« Fallait pas supprimer », le vengeur masqué de Twitter

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Il exhume les tweets supprimés et les contenus embarrassants. Son dernier fait d’armes : les messages haineux d’un cadre de Nocibé, qui vient d’être suspendu de ses fonctions.

Tapi derrière son écran, le doigt rivé sur la touche « screenshot », il guette les faux pas des tweetos et les reculades qui s’ensuivent. L’animateur anonyme du compte Twitter « Fallait pas supprimer », 36 000 followers, est en passe de devenir une petite vedette. Et un objet de polémique. Il faut dire qu’il dégaine vite, et que l’exercice auquel il se livre – recueillir les tweets supprimés et les contenus embarrassants – fait de plus en plus souvent mouche. Lundi 25 février, il épinglait un tweet haineux du directeur marketing de Nocibé envers l’humoriste Yassine Belattar. Ce cadre a, depuis, été suspendu de ses fonctions par la chaîne de magasins de cosmétiques.

C’est lui qui a exhumé les tweets racistes et antisémites de l’avocate Emmanuelle Gave, qui annonçait qu’elle serait « en position éligible » sur la liste du parti souverainiste Debout la France aux élections européennes de mai. Face au scandale, Nicolas Dupont-Aignan a dû annoncer, le 20 février, qu’il n’en serait rien.

C’est aussi « Fallait pas supprimer » qui a révélé la fébrilité des membres de la Ligue du LOL, une trentaine de journalistes et de communicants accusés de harcèlement sexuel ou homophobe en ligne. Quelques heures après que l’affaire eut éclaté, le 8 février, « Fallait pas supprimer » publiait, en direct, le nombre de tweets que chacun d’entre eux était en train d’effacer… Une vague de nettoyage inédite.

Qui est à la manœuvre, derrière ce compte ? Un homme, pour ce que l’on en sait. « Je ne communique aucune donnée personnelle. Vous ne saurez pas “d’où je parle” », nous écrit-il depuis la messagerie chiffrée ProtonMail. Il a créé « Fallait pas supprimer » en décembre 2017, inspiré par le site américain Web Archive et la démarche d’un anti-Trump qui compile tous les tweets (y compris ceux effacés) du président américain.

« Coup de pression »

L’élément déclencheur fut la suppression de deux posts gênants par Antoine Griezmann, alors englué dans la controverse déclenchée par son « blackface » – le footballeur s’était grimé en basketteur noir des Harlem Globetrotters. « C’était comme prétendre que “rien ne s’était passé” », explique le justicier de la transparence, pour qui un tweet effacé en dit plus que mille autres : « Certaines suppressions révèlent une des faces cachées d’un tweeto, une réaction “à chaud”, un tweet sous le coup de la colère, de l’émotion, un tweet supprimé à la suite de pressions… » A ceux qu’il épingle et qui tentent de se justifier, il assène : « Ma fonction est d’exposer ce que tu supprimes, pas les explications qui vont avec. »Sans pitié.

Ses méthodes, son ton ulcèrent nombre d’observateurs des réseaux. Lors du déclenchement de l’affaire de la Ligue du LOL, il n’a pas hésité, par exemple, à mettre – publiquement et avec un certain sadisme – un « coup de pression » à l’un de ses membres, lui faisant croire qu’il avait deux heures pour faire son mea culpa avant que de vieux dossiers ne réapparaissent. Du bluff. L’intéressé n’a pas craqué.

Le propriétaire de « Fallait pas supprimer » ne s’impose aucun rythme de publication, mais consacre parfois plusieurs heures par jour à alimenter son fil. A l’en croire, c’est une tâche assez artisanale, pour laquelle il s’appuie, en partie, sur Social Blade, un outil informatique qui recense toutes les actions menées sur un compte. « On me contacte aussi beaucoup par DM [message privé] pour m’alerter sur tel ou tel contenu, soit déjà supprimé, soit susceptible de l’être. Je ne suis pas seul, beaucoup de tweetos participent. Évidemment, je contrôle tout ce qu’ils m’envoient », précise-t-il.

Comment choisit-il ses cibles ? Le « vengeur » revendique ne pas avoir de ligne éditoriale : de La France insoumise au Rassemblement national, des footballeurs aux éditorialistes, du Printemps républicain aux soutiens de Tariq Ramadan, nul n’est épargné sur sa timeline. Plus que d’un engagement politique, son intransigeance relève d’une posture morale propre à l’époque et partagée par d’autres justiciers du Web, comme le journaliste et ami d’Edward Snowden, Glenn Greenwald.

Le débat sur la protection des données personnelles et les dérives d’Internet lui est familier, et il assume la polémique : « Twitter est public. Dès qu’un tweeto poste un tweet, celui-ci demeure dans l’espace public. Quant au “droit à l’oubli”, il n’est pas compatible avec Internet tel qu’il est conçu. Il n’y a donc pas de débat possible sur ce sujet, selon moi. »

Moi je suis ce compte, et sincèrement c’est un anti-dépresseur de première catégorie : je me marre en le lisant et aussi en lisant les réactions des cibles!!!

Source lemonde