Aujourd’hui, alors que le nombre de femmes tuées par un conjoint ou un proche augmente, les associations féministes pointent l’inaction du gouvernement et de la police.
Elles ont bloqué des bretelles d’autoroutes, versé des litres de faux sang dans les fontaines publiques. Mardi, dans une dizaine de villes israéliennes, des milliers de femmes se sont mises en grève contre les violences qui leur sont faites. Une indignation brute, spontanée, en réaction à une vague de féminicides. Le 26 novembre, à Tel-Aviv, Silvana Tsegai, 13 ans, fille de réfugiés érythréens, est violée puis battue à mort par l’ex de sa mère. Le même jour, la police découvre dans une benne à ordure le corps de Yara Ayoub, 16 ans, dans son village palestinien de Haute-Galilée. L’adolescente avait disparu cinq jours plus tôt sur le chemin d’une fête. Trois hommes et une femme de son clan familial ont été arrêtés.
Selon les collectifs féministes israéliens, les deux jeunes filles sont les 23eet 24e victimes de meurtres sexistes commis par un proche cette année. Un chiffre en forte augmentation comparé aux années précédentes (16 en 2016 et 2017, 13 en 2015). La moitié des victimes avaient porté plainte pour violences avant leur mort. Rapportées à la population israélienne, ces statistiques sont presque deux fois plus élevées qu’en France, où une centaine de meurtres conjugaux sont recensés chaque année.
«Le sang des femmes n’est pas jetable»
Mardi, à la nuit tombée, des milliers de manifestants ont rallié la place Rabin de Tel-Aviv, réceptacle habituel des colères. Sur la façade de la mairie, un mot : «STOP». Du rouge partout – tracts, casquettes et ballons – et cette impression rarissime d’assister à un mouvement réellement apolitique où toutes les strates de la société israélienne sont représentées.
Sur les pancartes, on y lit autant de l’hébreu que de l’arabe, pendant que sur scène, le rappeur palestinien Tamer Nafar – controversé dans d’autres contextes – fédère la foule. Le mot «kulanou» («ensemble») revient dans les discours. On s’égosille sur le slogan du mouvement : «Le sang des femmes n’est pas jetable».
«Tout le monde est concerné… Juif, Arabe, Africain, peu importe», explique d’une voix posée Naïssa Garabli, coiffée d’un voile blanc. La moitié des femmes tuées sont arabes israéliennes, communauté qui ne représente que 20% de la population.
«Le problème, ce n’est pas les origines ou la religion, c’est… les hommes,insiste cette avocate de 31 ans. Ils sont encore nombreux à ne pas respecter la liberté des femmes. L’autre facteur, c’est la police qui fait peu de cas des crimes qui touchent les minorités. Ils voient ça comme une affaire interne à la communauté, et ça donne l’impunité aux hommes violents. Je connais une femme qui a été tuée à Jaffa, où j’habite. Personne n’a été arrêté. Le meurtrier est libre. L’abandon des autorités nous tue.»
«Pas fait attention»
Le Premier ministre Benyamin Nétanyahou l’a reconnu du bout des lèvres lors de la visite d’un refuge pour femmes battues, fin novembre. Poussé par son épouse, Sara Nétanyahou, choquée d’apprendre que la semaine précédente, les partis de sa coalition avaient refusé de lancer une enquête parlementaire sur la question, il a concédé que «c’était une proposition de l’opposition, je n’ai pas fait attention». De même, selon les organisations féministes israéliennes, un programme de lutte contre les violences approuvé par son cabinet en 2017 n’a jamais été financé.
Nétanyahou a promis d’y remédier via un comité ministériel ad hoc : «C’est comme si l’on ne s’occupait pas du terrorisme, et ces meurtres sont du terrorisme, en tout point.» Mais sans avancer de mesure concrète, si ce n’est la promesse de «punir» plus durement les meurtriers.
Aviv milite depuis quinze ans dans l’organisation anti-masculiniste Ruban blanc, fondée au Canada après la tuerie de masse de l’Ecole polytechnique en 1991. Sur la place Rabin, il dit n’avoir jamais vu un rassemblement pareil. Lui aussi pointe l’apathie de la police et les budgets faméliques du gouvernement, mais surtout, la culture machiste israélienne : «Ça transcende tous les secteurs de la société, religieux et laïques, juifs et non-juifs…»
Militante féministe de longue date, Anat, 59 ans, a l’impression que ces femmes tuées payent les avancées obtenues au fil des années : «Comme si après avoir fait un pas en avant, on nous forçait à en faire deux en arrière. On voit ça partout, dans l’armée, dans les bureaux : le conservatisme revient, les carcans traditionalistes résistent. Et des femmes meurent.»