Amanda Sthers dépeint, avec rire et émotion, la complexité des liens familiaux dans son film « Holy Lands », en salles le 16 janvier. Porté par James Caan et Rosanna Arquette, le long-métrage est adapté de son propre roman : « Les Terres Saintes ». Le Journal des Femmes a rencontré l’écrivaine et réalisatrice, qui se confie sur « son bébé ».
Amanda Sthers observe le silence au sein d’une famille, dans son film Holy Lands, en salles le 16 janvier, à travers l’histoire d’Harry Rosenmerck, un cardiologue qui s’installe en Israël pour élever des porcs et communique avec son ex-épouse et leurs deux enfants uniquement de façon épistolaire. Le long-métrage, adapté de son propre roman épistolaire Les Terres Saintes, est porté par un casting alléchant et sublimé par la poésie de l’écriture de sa réalisatrice. Humble et réfléchie, l’écrivaine connaît bien cette pudeur racontée dans le film. Elle a grandi avec… avant de s’en libérer et oser clamer haut et fort ses émotions.
Le Journal des Femmes : Comment est née l’idée du roman ?
Amanda Sthers : Tout est parti d’un article que j’ai lu dans Le Monde Diplomatique où l’on expliquait comment, en Israël, on élevait des cochons sur des planches surélevées, afin qu’ils ne touchent pas le sol. L’absurdité de la situation m’a fait rire et même réfléchir. Je me suis dit qu’il y avait des choses plus importantes à travers la loufoquerie. La métaphore de cette famille explosée aux quatre coins du monde m’a donnée un prétexte pour parler de choses plus graves et qui sont toujours en sous-couche.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de l’adapter au cinéma ?
Amanda Sthers : Au départ, je ne voulais pas l’adapter en film, mais beaucoup de réalisateurs me l’ont proposé. J’ai longtemps été réticente, et j’ai mis quelques années à débloquer la situation, à savoir comment je transformerais ces lettres en une histoire racontée sur grand écran. Ensuite, j’ai écris un scénario qui ne devait pas être pour moi, et une série d’heureuses circonstances ont fait que je me suis retrouvée à diriger ce qui était « mon bébé ».
Vous n’aviez pas peur de trahir le livre en l’adaptant ?
Amanda Sthers : Il me fallait justement ce temps de réflexion pour le trahir. On ne peut faire un bon film qu’en trahissant le roman. Quand c’est son propre ouvrage, c’est toujours plus difficile. J’avais besoin de cette distance pour le réinventer, afin que je puisse faire le deuil de certaines choses et en inventer d’autres.
En tant que cinéphile, était-ce un honneur d’avoir dirigé James Caan et Rosanna Arquette ?
Amanda Sthers : C’était un véritable fantasme qui prenait vie ! J’ai toujours vu chez James Caan, qui a joué beaucoup de rôles de grands méchants, une sorte de douceur et de tendresse. On retrouve cette ambiguïté dans le personnage de Harry, qui peut être très dur et en même temps très attachant. En tant que femme, c’était beau de révéler une partie de sa palette de jeux. Effectivement, je rêvais aussi de tourner avec Rosanna Arquette, que j’ai découverte quand j’étais petite dans Le Grand Bleu. Elle incarnait une sorte de femme idéale. Et puis, il y a Jonathan Rhys-Meyers, (qui interprète David, le frère, NDLR) que l’on a trop peu vu depuis Match Point. Je n’aurais jamais cru qu’il dirait oui ! C’est un acteur très intelligent, qui prend beaucoup de temps pour choisir ses rôles. Il avait des questions sur le texte assez brillantes. Une famille, c’est de la cohérence, il fallait qu’ils se ressemblent, que l’on y croit. Ils se sont tous construits peu à peu. C’est drôle, je n’avais pas vraiment de personnes en tête lorsque j’écrivais. Maintenant, je n’imaginerais plus personne d’autre à leur place !
Patrick Bruel, votre ex-époux (de 2004 à 2007, NDLR), joue également dans le film…
Amanda Sthers : J’avais d’abord écrit le scénario en français, dans lequel Patrick Bruel devait jouer le rôle du rabbin. Puis, nous avons transformé le film aux États-Unis et nous avons pris Tom Hollander pour ce rôle. Je savais que c’était dur pour Patrick de lâcher le film. Je me suis demandée comment l’inclure dans cette aventure dont il avait fait partie dès le départ. C’est ainsi que j’ai décidé de le faire jouer le rôle du médecin.
Diriger quelqu’un avec qui l’on partage un passé, est-ce une force ou une contrainte ?
Amanda Sthers : J’ai toujours admiré l’acteur. Nous avons des rapports très sains et équilibrés. On a divorcé il y a 11 ans, on a des enfants ensemble (Oscar, 15 ans, et Léon, 13 ans, NDLR). On se connaît bien, donc j’ai pu le diriger de façon plus directe que pour les autres acteurs où l’on cherche toujours des biais pour dire les choses. Avec Patrick, c’était très frontal, il comprenait ce que je voulais. Donc, c’était plutôt une chance.
Sur le plateau de Vivement Dimanche, vous avez raconté qu’il vérifiait sans cesse que vous ne faisiez pas d’erreurs…
Amanda Sthers : Il avait un peu peur que je ne sache pas comment m’y prendre. Lorsque l’on est sortis du plateau de Vivement Dimanche, il m’a assuré : « Pas du tout, je n’avais pas peur !« . Du coup je n’ose plus dire ça (Rires). Mais je pense qu’il est protecteur, il m’a rencontrée très jeune et je commençais ce métier, donc peut-être qu’il ne m’a pas vu grandir et évoluer. Mais je serais très heureuse de tourner à nouveau avec lui, nous avons passé de très bons moments sur ce tournage. En plus, c’est un film qui parle de la famille. Je trouvais que c’était joli de transmettre cela à nos enfants.
Le film fait-il écho à l’histoire de votre famille ?
Amanda Sthers : Pas directement, mais dans toutes les familles, il y a des silences. On attend tout le temps un « Je t’aime » qui ne vient pas, ou pas comme on le voudrait. On a tous l’espoir que nos parents nous disent qu’ils sont fiers de nous. De ce fait, je me suis sentie plus proche du personnage que joue Jonathan Rhys-Meyers (David, le frère, NDLR). J’attends une approbation comme artiste, comme enfant. Je l’ai eue depuis, mais je l’ai attendue longtemps. Je sais à quel point le manque de considération peut être blessant. Le silence relie toutes les familles. Tout le monde se reconnaît dans cette espèce de pudeur que l’on peut avoir parfois, avec les siens. Notre génération dit beaucoup « je t’aime » à ses enfants, on les surprotège, mais la génération de mes parents est plus réservée.
N’y a-t-il pas une forme de lâcheté à transposer ses émotions à l’écrit plutôt qu’à l’oral ?
Amanda Sthers : Quand on dit les choses en face, c’est forcément plus difficile, mais pour moi, l’important c’est de s’exprimer, peu importe la façon dont on le fait. C’est le cas pour ce père qui finit par écrire dans une lettre tout ce qu’il n’a jamais pu dire. Ce que je trouve beau à l’écrit, c’est que cela reste, cela se transforme. Les lettres sont vivantes. Quand les gens s’en vont, que le temps passe ou que l’on devient parent à son tour, on les comprend différemment. Elles grandissent avec nous.
Le casting était assez cosmopolite…
Amanda Sthers : C’était un peu la tour de Babel (Rires). Cette diversité faisait écho au film, qui a été en partie tourné en Israël, l’un des pays où l’on trouve le plus de mixité au monde. Souvent, les tournages ressemblent à ce que le long-métrage raconte. Il a fallu que les équipes, qui avaient des nationalités différentes, s’accordent. Je me suis posée la question : comment allait-on réussir à s’entendre ? Ce n’était pas gagné, au début. Puis, on y est arrivé. Il y avait des catholiques, des musulmans, des juifs, certains ne voulaient pas toucher le petit cochon, d’autres le prenaient dans leurs bras ! Tous les mondes se sont côtoyés : l’équipe française, belge, israélienne, les acteurs américains… C’était l’ONU (Rires). On a trouvé un moyen de vouloir tous raconter la même histoire et aller dans le même sens.
Y-a-t-il un souvenir de tournage qui vous a marqué particulièrement ?
Amanda Sthers : Il y a cette scène où un petit cochon vient renifler James Caan, sur son lit. Il était impossible de le dresser, donc il a fallu jouer un peu sur la chance. On ne s’attendait pas à ce qu’il soit aussi câlin ! Il y avait une certaine magie de l’inattendu. On se retenait tous de pouffer de rire. Cette scène a été tournée en une prise. À part ça, en Israël, au mois d’août, c’était la canicule. On tournait sous 47 degrés, à la mer morte ! Donc, nous nous sommes tous surpassés, il y avait quelque chose de l’ordre de l’effort, qui était proche des sportifs de haut-niveau. Ce dépassement de soi pour réussir à faire un film, c’était sublime.
Quel message souhaitez-vous faire passer à travers ce film ?
Amanda Sthers : La plupart des gens vivent comme s’il y avait plusieurs tours de manèges, mais il n’y en a qu’un. Il faut dire « Je t’aime » à ceux que l’on aime avant qu’il ne soit trop tard. Si l’on n’ose pas, on les emmène au cinéma !