Elections israéliennes : comment votent les différents « groupes » sociaux-culturels

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Cols bleus de la périphérie, orthodoxes de tous bords, colons juifs, arabes, « Russes » ou francophones, les ressortissants israéliens forment un mélange complexe d’intérêts communautaires que les listes candidates aux législatives, moyennant parfois de solides compromis, s’efforcent de refléter.

En Israël, les états-majors et les candidats tiennent compte des votes communautaires dans leurs stratégies électorales. Religion et niveau de pratique de celle-ci, origines, niveau socio-économique ; l’électorat israélien est une accumulation et une conjonction de différentes communautés qui, parfois, se superposent, s’ignorent ou s’opposent. Certaines sont politiquement très homogènes, d’autres sont plus diverses. Petit tour d’horizon à la veille des élections législatives de ce mardi.

Les sépharades de la périphérie

Il s’agit de l’électorat-cible du Likoud de Benjamin Netanyahu. Loin de Jérusalem la spirituelle ou de la dynamique Tel Aviv, ce sont les « cols bleus » ou les « gilets jaunes » d’Israël. Souvent ouvriers ou petits employés, ils ne bénéficient pas des mêmes infrastructures ou lieux de loisirs que les habitants des deux grandes métropoles israéliennes.

« Benjamin Netanyahu connaît parfaitement les ressorts de son électorat, explique Philippe Velilla, universitaire et essayiste. Il a un électorat populaire. Le pays est passé à droite un petit peu avant le reste du monde occidental et ce sont les pauvres qui votent à droite, pour des raisons que l’on trouve dans le monde entier. C’est une population de frustrés et, en Israël, il s’agit d’un prolétariat essentiellement sépharade qui reproche à l’establishment travailliste son mauvais accueil et son dénigrement. Netanyahu joue sur ce ressort là. »

La gauche travailliste, qui a enregistré en avril 2019 son pire score électoral, essaie de reconquérir cet électorat populaire. Elle a pour tête de liste son ancien leader Amir Peretz, d’origine marocaine. Cet ancien dirigeant du grand syndicat Histadrout a été le maire de Sderot, ville de cette « périphérie » d’Israël, à la lisière de la bande de Gaza.

Précisément, bon nombre d’habitants de cette « périphérie » vivent en lisière de l’enclave palestinienne sous la menace des roquettes du Hamas et du djihad islamique. Benjamin Netanyahu lui-même a dû être évacué lors d’un meeting à Ashkelon à cause d’un tir de roquettes, ce qui a mis a mal son image de « Monsieur sécurité » du pays.

Les juifs religieux

Qu’ils soient « traditionalistes », « orthodoxes » ou « ultra-orthodoxes », les religieux représentent un peu plus de la moitié de la population juive, les autres étant qualifiés de « laïcs ». Selon leur degré de religiosité, ils votent pour Yamina (le parti de la droite nationale-religieuse conduit par Ayelet Shaked et Naftali Benett), le Shass (parti ultra-orthodoxe sépharade), le Parti de la torah unifiée (parti orthodoxe ashkénaze) voire Otzma Yehudit (Force juive, un mouvement d’extrême-droite inspiré par le rabbin new-yorkais Meir Kahane).

Ces partis – ou leurs leaders, quand ils appartenaient à d’autres formations – ont souvent fait alliance avec Benjamin Netanyahu. Aujourd’hui, pour déboucher en tête du scrutin, ce dernier tente de convaincre au maximum ces électeurs toujours très mobilisés de voter Likoud plutôt que de compter sur une coalition. D’élection en élection, les électeurs les plus religieux sont aussi les plus mobilisés.

Les habitants de Judée Samarie

Certains peuvent faire partie de la catégorie précédente mais, comme l’explique Philippe Velilla dans Israël et ses conflits (éditions du bord de l’eau), « en dépit des clichés très répandus à l’étranger, cette population juive n’est pas homogène ». 

Il faut distinguer les colons selon deux types de motivations. L’une est de nature purement matérielle, le prix du logement dans les territoires occupés étant largement inférieur à celui pratiqué en Israël, (l’autre est idéologique), dans des colonies de sionistes-religieux [et] d’ultra-orthodoxes.

Au total, ils sont donc environ 600 000 à vivre dans ces colonies jugées illégales par le droit international (le gouvernement israélien préférant de son côté parler des « implantations en Judée-Samarie », selon l’appellation biblique) et disséminées partout en Cisjordanie. Ils votent très majoritairement à droite, comme en témoignent les résultats du 17 mars 2015, où le Likoud a obtenu 24 % dans les colonies (l’équivalent de son score national) et Le Foyer juif (le parti sioniste-religieux de Naftali Benett aujourd’hui allié à Ayelet Shaked dans Yamina) 24 % (contre 7 au niveau du pays). Quant au parti religieux ashkénaze Unité de la Torah, il y avait obtenu 17 % des suffrages (soit trois fois plus que son score national).

Jusqu’ici, la participation dans les colonies s’est avérée plus élevée qu’au niveau de tout Israël. Et même si elles ne représentent que 4 % des électeurs, elles suscitent un grand intérêt pour les partis de droite.

Fidèle à sa stratégie de fixer un maximum d’électeurs de droite sur le Likoud, Netanyahu a multiplié les gestes en leur faveur. Ainsi s’est-il rendu à Hébron pour commémorer les 90 ans d’un massacre d’habitants juifs par leurs voisins arabes. Il a aussi annoncé qu’Israël annexerait rapidement la vallée du Jourdain (demeurée en partie sous occupation militaire israélienne) s’il était réélu, avant de délocaliser le conseil des ministres du 15 septembre sur place. Mais ces promesses de rattachement sont récurrentes et pas suivies de faits. Le dernier gouvernement Netanyahu avait annoncé l’annexion d’une colonie à l’est de Jérusalem, Maale Adumim, sans que la loi ne voie jamais le jour.

Sur la question des colonies, Benny Gantz est sur une ligne assez proche. Il est favorable au maintien du contrôle israélien sur la vallée du Jourdain mais dénonce une annonce électoraliste. Il prône également « un renforcement » des blocs de colonies déjà existant.

Les Arabes

Majoritaires dans le nord du pays et représentant une part importante de la population à Jérusalem, Haïfa et dans le Neguev, les Arabes (on inclut dans cette population les Druzes et les Bédouins) constituent environ 20 % de la population israélienne. Bien que citoyens du pays, bon nombre se sentent marginalisés et le taux de chômage est plus important dans les localités arabes qu’ailleurs dans le reste du pays.

Au dernier scrutin du mois d’avril, à peine un électeur arabe sur deux s’est rendu aux urnes. Pour Alean Al Krenawi, professeur de sociologie à l’université du Neguev, « le nombre d’arabes qui ira voter sera un point absolument majeur. Et là, on aurait plus de pouvoir. J’encourage les gens à voter mais je veux voir du changement, je ne veux pas voir dix députés assis et ne rien faire. On nous détruit nos maisons, on marginalise les gens, on ne donne pas les même moyens aux arabes par rapport aux juifs. Je veux voir ce changement sur le terrain ! »

« Mais il y a beaucoup de déception parmi la population arabe et je pense qu’on sera plus ou moins à 50 % de participation. Malheureusement… Et cela va bénéficier à la droite. » Les « dix députés » évoqués sont les députés arabes de la Knesset élus sur des listes de partis arabes mais qui ont fait le choix, depuis des décennies de ne pas participer à un quelconque gouvernement, y compris de centre-gauche. En avril dernier, ces partis ont recueilli 71 % des voix dans leur communauté, en baisse régulière. Voilà pourquoi le leader de la principale liste, Ayman Odeh, affirme qu’il est prêt à gouverner avec un partenaire qui amendera loi Etat-nation de 2018 (qui définit Israël comme « l’Etat-nation du peuple juif »), mettra fin aux destructions de maisons arabes, proposera la paix avec les Palestiniens et lancera un plan de développement économique.

En réponse, le principal concurrent de Benjamin Netanyahu, Benny Gantz (Bleu-Blanc), s’est rendu en meeting électoral à Rahat, une ville bédouine de 60 000 habitants dans le Neguev, en promettant de lutter contre l’insécurité ou de reconnaître l’existence légale de communautés bédouines.

Les « Russes »

Il s’agit en réalité de toutes les personnes nées dans les républiques ex-soviétiques et de leurs descendants. Arrivées massivement dans les années 1990, elles sont aujourd’hui plus de 1 million. Longtemps électeurs du Likoud, les « Russes » votent toujours majoritairement à droite, mais leur vote s’est diversifié et, surtout, ils préfèrent largement le nationaliste Avigdor Lieberman, né en URSS en 1958.

Ce dernier, qui parle hébreu avec un fort accent moldave, fut longtemps le principal collaborateur de Benjamin Netanyahu au parti puis au gouvernement. Ministre des Affaires étrangères et de la Défense, il a refusé de faire alliance avec lui après les élections d’avril dernier. Les discussions ont achoppé sur la question du service militaire pour les juifs religieux (qui peuvent en être exemptés). Au nom d’une vision laïque de la société (anti-cléricale et anti-religieuse, disent ses adversaires), Lieberman veut leur imposer la conscription. Autres alliés potentiels de Netanyahu, les partis religieux souhaitaient eux un dispositif plus souple mais le Premier ministre a échoué à mettre d’accord tous ses interlocuteurs.

Aujourd’hui, Lieberman fait campagne contre la supposée « faiblesse » de Bibi face aux ultras. Ce discours passe très bien au sein d’une communauté russe peu observante, alors que bon nombre de rabbins israéliens doutent de leur judéité. Pour Olivier Rafowicz, candidat sur la liste Lieberman, et lieutenant-Colonel de réserve, le refus du service militaire est symptomatique : « Il y a deux visions d’Israël. Une vision d’avenir, moderne, et un Israël qui a la volonté de retourner aux lois du roi David. Je n’ai pas envie de sourire. J’ai envie de vous dire que l’État d’Israël est face à des menaces tellement graves que nous devons être ultra-rationnels. Si nous partons dans des visions mystiques, nous sommes menacés. »

Pour ramener à lui l’électorat « russe » Benjamin Netanyahu s’est rendu à Sotchi jeudi dernier pour y rencontrer Vladimir Poutine. Officiellement, il s’agissait de parler de diplomatie, de géopolitique et de la situation en Syrie, mais la visée électoraliste de ce voyage-express à cinq jours du scrutin ne fait aucun doute.

Les francophones

Les Israéliens francophones sont au moins 300 000, dont un tiers de Français, les autres étant originaires du Maghreb, de Belgique et du Canada. Après les attentats antisémites contre l’école juive Ozar Hatorah de Toulouse en 2012 et de l’Hypercasher à Paris en 2015, Netanyahu s’était posé en protecteur des Juifs de France, invités à migrer en Israël s’ils le désiraient.

Selon plusieurs études, la majorité des francophones votent pour le Likoud mais se laissent peu à peu tenter par d’autres partis de droite ou bien religieux. Aux côtés du député (UDI) des Français de l’étranger Meyer Habib, qui est l’un de ses proches, Benjamin Netanyahu s’est donc adressé à eux dans leur langue et a donné une interview exclusive à Paris-Match alors qu’il ne s’est exprimé dans aucun média de langue anglaise cette fois-ci.