Comment le gouvernement prépare la dissolution de l’organisme chargé de lutter contre les dérives sectaires

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Serge Blisko
Le 1er janvier 2020, la Mission interministérielle de vigilance et lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) sera amputée du quart de ses effectifs, fondus au sein du ministère de l’Intérieur. Une dissolution de fait qui interpelle.

Créée en 2002, la Miviludes a accompli un travail considérable. Ses treize membres, professionnels de l’éducation, de la santé, du droit ou de la finance, conjuguaient leurs compétences pour analyser les dérives sectaires, effectuer un travail de pédagogie et de formation tout en menant un combat de premier plan contre diverses formes de dérives sectaires, dont au moins de 500 000 Français seraient victimes. Récemment encore, la Miviludes faisait l’actualité avec l’affaire des 350 essais cliniques illégaux conduits, moyennant finances, sur des malades d’Alzheimer et de Parkinson, par une organisation mystique.

Alors que la prolifération du complotisme et des théories pseudo-scientifiques sur internet donne à ces mouvements sectaires un regain d’énergie – les signalements sont passés de 2.300 en 2017 à 3.000 l’année dernière –, la Miviludes, réduite à neuf permanents, sera néanmoins fusionnée avec le Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR), rattaché au ministère de l’Intérieur. Une mesure fidèle aux recommandations émises en 2017 par la Cour des comptes, qui insistait néanmoins sur la nécessité de « conforter » cette instance.

« C’est une catastrophe ! Une véritable destruction ! », glisse à Marianne un proche de la Miviludes. « Cette décision est d’une conséquence terrible », s’indignait sur France Inter son ancien président, le député LR Georges Fenech. « On intervenait déjà sur un énorme éventail allant de la scientologie au satanisme, en passant par les églises évangéliques et les groupuscules les plus divers, précise un autre collaborateur de la Mission. En adjoignant une Miviludes amoindrie à la lutte contre l’islam radical et à la délinquance, on réduit la spécificité de nos problématiques. Le bon sens aurait voulu que nos moyens soient renforcés, pas diminués ! » Depuis quelques années, les mouvements sectaires ont d’ailleurs beaucoup évolués : « On est loin des groupes caricaturaux en toges, explique un militant anti-sectes. Les nouveaux adeptes de ces mouvements sont insérés dans la société, où ils diffusent leur influence. » L’Église de Scientologie, par exemple, vient d’investir 33 millions d’euros dans des locaux de 7 000 mètres carrés à Saint-Denis.

Autre grief, le passage de la Miviludes sous la tutelle de Beauvau : « L’étiquette Matignon n’a pas cette connotation répressive, estime une source interne. En dix-sept ans, on a reçu des centaines de témoins et de victimes, qui venaient en confiance, sans avoir l’impression de s’adresser à des policiers, même si la Miviludes en compte dans ses rangs… »

Dès lors, on s’interroge : pourquoi fragiliser une structure unique au monde, scrutée à l’international pour son efficacité, et dont le budget inférieur à 500 000 euros, en baisse constante, représente une goutte d’eau dans le budget de l’État ? « Les services du Premier ministre ne s’exonèrent pas des efforts demandés aux autres ministères de réduire le nombre de fonctionnaires », nous répond le service communication du gouvernement. Une économie de bout de chandelle peu compréhensible, dans la mesure où les fonctionnaires autrefois affectés à la Miviludes continueront à être rétribués pour d’autres tâches.

« La lutte contre les dérives sectaires n’est plus très importante aux yeux du gouvernement », tranche Charline Delporte, présidente du Centre national d’accompagnement familial et de formation face à l’emprise sectaire. « Depuis 2012, les attentats ont déplacé le curseur vers l’islamisme, et nous sommes passés au second plan. » Mais pour le reste, l’action étatique est en repli : chaque année, le ministre de l’Intérieur adressait une circulaire aux préfets afin que ceux-ci organisent des réunions avec les principaux acteurs de l’action anti-sectes. « Monsieur Castaner a rompu avec cette pratique », constate Charline Delporte, qui s’étonne également de n’avoir jamais été reçue par les services de la présidence, alors que tous les prédécesseurs d’Emmanuel Macron, depuis François Mitterrand, tenaient à s’enquérir de son travail. « Un courrier de l’Élysée m’a demandé de me tourner vers la Miviludes », souligne-t-elle. Alors que la Mission paraît condamnée, Charline Delporte et ses homologues déplorent la disparition d’un relais par ailleurs privé de dirigeant depuis le départ à la retraite de son président Serge Bliski il y a un an. Des candidats de poids, comme l’ex-juge Halphen ou son confrère Marc Trévidic, ont postulé. En vain. Du côté de Matignon, on nie tout désintérêt : « Le gouvernement confirme l’importance accordée à la prévention et à la lutte contre les dérives sectairesRattachée au ministère de l’Intérieur, la Miviludes pourra exercer ses missions en pleine articulation avec le secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation. » Un point de vue que des proches partenaires de la Miviludes, comme les responsables d’associations, sont loin de partager.

L’anthroposophie dans le viseur

« On dérange », tranche un proche de la Mission interministérielle. Et tous nos interlocuteurs de citer en « off » comme personnalité influence concernée par ces thématiques François Nyssen, ex-ministre de la Culture, que Jean-Luc Mélenchon avait décrite comme étant « liée à des sectes. » En cause, une appétence pour l’anthroposophie, véritable multinationale mystique pesant 14 milliards d’euros et déjà citée dans un rapport parlementaire sur « les sectes et l’argent » rédigé il y a vingt ans. Enfin, difficile de ne pas s’interroger à la lecture du mail écrit par Serge Blisko, alors président de la Miviludes, précisant que « sur les conseils du cabinet du Premier ministre [Édouard Philippe, NDLR], nous devons rester en stand-by sur cette question (de l’anthroposophie) »

« Je vois plutôt dans la dissolution de la Miviludes le symptôme d’un processus de modification de la laïcité, destiné à se calquer sur une vision anglo-saxonne, fondée sur une définition extensive de la liberté de conscience, quitte à assurer une visibilité inédite aux dérives sectaires », juge Didier Pachoud, président du Groupe d’étude des mouvements de pensée en vue de la prévention des individus, une association des plus actives. Son homologue Charline Delporte abonde : « En intégrant le ministère de l’Intérieur, la Miviludes se trouve aussi associée au ministre des Cultes. Ce qui revient, en un sens, à associer les groupes sectaires à des religions » Adversaires acharnées de la Miviludes, les sectes auraient-elles remporté une manche décisive ?