cette fausse information) en 24 heures en contactant directement » ces quatre journalistes, assure Elad Ratson, diplomate à la tête de l’unité de recherche et développement du ministère des Affaires étrangères, fer de lance de la lutte contre les « bots ».Si ceux qui fabriquent les « fake news » souhaitent influencer la campagne électorale, ils cherchent également à « polariser encore davantage la société israélienne et miner la confiance des électeurs dans le processus démocratique », expliquent dans un récent article Itai Brun et David Siman-Tov, chercheurs à l’Institut pour les études sur la sécurité nationale, un centre de réflexion basé à Tel-Aviv.
Les autorités restent discrètes sur les instigateurs de ces attaques, États ou autres, et sur l’intérêt – stratégique, politique, voire commercial – qu’ils ont à troubler le déroulement des élections dans un pays qui compte de nombreux ennemis.
En janvier, Nadav Argaman, le chef du puissant service israélien de sécurité intérieure (Shin Beth), avait mis en garde contre une cyberattaque de la part d’un État étranger contre le processus électoral, selon des propos retransmis par une chaîne de télévision privée.
Depuis le moment où la perspective d’élections anticipées s’est précisée, en novembre, « nous avons identifié cinq tentatives étrangères de désinformation dont le niveau de sophistication indique qu’un État étranger est impliqué », affirme M. Ratson.
Les Affaires étrangères et le Shin Beth ne nomment personne. Le Premier ministre Benjamin Netanyahu a pour sa part déclaré mardi qu’Israël déjouait « tous les jours » des cyberattaques de la part de l’Iran, grand ennemi de l’État hébreu, sans en préciser la nature exacte. Noam Rotem, hacker indépendant qui traque de telles activités sur la toile, cite, lui, sans hésiter l’Iran, l’Arabie saoudite et, « nous en sommes presque certains, la Russie ».
Le « fake » devient réel
En 2015, le ministère israélien des Affaires étrangères a décidé de réunir un premier panel d’experts. Les accusations d’ingérence russe dans la campagne présidentielle américaine de 2016 l’ont poussé à intensifier ses efforts.
Dans un pays qui se proclame volontiers en pointe dans le domaine de la cybersécurité, le Shin Beth dispose d’une unité importante en la matière. Mais ce sont les Affaires étrangères qui dialoguent officiellement avec les géants des réseaux sociaux. Ces derniers « n’aiment pas traiter avec les États », mais acceptent plus facilement de travailler avec des diplomates, explique M. Ratson.
Deux Israéliens travaillant avec lui, Sharel Omer et Ran Margaliot, savent identifier les réseaux de « bots », qui restent souvent inactifs… jusqu’au moment où ils passent tous ensemble à l’action. Pour ces « bots », l’objectif est de faire quitter aux « fake news » les réseaux sociaux Twitter et Facebook pour les emmener dans le monde « traditionnel » de l’information, analyse Sharel Omer, qui a fondé avec M. Margaliot l’entreprise Commun.it, spécialisée dans la gestion de comptes sur les réseaux sociaux. Une fois reprise dans un journal sérieux, « la “fake news” devient réelle », souligne-t-il. Sharel Omer et Ran Margaliot surveillent les comptes qu’ils soupçonnent d’être des bots. Si leurs doutes sont confirmés, ils réunissent ensuite des preuves contre eux, qu’ils présentent à Twitter afin que le réseau social supprime ces comptes. À ce jour, les deux experts sont parvenus à causer la suppression de centaines de comptes, affirme Sharel Omer.