Israël, paradis pour chats errants et chiens en laisse

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Le maire de Jérusalem, où l’on compte pourtant la plus haute concentration au monde de chats non-domestiqués, a annoncé un programme alimentaire à destination de ces félins.

Ils étaient trois, moue revêche, cuir balafré et museau bouffé par les germes de calicivirose. Trois khatoulim (chats, en hébreu) rouquins qui faisaient la loi sur autant de poubelles au pied de notre immeuble. Rois des détritus à la langue pendante, couchés avec l’autorité d’un sultan sur les couvercles des bennes à ordure, oreilles alertes et griffes prêtes à être dégainées façon cow-boy de chez Sergio Leone. A partir de là, il n’a pas fallu longtemps pour comprendre la dichotomie chiens-chats en Israël.

Les canins, surtout à Tel-Aviv (qui serait, devant New York, la ville au plus haut ratio de chien par habitant), ont atteint un stade de domestication proche de la sacralisation régressive. Ils ont leurs boutiques, leurs plages, leur festival, leurs gamelles d’eau fraîche dans chaque restaurant et bar. A Tel-Aviv, on vient boire des canons avec son chien, le plus souvent un husky démesuré ou shiba japonais, aussi bling-bling que peu adapté au climat local.

2000 félins au kilomètre carré

A l’inverse, les chats, eux, rôdent l’air mauvais et malingre, de Tel-Aviv à Jérusalem, sans dieu ni maître, à la recherche d’une pile de croquettes laissée par une vieille dame, tout à leur survie et luttes territoriales. On dit que leurs ancêtres ont été lâchés ici par les Anglais du temps du mandat britannique, afin de traquer les rats. Leurs descendants seraient aujourd’hui aux alentours de deux millions, soit un chat de gouttière pour quatre habitants, un record mondial. A Jérusalem, leur concentration est estimée à 2 000 félins sauvages au kilomètre carré.

Bref, Israël a un problème de chats. Ce qui rend la dernière décision du nouveau maire de Jérusalem d’autant plus étonnante. Moshe Leonélu grâce aux voix des juifs ultraorthodoxes, a annoncé que la municipalité allait allouer 100 000 shekels (25 000 euros) par an pour nourrir les félins de la Ville sainte, que son prédécesseur avait affamé en installant des poubelles aux couvercles hermétiques. Des «points d’alimentation» seront par ailleurs ouverts pour y laisser des croquettes. L’annonce a horrifié les experts, comme le raconte Haaretz, qui prévoient moult scénarios catastrophes pour la biodiversité locale : explosion d’une population déjà pléthorique, obésité féline, déséquilibre de la chaîne alimentaire, arrivée en masse de chiens errants, rats, corbeaux et autres damans des rochers (une marmotte du cru)…

Absurdité monty-pythonesque

La haute considération de l’édile pour les khatoulim peut s’expliquer par son biais religieux. Citant la Torah, de nombreux rabbins interdisent tout mauvais traitement des animaux. En 2015, l’ultra-droitier ministre de l’Agriculture Uri Ariel (du parti nationaliste-religieux Le Foyer juif) s’était appuyé sur ces lectures talmudiques pour sabrer les subventions allouées à la stérilisation des chats non domestiqués, vue comme une maltraitance. Pour réguler leur nombre, Ariel avait évoqué un plan à l’absurdité monty-pythonesque consistant à capturer puis déporter dans un pays étranger tous les spécimens d’un des deux sexes, afin d’empêcher qu’ils se reproduisent.

Dans un pays où le véganisme est une banalité, voire un dogme, et la SPA locale (fondée avant même l’Etat hébreu) toute puissante, toute forme d’éradication animale est taboue. Se dessine désormais un futur Israël où chiens et chats vont rejouer la guerre culturelle entre Tel-Aviv et Jérusalem, entre canins gauchistes et manucurés sur la côte et félins bien nourris du côté du mur des Lamentations.

Guillaume Gendron

Source liberation