L’auteur d’« Une histoire d’amour et de ténèbres » et cofondateur du mouvement La Paix maintenant est mort le 28 décembre, à l’âge de 79 ans, des suites d’un cancer.
Amos Oz, considéré comme l’un des plus grands écrivains israéliens, est mort le 28 décembre à l’âge de 79 ans. Parfois plus connu sur la scène internationale pour ses prises de position politique que pour ses écrits, ce porte-parole de la gauche sioniste israélienne n’en laisse pas moins une œuvre littéraire remarquable et maintes fois primée, riche d’une vingtaine de romans et de recueils de nouvelles, auxquels s’ajoutent une demi-douzaine d’essais et d’innombrables articles de presse.
My beloved father, Amos Oz, a wonderful family man, an author, a man of peace and moderation, died today peacefully after a short battle with cancer. He was surrounded by his lovers and knew it to the end.
May his good legacy continue to amend the world.— Fania Oz-Salzberger פניה עוז-זלצברגר (@faniaoz) 28 décembre 2018
Avec sa disparition s’éteint la voix d’un des écrivains les plus représentatifs, avec A. B. Yehoshua, de la génération dite « de l’Etat », née au moment de la création de l’Etat d’Israël. Leurs œuvres explorent la manière dont se concilient, à l’épreuve de la réalité, le rêve sioniste collectif de ses aînés et ses propres aspirations individuelles.
Elevé exclusivement en hébreu
Né le 4 mai 1939 à Jérusalem, dans un minuscule appartement du quartier de Kerem Avraham, au nord-est de la ville alors sous contrôle britannique, Amos Klausner a grandi dans un milieu modeste mais intellectuel. Son père, Arié Klausner, originaire d’Odessa, spécialiste en littérature étrangère et hébraïque, était employé à la Bibliothèque du Mont Scopus, devenue la bibliothèque nationale d’Israël en 1948. Sa mère Fania, née à Rovno, en Ukraine, et diplômée de l’université de Prague, donnait des cours de littérature et d’histoire à des lycéens.
Avec la disparition de l’écrivain #AmosOz, c’est une grande figure de la littérature israélienne qui nous quitte. Il était l’auteur de 20 romans et recueils de nouvelles, mais aussi d’essais et de poèmes, et avait reçu le prix Femina étranger en 1988 pour « La boite noire ». pic.twitter.com/M5wLBzCaVQ
— Philippe Meyer (@philippemeyer92) 28 décembre 2018
La famille avait émigré en Palestine dans les années 1930 et connaissait les difficultés propres aux immigrants : jamais Arié n’a obtenu le poste universitaire auquel il aspirait. Enfant unique, plutôt solitaire, le petit Amos baigna dans une atmosphère idéologique nourrie par le sionisme nationaliste de Vladimir Jabotinsky (1880-1940) et de Menahem Begin (1913-1992). Elevé exclusivement en hébreu, alors même que son père parlait onze langues, il était alors, selon ses termes, un « petit chauvin déguisé en pacifiste. Un nationaliste hypocrite et doucereux », un « fanatique », qui jouait à la guerre et s’enflammait contre les Anglais et les Arabes, comme il l’a raconté dans Une panthère dans la cave(Calmann-Lévy, 1997) et dansLa Colline du mauvais conseil (Calmann-Lévy, 1978).
C’était aussi un lecteur insatiable, qui put nourrir, grâce à l’imposante bibliothèque de son père, un amour « physique, érotique » pour les livres. Et un enfant curieux, dont la vocation de romancier naquit des longues heures passées au café avec ses parents, à observer les individus autour de lui pour tromper son ennui. A l’époque, il rêvait toutefois d’être un livre plutôt qu’un écrivain : « Les hommes se font tuer comme des fourmis. Les écrivains aussi. Mais un livre, même si on le détruisait méthodiquement, il en subsisterait toujours quelque part un exemplaire qui ressusciterait sur une étagère (…) », écrit-il ainsi dans Une histoire d’amour et de ténèbres (Gallimard, 2004), sa foisonnante autobiographie, considérée comme son chef-d’œuvre.
La mort d’Amos OZ est d’une terrible cruauté pour ses lecteurs. Comme son nom le signifie en hébreu « Force », on avait fini par penser qu’il serait toujours là, préparant son prochain livre, ou son prochain appel à la paix, à laquelle il était farouchement attaché. Adieu Haver ! pic.twitter.com/Gk2qkDrOJ9
— La Cause Litteraire (@LaCauselit) 28 décembre 2018
L’amour du mot juste
Deux figures familières l’on profondément marqué : l’écrivain et futur Prix Nobel Samuel Joseph Agnon (1888-1970), son voisin, à l’œuvre duquel sa mère, fervente lectrice, l’initia, et son grand-oncle, Yosef Klausner. Ce savant, qui participa à la création de l’hébreu moderne, en inventant de nouveaux termes, lui inculqua l’amour du mot juste, alors même que ses parents maîtrisaient cette langue de façon très approximative. Toute sa vie d’écrivain, Oz a bataillé pour décrire avec le plus d’exactitude possible le monde qui l’entourait, s’efforçant sans relâche d’adapter son lexique à l’évolution continue et rapide de la langue, sous l’effet des transformations de la société israélienne et des vagues successives d’immigration.
Le suicide de sa mère, à 38 ans, au terme d’une longue dépression, fit l’effet d’une déflagration dans la vie du jeune Amos, alors âgé de 12 ans. Deux ans plus tard, tandis que les relations avec son père, remarié au bout d’un an de veuvage, se limitaient au strict minimum, il fit un choix radical en décidant de s’installer au Kibboutz Houlda, situé au centre du pays et affilié au parti de gauche Mapaï.
#Hommage – Nous venons d’apprendre à l’instant, avec une immense tristesse, le décès de Amos Oz, figure majeure de la littérature israélienne et lauréat du prix Israël de littérature. pic.twitter.com/bW2sWhky8e
— CRIF (@Le_CRIF) 28 décembre 2018
Il prit alors le nom d’Oz, « force » en hébreu, là où son nom de naissance, Klausner, évoquait le « reclus » en allemand. Visage pâle aux yeux bleus, il cherchait à intégrer l’esprit des pionniers, cette « race de héros hâlés, robustes, qui ne ressemblaient pas du tout aux juifs de la Diaspora ». L’assemblée générale de la structure, cherchant un professeur pour son lycée, l’envoya suivre des études de littérature et de philosophie à l’Université hébraïque de Jérusalem. Plus tard, elle accepta de le décharger de certains jours de travail pour lui permettre d’écrire. C’est dans ce monde à part qu’Amos Oz rencontra sa femme Nilli, qu’il épousa en 1960 ; ils eurent trois enfants. Ils vécurent à Houlda jusqu’en 1986, avant de s’établir à Arad, au seuil du désert du Negev, l’air y étant plus clément pour l’asthme de leur fils David.
Une prédilection pour les personnages tchékhoviens
Amos Oz a fait de ce microcosme, fondé sur la prégnance de la collectivité, le théâtre de plusieurs de ses livres : Les Terres du Chacal, son premier recueil de nouvelles, paru en 1966 (Stock, 1987), Ailleurs peut-être, son premier roman, publié l’année suivante (Gallimard, 2006), Un juste repos (Gallimard, 1996), La Boîte noire(Calmann-Lévy, prix Femina étranger 1988) ou encore Entre amis (Gallimard, 2013) interrogent chacun à leur manière, souvent avec ironie et empathie, l’utopie collectiviste et la permanence des identités singulières, tout en décryptant les rapports de désir et d’amour entre des personnages évoluant dans un monde clos. La découverte de Winesburg en Ohio (Gallimard, 1927 et 2010), de l’écrivain américain Sherwood Anderson, dans la bibliothèque du kibboutz, fut déterminante dans son écriture. « Grâce à lui, je compris brusquement que le monde de l’écrit ne tournait pas autour de Milan ou de Londres, mais autour de la main qui écrivait, là où elle était : le centre de l’univers est là où vous vous trouvez », écrit-il.
L’écrivain israélien et militant pour la paix Amos Oz vient de s’éteindre à l’âge de 79 ans. Son portrait en 1996. pic.twitter.com/rXfsudQL8m
— Ina.fr (@Inafr_officiel) 28 décembre 2018
Dès ses premiers textes, Amos Oz affichait une prédilection pour les personnages tchékhoviens, partagés entre l’action et la réflexion, la volonté de partir vers un ailleurs rêvé et l’impossibilité de quitter leur place. Son écriture se divisa dès lors en deux pôles : le kibboutz et une Jérusalem tour à tour aimée et honnie, où se déroulent près de la moitié de ses romans depuis Mon Michaël (1968 ; Gallimard, 1995). C’est cette ville qu’il avait choisie comme cadre pour Judas, son dernier roman (Gallimard, 2016), où, examinant la figure du traître, il relatait la rencontre entre un étudiant idéaliste et un vieil intellectuel, pendant l’hiver 1959.
Fondation du mouvement La Paix maintenant
Observateur de la diversité des existences, l’écrivain aimait se mettre à la place des autres. Ultra-orthodoxes, juifs nationalistes, habitants d’implantations, Palestiniens de Ramallah, intellectuels arabes de Jérusalem… Ces catégories de population en tous points différentes de lui avaient donné matière à une série de reportages, rassemblés dans Les Voix d’Israël(Calmann-Lévy, 1983), qui lui avaient valu autant de critiques à droite qu’à gauche, en Israël aussi bien que chez les lecteurs arabes.
S’il vous plait, lisez « Une histoire d’amour et de ténèbres », son chef d’oeuvre, le livre que j’ai le plus offert dans ma vie. Quel chagrin https://t.co/WYiWq9i7NJ
— Leyris (@RaphaelleLeyris) 28 décembre 2018
Ce souci de l’autre était au cœur de son engagement politique, qu’il distinguait très soigneusement de son œuvre littéraire. En 1978, après avoir servi comme réserviste dans une unité de char pendant la guerre des Six-Jours (1967) puis sur le front du Golan lors de la guerre de Kippour (1973), il contribua, avec 300 officiers réservistes, à la fondation du mouvement La Paix maintenant (Shalom Arshav). Ancien compagnon de route du Parti travailliste, il avait rejoint en 2008 le Meretz, le plus à gauche des partis politiques sionistes. Il défendit toute sa vie les mêmes positions, qu’il rappela dans Comment guérir un fanatique (Gallimard, 2006) comme dans son dernier livre paru en France, Chers fanatiques (Gallimard, 2018) : la coexistence de deux Etats côte à côte, et la restitution aux Palestiniens des territoires occupés depuis 1967, en contrepartie de l’abandon par ceux-ci d’un droit au retour pour les réfugiés.
Rappelant le droit d’Israël à se défendre contre toute attaque et celui, plus fondamental, à exister, il avait ouvertement soutenu son pays lors de la guerre avec le Liban en 2006 et l’opération « Plomb durci » à Gaza en 2009. En 2014, comme 800 personnalités israéliennes, dont David Grossmann et A. B. Yehoshua, il n’en avait pas moins appelé les parlements de différents pays européens à reconnaître l’Etat palestinien. La paix, selon lui, n’était pas une utopie, mais un chemin fait, de part et d’autre, de sacrifices et de renoncements. Comme un livre ambitieux à écrire.
Un homme est mort et c’était un juste. Pensées émues pour l’auteur de la Boîte Noire, d’un Juste Repos, de Mon Michael, tous livres qui parlaient d’une humanité en quête d’amour, d’idéaux et de paix. #shalomarshav #amosoz @Gallimard @calmann_levy pic.twitter.com/uTH4z4UHd7
— Gilles Pudlowski (@gillespudlowski) 28 décembre 2018
Amos Oz en quelques dates
4 mai 1939 Naissance d’Amos Klausner à Jérusalem
1955 Il rejoint le kibboutz Houlda et prend le nom d’Amos Oz
1967 « Ailleurs peut-être », premier roman
1978 « La Colline du mauvais conseil ».
1988 « La Boîte noire », prix Femina étranger
2004 «Une histoire d’amour et de ténèbres »
2014 « Judas »
2018 « Chers fanatiques »
28 décembre 2018 Mort, des suites d’un cancer