Israël, la terre promise des séries télé

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« Our Boys », la nouvelle série événement, débarque en France. En quinze ans, les Israéliens sont devenus maîtres en la matière. Comment font-ils ?

Hagai Levi ne risque pas d’oublier le 30 août 2019. Ce jour-là, Benyamin Netanyahou, alors en pleine campagne électorale, s’adresse aux Israéliens en direct sur Facebook. Et voici qu’il prononce le titre d’Our Boys, la série phénomène que diffuse alors la chaîne 12 et qui revisite les événements tragiques de l’été 2014 (le kidnapping et le meurtre de trois adolescents israéliens, puis celui d’un adolescent palestinien). De quoi faire sursauter son créateur. « Ma famille, mes amis se sont manifestés en masse, tout le monde s’inquiétait pour moi », se souvient Hagai Levi, qui cite de mémoire les propos du Premier ministre : « La chaîne 12, une chaîne de propagande, a produit une série antisémite intitulée Our Boys qui est distribuée à l’international et salit le nom d’Israël. » Le showrunner sourit : « À vrai dire, j’étais plutôt content ! Je me suis dit que ça allait amener davantage de spectateurs. Même si je ne voyais vraiment pas ce que l’antisémitisme venait faire là-dedans. »

Vidéo. La bande-annonce de «Our Boys».

Puissance émotionnelle. 

On ne connaît guère d’autre pays où une série télévisée s’inviterait de la sorte dans le débat politique. Mais en Israël, rien n’est tout à fait comme ailleurs. D’abord parce que la réalité quotidienne du conflit nourrit tout naturellement la fiction : le haletant Hatufim (DVD Arte Éditions) met en scène des soldats israéliens de retour de captivité du Liban et qui pourraient bien avoir été retournés par leurs ravisseurs (les Américains en ont fait Homeland) ; l’incroyable Fauda (sur Netflix) explore le quotidien d’une unité spéciale de l’armée qui infiltre des groupes terroristes… Et, aujourd’hui, Our Boys revisite des événements historiques tout récents avec une étonnante puissance émotionnelle. Autant de séries coups de poing qui séduisent les spectateurs du monde entier.

« C’est un petit pays, aux frontières mouvantes, rappelle Olivier Joyard, réalisateur d’Israël, terre de sériesun formidable documentaire pour Canal+. Il y a donc un désir très fort de dépasser ces frontières, de sortir de ce territoire si chargé par l’art, par la création. » Une aspiration qui se traduit en chiffres : Israël produit aujourd’hui deux cent cinquante heures de contenus originaux par an, une série sur quatre est vendue à l’étranger ou adaptée, et le pays est depuis 2015 le troisième fournisseur de séries du marché américain. En France, Arte lancera au printemps En thérapie, la version française de BeTipul (In Treatment dans son adaptation américaine). Gideon Raff, le créateur de Hatufim, vient de signer une série Netflix, The Spy, avec Sacha Baron Cohen. Et Canal+ entame le 30 janvier la diffusion d’Our Boys (voir encadré) ainsi que d’une comédie teintée de larmes, Nehama, dont la vedette est une figure du stand-up israélien, Reshef Levi.

Esprit d’aventure. 

Pourquoi un tel engouement ? Hagai Levi est sans doute le mieux placé pour répondre. D’abord parce que c’est avec son BeTipul réinventé par HBO que tout a commencé. « Je ne pensais absolument pas créer quelque chose qui aurait une telle portée, confie-t-il. La thérapie fait tellement partie de ma vie que je n’avais même pas conscience d’avoir une idée originale ! » En fin de compte, la spécificité israélienne tient d’abord du goût du récit, assure Hagai Levi : « Les bonnes histoires peuvent être comprises dans tous les pays, quel que soit le contexte. La matière d’une série, c’est la vie. La leçon que donne Israël à ce sujet, ce qui ne manque pas d’ironie, c’est que face à l’universel les différences s’effacent. »

Acteur principal d’Our Boys et auteur avec sa sœur Ronit de l’un des meilleurs films israéliens de la dernière décennie (Le Procès de Viviane Amsalem, 2014), Shlomi Elkabetz va plus loin : « Le goût de raconter est aussi lié à la tradition juive, c’est indéniable, il y a un appétit dévorant d’histoires autant chez les artistes que chez le public. » Ce que confirme Reshef Levi, le créateur de Nehama :« Il n’y a pas une fête religieuse qui ne soit associée à un récit… On nous appelle « le peuple du Livre ». » Olivier Joyard loue l’originalité de l’approche israélienne : « Je suis frappé par leur capacité à innover sur la forme. Par ailleurs, ils ont compris qu’il fallait produire vite, et beaucoup, être toujours prêt à dégainer car le nombre de séries a doublé en dix ans et le désir d’en consommer ne cesse de croître. Il y a là un esprit d’aventure qui correspond bien à ce pays. »

Cinéma d’auteur. 

Il faut dire que les séries israéliennes sont conçues au départ pour le marché local : le coût moyen d’un épisode est d’environ 200 000 dollars, très loin du million dépensé en France ou bien sûr des 10 millions par épisode de Game of Thrones…« Paradoxalement, le modèle israélien est plus proche de celui du cinéma d’auteur, remarque Olivier Joyard. Celui qui a l’idée porte le projet, éventuellement avec un coscénariste, pendant les deux ou trois ans de gestation. » À l’opposé, donc, de la writers’ room américaine, où bûchent une dizaine de scénaristes, chacun étant responsable d’un personnage ou d’un fil narratif. Cette relative modestie se comprend aisément : la population israélienne n’atteint pas les 9 millions d’habitants, dont un tiers ne regarde pas la télévision, notamment pour des raisons religieuses. Un phénomène notable de ces dernières années est d’ailleurs l‘émergence de séries sur les ultraorthodoxes alors même que les premiers concernés ont interdiction de se mettre devant un écran… Ainsi, Les Shtisel. Une famille à Jérusalem, formidable chronique de la vie quotidienne d’une famille haredim (DVD Pretty Pictures), a été un franc succès.

« Le foisonnement des sujets reste la grande force de nos séries », reconnaît Hagai Levi. Our Boys, écrit avec Joseph Cedar et Tawfik Abu-Wael, en est le meilleur exemple. « Je voulais montrer ce que cela coûte aux individus d’entendre des discours de haine… L’impact des mots sur les vies », résume son créateur. Un sujet qui dépasse assurément les frontières.

Par 

Source lepoint