Pour un Belge sur deux, l’hostilité envers les Juifs n’est pas un problème dans son pays. Trois sur dix considèrent que nier la Shoah n’est pas, non plus, un problème. Ces données correspondent à la moyenne des 28 Etats de l’Union européenne, où l’on constate une recrudescence des actes antisémites, en particulier sur les réseaux sociaux. Cela se traduit dans les faits. Plus d’une centaine d’actes antisémites ont été commis l’an dernier en Belgique.
Une neige drue et piquante tombe sur les cars de police et les militaires en faction devant le Musée juif de Belgique. À l’entrée, le service d’ordre est sur les dents, on le comprend. Il y a près de cinq ans, un terroriste islamiste déboulait dans les locaux armés d’un pistolet, d’un fusil d’assaut et massacrait froidement quatre personnes.
À quelques mètres du musée, le suspect, Mehdi Nemmouche répond devant la justice belge de ce crime qui fut le prélude à d’autres actes de folie s’abattant sur la capitale.
Au même moment, dans le musée, la commissaire européenne à la Justice, Vera Jourova, égrène les dispositions prises depuis les attentats de 2014 et 2016 pour lutter contre l’antisémitisme. En même temps, elle révèle les derniers résultats de l’étude Eurobaromètre sur la perception de l’antisémitisme réalisée auprès de 27.643 personnes.
On ne peut pas dire que grand-chose ait changé dans l’esprit des Européens depuis les vagues d’attaques terroristes. À cinq jours de la Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste, les chiffres font froid dans le dos. Pour quatre Européens sur dix, la haine à l’encontre des Juifs n’est pas un problème dans son pays.
L’étude montre de véritables fossés entre les populations européennes. En Suède, l’antisémitisme est considéré comme un problème par 81% des répondants. En France (72%) et en Allemagne (66%), le taux est élevé. En Belgique, par contre, seule une personne sur deux considère que l’antisémitisme est un problème.
Neuf juifs sur dix voient l’antisémitisme s’accroître
Autre chiffre inquiétant. Dans la communauté juive, neuf personnes sur dix ont le sentiment que l’antisémitisme s’est accru ces cinq dernières années. Par contre, au sein de la population européenne non-juive, à peine 36% des répondants constatent une croissance de l’antisémitisme.
Cette prolifération de l’antisémitisme provient en grande partie des réseaux sociaux, où pullulent les agressions verbales envers les Juifs et les incitations à passer à l’acte sur fond de complotisme. La commissaire Vera Jourova fait un lien entre cet état de fait et le terrorisme. « Les théories de la conspiration sont l’expression même du terrorisme. Nous sommes réellement confrontés à de nombreuses menaces en relation avec la conspiration en ligne », dit-elle.
La hausse de l’antisémitisme va de pair avec l’émergence de partis d’extrême droite dans plusieurs pays européens, en particulier en Autriche, en Italie et en Bulgarie où ils sont au pouvoir. L’Autriche, qui vient de présider l’UE, est dirigée par une coalition intégrant le FPÖ, un parti fondé par un ancien général SS. « Le développement des partis d’extrême droite en Europe est une évolution dangereuse », affirme Vera Jourova, « mais en ne faisant que regretter cela, on ne changera jamais rien. Nous devons oeuvrer à des législations qui réduisent l’anxiété et le sentiment d’insécurité ».
Parmi les initiatives prises par la Commission Juncker, un groupe de travail sur l’antisémitisme réunissant des experts européens a été créé mardi pour mettre en oeuvre la Déclaration sur l’antisémitisme récemment signée par les 28, dans laquelle ils s’engagent à lutter contre l’antisémitisme.
L’éducation, antidote à l’antisémitisme
L’antisémitisme se traduit dans les faits. En 2018, plus d’une centaine d’actes antisémites ont été commis en Belgique. C’est plus que l’année précédente. « Nous constatons une augmentation des actes antisémites », reconnaît Philippe Markiewicz, le président du Consistoire Central Israélite de Belgique, « mais je refuse de voir la Belgique comme le deuxième pays le plus antisémite d’Europe, comme l’ont affirmé certains médias. Le problème est suffisamment grave pour que certains ne l’exagèrent pas ».
Pour Philippe Markiewicz, l’éducation est le meilleur antidote à l’antisémitisme. Là aussi, il reste du travail. L’étude Eurobaromètre révèle que 68% des Européens se disent non informés des coutumes et pratiques juives, alors que seuls 3% se disent très bien informés, par contre, les personnes comptant des juifs parmi leurs proches sont plus sensibles au sentiment et aux actes antisémites, de même que ceux appartenant à des minorités.
« Le problème, c’est qu’à peine 20% des Belges connaissent personnellement des Juifs« , dit Pascale Falek, directrice du Musée juif de Belgique, « cela s’explique par le fait que nous ne sommes que 30 à 40.000 juifs en Belgique ».
« Vous en faites trop avec la Shoah »
Depuis l’attentat de 2014, le Musée juif de Belgique a accru ses efforts d’éducation visant à mieux faire comprendre le judaïsme à la population belge. « L’antisémitisme tue encore dans l’Europe d’aujourd’hui », affirme Pascale Falek, « l’attentat du Musée juif de Belgique étant une attaque visant les Juifs, mais aussi la culture et la démocratie ».
Après l’attaque, la direction a voulu rouvrir le musée le plus vite possible. « Nous ne voulions pas être considérés comme un mémorial, mais, au contraire, renforcer notre rôle de place de savoir, d’ouverture et de dialogue. » Un workshop de deux heures permet de confronter les visiteurs à la question de l’antisémitisme. « Tout le monde s’exprime, parfois des choses sortent, des reproches du genre ‘vous en faites trop avec la Shoah' », poursuit-elle.
Expositions, ouverture du musée au monde musulman, organisation de l’Aïd al-Fitr, la sortie de jeûne du Ramadam, au musée, contacts avec l’exécutif du musulman… Le Musée juif a tout fait pour contrer le message de haine asséné par le terroriste. Et conjurer la peur.