En se référant à la chronologie des faits, Philippe Oriol dresse un portrait en demi-teinte du colonel célèbre pour avoir innocenté Dreyfus.
Il arrive parfois que l’actualité stimule les travaux scientifiques. La sortie prochaine du J’accuse de Roman Polanski en offre un bon exemple. Adapté du roman de Robert Harris, le film revisite l’affaire Dreyfus en s’intéressant principalement au lieutenant-colonel Picquart, l’homme qui découvrit de l’intérieur la machination montée contre Dreyfus et mit tout en œuvre, jusqu’à la prison et au sacrifice de sa carrière, pour sauver un innocent. Picquart n’avait évidemment pas attendu Harris et Polanski pour être héroïsé. Dès l’automne 1898, il apparut comme l’homme fort de la geste, celui qui confond le véritable traître Esterhazy et dénonce les faux forgés par l’état-major, ouvrant ainsi la voie à la révision. Un héros. Le lieutenant-colonel Picquart, tel est le titre de l’opuscule que publie alors Francis de Pressensé, futur président de la Ligue des droits de l’homme. L’intervention de Picquart fut en effet décisive : l’engagement dans l’affaire d’un officier supérieur qui n’était ni juif, ni protestant, ni socialiste permit de rassembler bien au-delà du cercle initial.
Héros écorné
Tout cela est exact et nul ne songerait à minimiser le rôle de Picquart dans l’enchaînement des faits ayant conduit à la libération du capitaine Dreyfus. Mais une attention plus soutenue à la chronologie et aux déclarations du colonel modifie cependant l’éclairage. C’est à cette tâche que s’est consacré Philippe Oriol, l’un des meilleurs spécialistes de l’affaire Dreyfus. Le portrait de Picquart en héros en ressort sérieusement écorné. On comprend d’abord que si Picquart parla, il parla tard. Il avait assisté à la scène de la dictée, à celle de la dégradation et perçut vite l’acharnement contre Dreyfus. Dès 1896, il sut qu’Esterhazy était le vrai coupable et que le fameux dossier secret était vide. Mais il voulait que l’initiative vienne de l’état-major, et non d’une «manœuvre des juifs» comme il l’écrit à l’avocat Labori. Il invita donc ses chefs, les généraux Gonse et de Boisdeffre, à rétablir eux-mêmes la vérité, pour préserver l’honneur de l’armée. Ceux-ci préférèrent se débarrasser de lui en le mutant en Tunisie puis en le faisant arrêter. Ce n’est qu’à l’automne 1898, lorsqu’il fut lui-même en danger, menacé d’un conseil de guerre, que Picquart se résolut à tout révéler, pour assurer sa propre sauvegarde plus que celle de l’innocent Dreyfus. Et ce n’est qu’une fois hors de l’armée qu’il s’engagea vraiment dans la bataille.
Salon
Plus tard, une fois Dreyfus libéré, Picquart se rangea avec Clemenceau et Labori dans le camp des intransigeants, ceux qui combattirent la grâce et l’amnistie. C’est là qu’il rompit avec Dreyfus et sa famille, qu’il accusa de «pusillanimité». Il fit courir sur eux des rumeurs injurieuses, leur reprochant de préférer le confort de la liberté et les intérêts immédiats au combat pour la justice, en bref de rabaisser une grande cause.
Devenu ministre de la Guerre, il ne fit rien pour intégrer les années de bagne dans la restitution de carrière du réhabilité. Picquart n’aimait ni Dreyfus, ni son frère Mathieu, ni Joseph Reinach, ni Bernard Lazare, qui avaient selon lui perverti l’affaire. Et cela tenait principalement à son antisémitisme, un antisémitisme larvé, de salon, distinct de la «haine du juif», mais que Marc Bloch considérait en 1941 comme «de beaucoup le plus redoutable chez nous». Insister sur ces aspects comme le fait Oriol ne vise pas à jeter l’anathème sur Picquart, mais à considérer l’histoire de France pour ce qu’elle est, sans fausses illusions ni chevaliers blancs.
Philippe Oriol Le Faux ami du capitaine Dreyfus. Picquart, l’Affaire et ses mythes Grasset, 248 pp., 19 €.
Faut-il faire une réclamation à « Libération » ou à « infojmoderne » pour avoir publié cet article scandaleux ?
Manifestement, Philippe Oriol et son éditeur, bien informés des méthodes publicitaires du marketing néo-libéral, veulent profiter de la sortie du film de Polanski et des éventuelles manifestations qui suivront.
C’est bien bas !
Voilà un officier qui découvre que Dreyfus est innocent. Il veut d’abord en parler à sa hiérarchie : c’est bien normal ! M. Oriol ignore que le statut de lanceur d’alerte, bien balbutiant encore aujourd’hui, n’existait pas à cette époque !
La hiérarchie, bien empêtrée, et qui n’a pas le courage de se désavouer, envoie Picquart faire un tour à l’étranger et lui colle 1 an de prison !
J’aimerais voir M. Oriol en prison pendant 1 an, méditer sur les bienfaits de ses recherches « historiques » !
N’empêche que le colonel n’abandonne pas sa mission, à sa sortie de prison, et finit par obtenir la publication de l’innocence de Dreyfus.
Qu’il ait ou non apprécié la compagnie des dreyfusards historiques, Bernard Lazare, Scheurer-Kestner et autres Zola, n’a strictement aucune importance.
Qu’il ait ou non tenu des propos de table à « connotation » antisémite, nous devrions tous savoir que personne n’a réussi à les éradiquer depuis plus de 2000 ans, même si c’est la forme la plus insidieuse de l’antisémitisme, qui se transmet de génération en génération.
Ce qui est important, c’est que le colonel Picquart fasse partie de ces hommes rares qui vont jusqu’au bout des combats qu’ils entreprennent. Surtout lorsqu’il s’agit de sauver un innoncent !