Plus de 70 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les grandes maisons d’enchères, Christie’s et Sotheby’s, repèrent encore régulièrement des œuvres spoliées par les nazis et contribuent désormais activement à leur restitution.
La maison d’enchères a fait le lien avec le collectionneur juif Alfred Weinberger, dépossédé de l’oeuvre par les nazis, enclenchant sa restitution, en septembre dernier, à sa petite-fille.
En vingt ans, tout a changé ou presque dans l’identification des biens spoliés, à la faveur d’une conjonction de facteurs, politiques, technologiques et générationnels.
« La spoliation d’oeuvres d’art par les nazis n’a vraiment commencé à intéresser qu’au milieu des années 1990 », situe Monica Dugot, directrice chargée de la restitution au sein de Christie’s.
En décembre 1998, après des décennies d’inertie, 44 Etats se sont engagés à retrouver et, si possible, restituer les œuvres volées par les nazis.
La numérisation facilite le travail de recherche
La déclassification de nombreux documents, l’émergence d’internet et de la numérisation ont permis à tous les musées, marchands d’arts et maisons d’enchères d’accéder à une information exhaustive, dont la consultation est aujourd’hui incontournable. Des dizaines de bases de données, parfois constituées à partir d’archives nazies, sont ainsi disponibles.
Les grandes maisons d’enchères, Christie’s et Sotheby’s, se sont mises au diapason et ont constitué, depuis la fin des années 1990, des équipes dédiées. « Elles jouent un rôle tout à fait majeur », explique Wesley Fisher, directeur de recherche au sein de la Claims Conference, organisation créée en 1951 notamment pour œuvrer à la récupération de biens spoliés.
« Nous effectuons des recherches sur toutes les oeuvres datant d’avant 1945, qu’il s’agisse d’une toile, d’un tapis ou d’une commode », assure Lucian Simmons, responsable de la restitution pour Sotheby’s.
Le but, « minimiser le risque que Sotheby’s vende accidentellement une oeuvre pillée durant la Seconde Guerre mondiale et jamais récupérée » par le propriétaire ou ses descendants, dit-il. Les grandes maisons sont tenues de montrer l’exemple, « car elles doivent faire de la promotion pour ce qu’elles vendent », souligne Wesley Fisher.
La législation diffère d’un pays à l’autre
La pratique veut désormais que si un doute existe sur la provenance d’une oeuvre, elle soit conservée par la maison d’enchères, que le propriétaire officiel en accepte ou non le principe.
« Pour Sotheby’s, ce n’est pas nécessairement une question de légalité, mais plutôt d’éthique et de morale », fait valoir Lucian Simmons.
La législation en la matière diffère sensiblement d’un pays à l’autre, certains les mettant à l’abri de la prescription, comme l’Allemagne, même si la disposition a été contestée en justice.
Lucian Simmons explique également aux propriétaires officiels que « même si une toile ne pose pas de problème au regard de la loi d’un pays, cela ne veut pas dire que des gens vont enchérir dessus ».
« Beaucoup des cas dont nous nous occupons se règlent à l’amiable« , précise Monica Dugot, affirmant que Christie’s a « facilité » la restitution d’un nombre « considérable » d’œuvres. Il arrive néanmoins que les maisons d’enchères, se refusant à procéder à la vente ou à restituer une oeuvre spoliée au collectionneur qui la leur a confiée, se retrouvent prises entre deux actions en recouvrement, d’un côté le propriétaire officiel, de l’autre l’héritier du propriétaire spolié.
Elles saisissent alors les autorités, comme ce fut le cas avec le tableau de Renoir : le dossier a alors été confié au FBI. Selon une source proche du dossier, le collectionneur a fini par renoncer, mais un acharnement l’aurait exposé à des poursuites pénales.
Une vague de tableaux acquis après la guerre se présentent sur le marché
« Les maisons d’enchères sont importantes et fondamentales » dans la restitution des objets d’art volés, « parce qu’on peut penser que la majorité des œuvres sont chez des collectionneurs privés et ne feront surface que s’ils les mettent en vente », estime Imke Gielen, avocate au sein d’un cabinet allemand spécialiste de ces dossiers.
Avec la disparition progressive d’une génération d’amateurs qui ont constitué leur collection après-guerre, c’est une vague de tableaux qui se présentent sur le marché, comme en témoignent les dernières enchères d’automne à New York.
Wesley Fisher attire lui l’attention sur certaines maisons d’enchères de taille plus modeste, mais aussi sur des marchands « qui préfèrent préserver la tradition du secret du marché de l’art« .