A la synagogue de Rennes lors de la journée nationale de la Shoah Philippe Strol, fils de déporté, était présent. Il raconte comment cette mémoire a été transmise dans sa famille.
C’est un petit pavillon, non loin du parc des Gayeulles. Sur l’un des murs de la pièce de vie, il y a cette belle photo de famille d’un autre temps, en noir et blanc, les gens sont élégamment vêtus. C’est le souvenir d’un mariage, un jour heureux. « Tous ont été déportés au camp d’extermination d’Auschwitz. C’est la seule photo qui m’est parvenue de ma famille. Mon père, Alexandre, est le petit garçon, en bas à droite, montre Philippe Strol. Seuls lui et Judith, l’une de ses deux sœurs, ont survécu à la déportation. »
Rennais depuis quinze ans, Philippe Strol, 55 ans, sera dimanche à la synagogue du centre Edmond J.Saffa, où l’association culturelle et cultuelle israélite de Rennes organise une cérémonie pour commémorer « la journée de la mémoire de la libération du camp d’Auschwitz-Birkenau et des crimes contre l’humanité ».
« Mon père ne laissait pas filtrer grand-chose »
Comment l’histoire de la Shoah, l’extermination systématique et industrielle des juifs par l’Allemagne nazie a-t-elle été transmise dans sa famille ? « À part le tatouage de déporté qu’il avait sur son bras, il ne laissait pas filtrer grand-chose de ce qu’il avait vécu,concède Philippe Strol, qui a découvert une part de son histoire familiale dans un livre (1). Et je ne me souviens pas lui avoir demandé un jour. Comme beaucoup de déportés, c’est dans les années 1990 que la parole s’est libérée, qu’il a commencé à témoigner de ce qu’il avait vécu ».
Ses grands-parents, Isaac et Ethel, vivaient en Transylvanie, à la frontière de la Roumanie et de la Hongrie. Le petit Alexandre est né en 1929, dans une ferme. « Mon grand-père avait repris un commerce d’eau de Seltz. Mon père Alexandre se souvenait des longues promenades en voiture tirée par un cheval. »
En mai 1944, toute la famille est arrêtée puis déportée vers le camp d’extermination d’Auschwitz. « Le nombre de déportés juifs hongrois, dont ma famille faisait partie, s’est élevé à 424 000 personnes, en l’espace de huit semaines seulement » .
« Le respect de la dignité humaine »
Isaac et Ethel sont tués presque dès leur arrivée, dans une chambre à gaz. Le jeune Alexandre sera gardé pour travailler dans des mines, dans des conditions effroyables. « Il ne sera pas libéré à la libération du camp d’Auschwitz, mais à Buchenwald. »
Il a essayé, en vain, de retrouver la trace de sa famille en Roumanie et, après une longue période d’errance, s’est établi en France. C’est en région parisienne qu’il rencontre, en 1960, celle qu’il épousera. « Il apprendra que sa sœur Judith était encore en vie. Elle était revenue en Roumanie jusqu’en 1961, avant de partir pour Israël. »
Si cette histoire familiale a longtemps été tue, ce qu’Alexandre Strol a transmis n’a pas été vain. « Le respect envers les autres, le respect de la dignité humaine. C’était vraiment l’essentiel, son moteur de vie, se souvient Philippe Strol. Dans les années 1990, le négationnisme et le révisionnisme ont redonné de la voix. Quand mon père a commencé à témoigner, auprès des jeunes notamment, c’était devenu une nécessité pour lui. »
(1) À la vie ! Les enfants de Buchenwald du Shtetl à l’OSE , 2005, Fondation pour la mémoire de la Shoah.