Après deux épisodes consacrés à l’islam et au christianisme, la série documentaire d’Arte Monuments sacrés continue son tour du monde des plus beaux lieux de culte des grandes religions actuelles. Le quatrième et dernier film, diffusé le 5 janvier, se penchera quant à lui sur les monuments sacrés du judaïsme, monuments dont l’histoire semée de destructions et d’occultations est indissociable de celle, tragique, du peuple juif.
Les synagogues du “ghetto” de Venise (Italie)
Celia Lowenstein : « En 1516, le doge de Venise a autorisé les Juifs à s’installer sur une petite île à l’intérieur de la ville. Des Juifs en quête d’un refuge sont donc arrivés de toute l’Europe et se sont installés là, dans ce quartier qu’on appelait le ghetto. Il ne faut pas entendre ce mot au sens actuel : certes, c’était un endroit clos que les Juifs n’avaient pas le droit de le quitter la nuit. Mais il y avait énormément d’échanges avec les autres Vénitiens, les Juifs avaient un vrai statut et le ghetto était un lieu de grand dynamisme.
Les synagogues de Venise, qui sont très discrètes de l’extérieur, ressemblent à l’intérieur à des églises. Pour une raison simple : les métiers d’architecte et de maçon étaient défendus aux Juifs. Chaque fois qu’ils arrivaient quelque part, ils faisaient appel à des constructeurs locaux – ici, à des chrétiens. C’est pour ça aussi qu’à Djerba, en Tunisie, les synagogues ressemblent à des mosquées. C’est le grand thème du film : dans le judaïsme, il n’y a pas d’architecture sacrée. Ce qui est important dans la synagogue, c’est le fait de se réunir, de prier et d’étudier ensemble. Peu importe le lieu, il faut juste la Torah, la lumière qui symbolise le divin, et c’est tout. L’idée de communauté et celle de réflexion, d’étude, sont plus importantes que les bâtiments.
Au moment du tournage, je savais que ce serait plus difficile, visuellement, que pour les autres religions qui ont toutes des monuments magnifiques. Ce qui n’est pas le cas du judaïsme, à quelques exceptions près – d’autant que beaucoup de synagogues ont été détruites. J’ai donc joué sur d’autres choses : la musique, par exemple, en cherchant longuement laquelle correspondrait à chaque lieu. À Venise, on entend celle, émouvante, de Salomone Rossi, grand compositeur juif de la période baroque. »
La grande synagogue de Budapest (Hongrie)
Celia Lowenstein : « Comme le fil rouge du film, c’est l’histoire du peuple juif, j’ai choisi les bâtiments comme on fait un casting. Pour moi, les monuments sont des personnages qui nous parlent chacun d’un moment précis de cette histoire.
La grande synagogue de Budapest, la Dohány, a été construite au milieu du XIXe siècle, à un moment où les Juifs pensaient que le progrès et la technologie mettraient fin aux persécutions. C’est pourquoi le bâtiment est si moderne, avec cette table de lecture actionnée mécaniquement, ce qui est très symbolique : comme elle supporte le livre donné par Dieu, elle se tourne d’elle-même vers la communauté rassemblée… C’était important pour les juifs de l’époque de montrer qu’ils faisaient partie de cette civilisation de progrès, qu’ils avaient foi en elle. Le XXe siècle a démenti leur optimisme.
J’ai voulu terminer le film avec un édifice récent, le seul qui apparaisse dans la série Monuments sacrés : la synagogue Beth Sholom, construite en 1954 par l’architecte Frank Lloyd Wright près de Philadelphie. De toutes les synagogues modernes construites aux Etats-Unis, c’est à mon avis la plus forte. C’est un lieu incroyable, d’une grande beauté, qui synthétise toutes les idées de la tradition juive : la lumière, le Temple, la notion de communauté, etc. Il n’y a plus du tout l’idée de se cacher, comme dans le passé. C’est un endroit vaste, ouvert, visible par tous, où l’on se sent bien. Je trouvais que c’était une belle idée de terminer un film sur l’absence d’architecture par un bâtiment construit par un architecte. »