L’octogénaire Lisette Jovignot a raconté sa vie de miraculée de la Shoah aux élèves du collège Jeanne-d’Arc d’Orléans. Un récit bouleversant, les invitant « à toujours demeurer dans la compréhension humaine, et dans la bienveillance… »
Lundi 28 janvier, Lisette Jovignot, 83 ans, était dans les murs du collège Jeanne-d’Arc d’Orléans, après avoir quitté ceux du Cercil-Musée mémorial des enfants du Vel d’hiv, où se tenait, le midi, une cérémonie en hommage aux victimes de la Shoah.
L’octogénaire a ainsi conté sa vie face à une cinquantaine d’élèves, accrochés à ses lèvres. Il leur revient, aujourd’hui, « de faire passer le message » suivant :celui « de toujours demeurer dans la compréhension humaine, et dans la bienveillance ». Le contraire de ce que devait connaître Lisette, quand survint la Guerre 1939-45. Elle n’avait alors pas cinq ans.
Face à la progression de l’armée allemande, « ma famille part en exode, quand j’ai cinq ans ». On est alors en 1940, quand celui-ci les conduit dans le département des Deux-Sèvres, « où l’on fait la connaissance d’une famille qui va jouer un rôle déterminant dans ma vie ». La famille Dupont.
« Moi, j’étais heureuse de prendre l’autobus… »
1942. La guerre est bien entamée et la famille Haskowiez, celle de Lisette, est revenue vivre dans cet immeuble parisien se trouvant au-dessus « du commissariat de quartier, dit de la Goutte-d’Or. La veille de la rafle du 16 juillet (1942), mon père est informé que celle-ci va avoir lieu. Avec mon oncle, ils partent se cacher, ne s’imaginant pas un instant que la rafle concernerait toute la famille ».
C’est ainsi que, depuis sa cachette, l’oncle de Lisette assiste au départ pour le Vel d’Hiv de toute sa famille. « Mon père s’est alors précipité chez nous, mais nous avions été emmenés le matin. Je ne garde que peu de souvenirs de cet épisode. Je me rappelle cependant que, dans l’autobus nous conduisant au Vel d’Hiv, ma mère pleurait. Je me demandais bien pourquoi, moi, j’étais heureuse de prendre l’autobus. »
La taille de l’équipement, le bruit, la lumière dans le Vel d’Hiv…, tout est conté aux collégiens par Lisette, qui va très vite tomber malade, alors enfermée dedans, avec sa mère Rachel et sa grande soeur Margot. La varicelle s’avèrera « être le miracle de ma vie. Car ils ont eu peur de la contagion… »
La petite fille est donc transférée à l’hôpital Rothschild. Une information qui arrive aux oreilles de sa tante « ayant obtenu la naturalisation pour elle et ses deux fils. Elle n’a donc pas été inquiétée par la rafle ».
Avec son père, se croyant sous protection du commissariat de la Goutte-d’Or, ils se précipitent alors à l’hôpital. Ma tante parvient à convaincre le médecin de me laisser sortir. » Lisette précise aux élèves que, dans le livre Blouses blanches et étoiles jaunes (paru en 2000), il est fait état d’une cinquantaine d’enfants juifs conduits à l’hôpital Rothschild depuis le Vel d’Hiv. Seuls 26 en auraient finalement été exfiltrés.
« Jamais ma famille d’adoption n’a caché que j’étais juive »
« Une fois sortie de l’hôpital, ma tante m’envoie en train dans les Deux-Sèvres, où vivaient les Dupont qui avaient quatre enfants. J’ai passé deux ans dans leur ferme. Et le plus étonnant, c’est que, jamais, ma famille d’adoption n’a caché que j’étais juive. Dans cette ville, je suis allée à l’école sous mon vrai nom. J’ai d’ailleurs retrouvé récemment le registre scolaire dans lequel figure mon nom, à côté de celui du fils de la famille, Yves Dupont. Durant ces deux années, je vais aussi à la messe. Je suis au sein d’une famille aimante. Gaston et Lucienne Dupont me considèrent comme leur fille. Protégée par eux, je n’ai ni froid, ni jamais faim. »
Un rayon de soleil perce par la baie vitrée de la salle polyvalente du collège orléanais. Il tombe sur la joue de Lisette. « Vous savez, j’ai longtemps hésité à raconter mon histoire, mes souvenirs. Car je n’ai pas souffert physiquement à cette époque. »
Son père ne reviendra jamais de Drancy
Arrive 1944. Et la Libération. « Ma tante, qui s’était repliée dans l’Aveyron, où elle était Résistante, vient me chercher dans les Deux-Sèvres ». Quelques mois plus tôt, le père de Lisette (qui avait échappé à la rafle) est envoyé au camp de Drancy. Il n’en reviendra jamais.
« J’ai appris plus tard qu’il avait été arrêté par le commissaire de La Goutte-d’Or, qui nous avait promis sa protection », explique l’octogénaire. Lisette a donc vécu un an à Rodez (Aveyron) avec sa tante, avant de revenir à Paris, en 1945. Elle a alors dix ans. « Là, on retrouve l’appartement de mes parents. Vide. »
La guerre est maintenant totalement achevée. Lisette vit avec sa tante, « qui finance mes études et me donne tout son amour. Jusqu’à ce que je la quitte, au moment de me marier. J’ai bien entendu présenté mon mari à la famille Dupont. Une famille que je n’ai jamais quittée. Mon enfant allait même chez elle en vacances. Cette famille est extraordinaire et c’est ce qui explique qu’elle n’a jamais cherché à cacher mon nom, ni mes origines juives. Et, surtout, qu’elle n’a jamais été inquiétée. Vous savez pourquoi ? »
« Non », disent les collégiens. « Car ces gens-là, les Dupont, étaient très aimés au village, à tel point que personne n’aurait jamais pu les dénoncer. » Les Dupont avaient le coeur bon à ce point qu’il eut été un sacrilège de leur faire du mal, en déduit Lisette, encore dans l’émotion et le rayon de soleil.
Leur bonté, leur immense humanité, voilà ce qui poussa, en 2017, Lisette Jovignot à demander à ce que Gaston et Lucette soient fait Justes parmi les nations, à titre postume. Ils le devinrent en décembre 2018.
« Cette famille est le miracle de ma vie, avec la varicelle », aime répéter Lisette, qui semble presque s’excuser, quand elle précise aux élèves « ne pas avoir d’histoire de camps de concentration à vous raconter. Je vous apporte juste le témoignage d’une enfant qui a traversé la guerre. Mais, vous savez, c’est plus tard, quand on est en âge de réaliser que l’on est orpheline, que la souffrance se fait sentir ».A-t-elle jamais quitté Lisette depuis ? Rien de moins sûr… Ce lundi après-midi, un nuage passe. Le rayon de soleil sur sa joue disparaît. Lisette adresse le plus beau de tous les sourires aux adolescents venus l’écouter. Merci.