Ils ont connu l’Europe de l’Holocauste, et la récente montée de l’antisémitisme aux Etats-Unis a réveillé de vieilles craintes: faut-il à nouveau se cacher? Ou s’efforcer de partager leur expérience?
Ils étaient quasiment tous enfants ou adolescents, au début des années 40, et se souviennent s’être fait voler leur jeunesse par la peur, la fuite, la séparation, voire les camps.
S’il y a bien un pays où ils se pensaient à l’abri, ce sont les Etats-Unis, où ils sont établis depuis des décennies.
Ils ont bien entendu, parfois, une injure ou aperçu une croix gammée sur un mur, mais ils se sentaient en sécurité, « safe », le mot qui changeait tout pour eux.
Désormais, beaucoup de ces rescapés – réunis cette semaine à la synagogue Ohev Shalom, dans une banlieue cossue du New Jersey, pour célébrer Hanouka mais aussi la journée internationale des survivants de l’Holocauste – sont inquiets de la montée des actes antisémites, en hausse de 37% en 2017, selon de récents chiffres du FBI.
La tuerie de Pittsburgh, qui a vu, fin octobre, 11 fidèles d’une synagogue tués par un extrémiste, a encore fait monter la température de plusieurs degrés.
« Un fou a écouté Trump », estime, en parlant du tueur, David Lefkovic, 89 ans. Adolescent, il n’a dû qu’à sa blondeur d’avoir évité une rafle dans le sud-ouest de la France, durant la Seconde guerre mondiale.
Trump « dit de tous ceux qu’il n’aime pas qu’ils sont faibles. C’est exactement la terminologie nazie », observe aussi Adela Dubovy, passée, à 6 ans, par le camp de concentration de Theresienstadt. « Vous êtes faibles, vous devez être anéantis. »
« Pas la kippa dans la rue »
« Avant, ils se cachaient », explique David Lefkovic au sujet des antisémites. Mais « maintenant, c’est étalé au grand jour: on peut s’en prendre de nouveau aux juifs« , constate Hanna Keselman, née en Allemagne en 1930 et passée par la France et l’Italie durant la guerre.
« Ils se sentent renforcés », dit-elle. « Même dans les universités, où il devrait y avoir les gens les plus intelligents, les plus érudits », regrette Roman Kent, qui a survécu à plusieurs camps, notamment Auschwitz.
Des actes antisémites ont été constatés, ces dernières semaines, dans plusieurs des plus prestigieuses facultés américaines, de Columbia à Cornell en passant par Duke.
« Je crains que ça (la tuerie de Pittsburgh) ne se reproduise », prévient, fataliste, M. Kent, qui a participé aux négociations avec l’Etat allemand pour l’indemnisation des juifs.
Quatre petits-enfants d’Adela Dubovy sont à l’université. « Ils disent qu’ils sont juifs mais ils restent discrets« , dit-elle. « La sécurité avant tout. »
Adela vit dans un complexe pour retraités, une « bulle », reconnaît-elle. Mais elle a peur. « Aujourd’hui, je ne porte plus l’étoile de David », dont elle a un pendentif. « Je dis à mes petits-enfants: ne portez pas la kippa dans la rue, vous ne voudriez pas être agressés. »
« Je comprends, mais je ne dirais pas ça à mes petits-enfants », réagit Hanna Keselman. « Je ne veux plus vivre de cette façon. Je l’ai fait » durant la guerre. « Ca suffit. »
Elle se souvient être retournée en Italie, où son père a été interpellé puis tué et où elle a attendu la fin de la guerre.
Aujourd’hui, « je veux vivre libre et ouverte sur les autres », dit cette femme de 88 ans à la voix douce et au verbe précis.
Hanna n’est pas une oratrice née, mais elle continue à se forcer à intervenir devant des jeunes pour entretenir la mémoire que certains redoutent de voir s’éteindre avec la mort des derniers survivants.
Roman Kent regrette que trop peu, parmi les générations qui ont suivi la sienne, aient repris le flambeau.
« S’ils l’avaient fait, il n’y aurait pas autant de gens qui ne connaîtraient pas l’Holocauste », dit-il.
Une étude de la Claims Conference, l’organisation responsable de la journée des survivants de l’Holocauste, publiée en avril, a notamment montré que la moitié (49%) des « millenials » ne pouvaient citer aucun camp de concentration.
« Je me rends compte que j’ai un impact sur les gens qui ne sont pas juifs parce qu’ils me disent qu’ils n’avaient jamais réalisé tout ce qui se passait » à l’époque, explique Hanna.
« Le problème », dit-elle, « c’est que les gens qui veulent écouter ces histoires ne sont généralement pas ceux qui pourraient être antisémites. »