L’antisionisme est-il une simple opinion ? Par Albert Levy

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La notion pose un problème sémantique : est-elle la critique légitime de la politique du gouvernement israélien ou remet-elle en question la légitimité d’Israël et la population qui y vit depuis soixante-dix ans ?

Tribune. Dans une tribune parue dans Libération (1), «L’antisionisme est une opinion pas un crime», 400 signataires ont attaqué le projet de «criminalisation» de l’antisionisme proposé par le président Macron. Evoquant l’article 4 de la Constitution sur le droit à la liberté d’expression, ils considèrent que c’est une simple opinion, une pensée légitime comme une autre, position qui n’est pas sans rappeler la sinistre conférence de Durban (2001) où le sionisme a été assimilé à racisme. Les arguments invoqués par le collectif pour justifier cette position doivent être discutés.

Selon eux, l’antisionisme était déjà une invention juive : «Un courant de pensée né parmi les juifs européens au moment où le nationalisme juif prenait son essor, il s’oppose à l’idéologie sioniste…» Effectivement, le mouvement du Bund (Union générale des travailleurs juifs de Lituanie de Pologne et de Russie) auquel ils font référence, créé en 1897, la même année que le premier congrès sioniste tenu à Bâle, était un mouvement socialiste juif qui défendait l’assimilation des juifs en Europe en fondant ses espoirs sur l’Internationale ouvrière socialiste et sur la Révolution russe à laquelle il a activement participé. On sait le sort que lui a réservé Staline, l’antisémitisme polonais, puis le nazisme (Marek Edelman, figure majeure de la résistance du ghetto de Varsovie, était un bundiste). Après la Shoah et la quasi-disparition du Bund, le sionisme est resté la seule alternative crédible pour assurer la survie et la sécurité des Juifs européens rescapés.

Si la Palestine n’était effectivement pas une terre vide d’Arabes palestiniens, elle n’était pas non plus une terre vide de Juifs palestiniens, ni vide d’histoire juive avec pour vocation de devenir une terre musulmane, au nom d’une promesse religieuse qui en a fait une partie indissociable du monde arabo-musulman. En 1880, les Juifs représentaient 10% de la population palestinienne et étaient majoritaires à Jérusalem. Entre 1882-1945, 400 000 Juifs et 200 000 Arabes sont venus s’installer en Palestine sous domination ottomane puis britannique. A la veille du plan de partage de 1947, il y avait 600 000 juifs et plus de 800 000 Arabes sur ce territoire. On sait quel sort fut réservé par le monde arabo-musulman à ce plan de partage accepté par les Juifs : ce fut le début du drame israélo-palestinien. Quant à la présence d’histoire juive sur cette terre, il n’est pas besoin de rappeler qu’elle remonte à plus de 2 500 ans avant J.C., le dernier Etat juif a disparu avec la résistance de Massada contre les Romains en mai 73 après J.C. (comme l’écrasement de la résistance du ghetto de Varsovie mit fin au Yiddishland en mai 1943).

Les signataires demandent au président de la République d’assurer la sécurité et la protection des Juifs, et surtout de ne pas livrer «les Juifs de France et leur mémoire à l’extrême droite israélienne» (sic). Sans souligner l’absurdité de cette demande, rappelons que le départ de Français juifs (5 000 par an en moyenne) est surtout dû à l’antisémitisme et l’antisionisme islamiste qui sévit en France depuis plus de trente ans (depuis 2006, les seuls cas de passage à l’acte avec crime mortel, 11 morts, viennent de musulmans). L’ensemble des actes antisémites a augmenté de 74% en France en 2018. Comment endiguer ce flot de haine, qui ne date pas d’hier et qui a récemment aussi profité du mouvement des gilets jaunes pour donner libre cours à son expression ? Comment éradiquer ce mal ? «Que les auteurs de ces actes soient sévèrement punis», répondent les signataires. Or, c’est justement ce que proposait le président Macron en pointant un antisémitisme dissimulé derrière l’antisionisme. Le sionisme, qui a pour origine les pogroms dans les pays de l’Est et surtout l’affaire Dreyfus en France, a été consolidé par la Shoah : c’est la prise de conscience que les Juifs ne peuvent compter que sur eux-mêmes pour assurer leur sécurité et leur survie dans le cadre d’un Etat. Le sionisme, comme mouvement de libération du peuple juif, est né dans le contexte des droits historiques des peuples, base de la morale politique au XIXsiècle, puis du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes après 1945, d’où il tire sa légitimité comme de nombreux autres peuples en Europe, au Proche-Orient et dans le monde.

«Les exactions intolérables que les sionistes les plus acharnés font subir aux Palestiniens» sont malheureusement réelles et réciproques, conséquences de l’état de guerre qui dure depuis cent ans entre Palestiniens et Israéliens autour de ce territoire : le Hamas, parti islamiste irrédentiste, continue d’œuvrer pour la destruction de l’Etat hébreu et à combattre son rival, le Fatah, qui, de son côté, soutient des exigences impossibles à réaliser aux yeux des Israéliens, comme le droit au retour des réfugiés. Cette situation de blocage et de division des Palestiniens, incapables de s’unir et de former un Etat, favorise la politique d’occupation progressive de la Judée Samarie par les Israéliens qui, pour leur sécurité, veulent renforcer leurs frontières face à des adversaires dans lesquels ils n’ont aucune confiance. De plus, au nom d’un messianisme religieux, des Israéliens pensent également que cette terre leur a été donnée par Dieu dans sa totalité. Depuis le tragique assassinat de Rabin, un débat intense traverse la société israélienne autour de ces questions.

Un problème sémantique se pose donc autour du terme antisionisme que ce texte véhicule : si c’est la critique légitime de la politique d’un gouvernement avec lequel on n’est pas d’accord, pourquoi l’appeler antisionisme ? Si c’est remettre en question l’existence et la légitimité de l’Etat d’Israël et de la population qui y vit depuis soixante-dix ans (plus de 8 millions de personnes aujourd’hui), l’antisionisme peut-il être réduit à une simple opinion ?

Albert Levy Architecte urbaniste, chercheur au laboratoire LAVUE/UMR CNRS 7218 membre du Réseau environnement santé (RES)

Source liberation