À la maison d’arrêt du Val-d’Oise, des détenus scotchés par la rescapée des camps

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Habituée à raconter son histoire en milieu scolaire, Frania Eisenbach Haverland s’est adressée cette semaine aux détenus d’Osny. Une première pour ces derniers, comme pour la nonagénaire.

« Comment faites-vous pour dormir la nuit après toutes les horreurs que vous avez vécues? » La question est posée par un élève du scolaire de la maison d’arrêt du Val-d’Oise (Mavo) à Osny, à Frania Eisenbach Haverland. La Val-d’Oisienne de 93 ans, qui vient d’être nommée chevalier de l’Ordre national du mérite, est venue échanger avec ce public, inédit pour elle, de son histoire bouleversante.

Née en Pologne, elle se cache dans les ghettos alors qu’elle n’a que 13 ans avant d’être arrêtée et déportée. Elle passera par quatre camps de concentration et d’extermination différents avant de rejoindre la France après la Libération. La seule survivante d’une famille de 60 personnes.

Et face à son discours poignant, les détenus âgés de 25 à 70 ans, sont bouche bée. « Vous êtes une femme formidable », lance spontanément l’un d’eux en écoutant son récit. Tête baissée, larmes dans les yeux, signe d’acquiescement, la vingtaine d’hommes réunie il y a quelques jours dans la bibliothèque du centre pénitentiaire est captivée pendant plus de deux heures.

« Si je suis là devant vous ce n’est pas pour me soulager, leur explique la rescapée. C’est pour vous prévenir que cette haine envers les autres existe toujours. Ma vie est derrière moi mais la vôtre est devant vous. » À travers son discours, elle n’hésite pas à évoquer l’horreur humaine, la migration, elle-même arrivée à Paris livrée à elle-même après la guerre, et même le djihadisme.

Un témoignage comme un miroir

« Comment avez-vous fait pour ne pas devenir folle ? » « Avez-vous pu pardonner à ceux qui vous ont fait ça ? » « Comment faites-vous pour ne pas avoir de haine après tout ça ? » Des questionnements susceptibles de les renvoyer à leur réalité quotidienne.

« Même si son histoire n’est pas comparable à la nôtre, là où on se rejoint, c’est le mental, évoque un détenu de 25 ans. En lui demandant comment elle fait pour dormir, je cherchais une sorte de conseil. Des fois, quand je suis dans ma cellule, les problèmes de l’extérieur me rattrapent et je n’arrive pas à fermer l’œil. »

« Vous m’avez redonné de la force »

« Je suis arrivé ici démoralisé mais vous m’avez redonné de la force », déclare un détenu à Frania. Et cette dernière d’ajouter, souriante : « on m’a dit que j’étais un vaccin contre la haine, ça va me rester en mémoire. Je suis certaine que leur parler de ma souffrance les aide à surmonter la leur. »

« Mme Haverland était la plus à même de leur parler de la Shoah, explique Catherine Bujaud, enseignante au scolaire de la Mavo, à l’initiative de cette rencontre dans le cadre d’un projet pédagogique sur le thème des génocides et des déportations. Ce type d’intervention peut leur apporter une forme d’empathie réciproque. C’est aussi le signe de la confiance qu’on leur accorde. »

Source leparisien