Henri Guybet alias « Salomon » dans Rabbi Jacob: « Je suis le premier goy ashkénaze »

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Jusqu’au 31 juillet, date de l’inauguration du musée De-Funès à St-Raphaël, nous publions des entretiens avec ceux qui ont côtoyé la star. Ce mardi: l’inoubliable « Salomon ».
Du fond de ses yeux châtaigne, six décennies de “comédies à la française” vous contemplent. Présenté ainsi, l’homme peut paraître impressionnant. Mais Henri Guybet n’a rien d’un monstre sacré.

La preuve: celui qui fut, avec Romain Bouteille et Coluche, l’un des fondateurs du Café de la gare, accepte sans barguigner de revenir sur un rôle qui a marqué sa carrière… il y a 46 ans!

Simple, chaleureux, dans un petit bistrot situé à deux pas du théâtre Daunou où il joue, à Paris, sa dernière pièce (1), l’éternel Salomon des Aventures de Rabbi Jacob ouvre son livre de souvenirs.

Comment avez-vous été choisi pour ce rôle?
Gérard Oury m’avait remarqué dans un film de Georges Lautner, Quelques messieurs trop tranquilles. Il m’a fait venir.
La première question qu’il m’a posée, en s’excusant, c’est: « Est-ce que vous êtes juif? » J’ai répondu: « Non. Mais si le rôle est important, ça peut s’arranger très vite ». Ça  ne lui a pas arraché un sourire! Il m’a expliqué: « C’est parce qu’à un certain moment, le personnage doit parler hébreu. Mais ce ne sont que quelques phrases, ça ne devrait pas être un problème. »

Vous avez passé un essai?
Oui. Il m’a fait jouer la fameuse scène de la voiture, qui était alors beaucoup plus courte… Trois jours plus tard, j’ai reçu un coup de fil: « Venez chercher le scénario. »C’est comme ça que j’ai su que j’étais pris.

Votre réaction en découvrant le script?
J’ai eu un frisson. D’abord parce que j’ai pris la mesure de l’importance du rôle: Salomon était quasiment à toutes les pages! Ensuite parce que c’était très, très bien écrit. Une sacrée bonne comédie.

Vous avez réalisé que le sujet du film était… explosif?
Franchement, non. Je ne connaissais quasiment rien aux conflits qui se déroulaient au Moyen-Orient. Pour moi, comme pour la plupart des Français à l’époque, c’était une guerre qui se passait très loin de chez nous… Je n’ai compris la portée antiraciste de Rabbi Jacob que lorsque j’ai vu le film terminé.

Ce message compte pour vous?
Évidemment. Il inscrit cette comédie dans la lignée de celles de Molière ou d’Aristophane, qui parlaient avec humour des mœurs de leur temps.

Comment Salomon a-t-il été perçu par la communauté juive?
Extrêmement bien. Pour une raison simple: Salomon est un juif qui dit merde, qui ne se laisse pas faire. Ça a beaucoup plu. Je reçois toujours des lettres de parents qui m’invitent à la Bar Mitzvah de leurs fils. [Il rit] Je suis le premier goy ashkénaze ! Aujourd’hui encore, beaucoup de gens s’étonnent lorsque je leur dis que je ne suis pas juif… Je prends cela pour un compliment.

Louis de Funès a confessé que Rabbi Jacob lui avait « décrassé l’âme ». Il a produit le même effet sur vous?
Je connaissais mal cette communauté. Comme Louis, j’ai découvert les coutumes, les traditions, l’importance du sacré… J’ai adoré ça! [Il sourit] Le personnage de Salomon a fait du bien à certains membres de ma famille. J’avais une grand-mère qui était un peu antisémite. Elle adorait Jean Ferrat. Un jour, je lui ai appris que Ferrat était juif. Elle a haussé les épaules: « Tu vois le mal partout! »

Et De Funès? Vous aviez eu l’occasion de le rencontrer avant ce film?
Jamais. Lorsque j’ai dit aux copains du Café de la gare que j’allais tourner avec lui, ils m’ont presque consolé: « Oh là là, tu vas te faire chier! Il paraît qu’il fait couper au montage les comédiens qui lui font de l’ombre. » Louis savait ce qui circulait sur son compte; il s’en amusait. Un jour, il m’a dit: « C’est bien ce que vous faites. C’est dommage, le public ne le verra jamais. » Et… clac! Il mimait des ciseaux! [Il rit] C’était pour rire.

Quel genre de partenaire était-il?
C’était un homme très doux, calme, consciencieux. Il n’aimait pas les médiocres. Si un acteur ou un technicien ne faisait pas correctement son travail, il pouvait être glacial. Mais sinon, il était toujours prévenant.

Un exemple?
Au début du tournage, je n’avais pas de fauteuil à mon nom. Alors j’avais écrit « Henri Guybet » sur une caisse de la production. Il l’avait remarqué. Il n’a rien dit mais, le lendemain, j’avais mon fauteuil personnalisé!

Quelle a été votre première scène ensemble?
Celle de son arrivée dans la rue des Rosiers [reconstituée à Saint-Denis dans une artère vouée à la démolition, N.D.L.R.]. Je suis sur une échelle, je le reconnais et je l’interpelle: « Rabbi Jacob, mon patron m’a fichu à la porte… »
Là, il se retourne, et… il joue avec moi. Je veux dire: il joue vraiment! Il cherche mon regard, guette mes réactions… Il ne voulait pas seulement faire son numéro; il vous aidait à vous surpasser!

Vous disiez que la scène dans la DS, lorsque vous l’avez jouée avec Oury, était plus courte que celle qui figure dans le film…
Certaines choses sont venues naturellement. Lors des répétitions, on a « densifié » la séquence. On a rajouté des silences, des répliques. [Il sourit] Si on m’avait dit qu’elle aurait un tel succès…

Avec le recul, vous ne pensez pas avoir été « enfermé » dans le personnage de Salomon?
Mieux vaut avoir fait ça que rien du tout, non? Je n’ai jamais été attiré par le vedettariat. Mon objectif a toujours été de jouer en essayant de vivre de mon métier. J’ai eu cette chance, jusqu’à aujourd’hui, et je sais que Salomon y est pour beaucoup.

1. Un drôle de mariage pour tous, Théâtre Daunou, 7, rue Daunou 75002 Paris. Renseignements : 01.42.61.69.14.