
Ancien patron du groupe Hachette, Arnaud Nourry vient de créer sa maison, Les Nouveaux Editeurs, avec son vieil ami Ronald Blunden, et un moral de vainqueur.
Il n’y a pas si longtemps, Arnaud Nourry avait deux assistantes et un chauffeur. A la tête du groupe Hachette (qu’il avait hissé au premier rang des éditeurs français, et au second mondial), il était le mogul le plus respecté du métier. Mais voilà, il y avait un calife au-dessus du calife : Arnaud Lagardère, le patron de Vivendi dont Hachette était le fleuron. Bien qu’ils eussent le même prénom, les deux Arnaud n’avaient rien pour s’entendre. Et quand Lagardère, à la suite d’une opération capitalistique dont l’historique se trouve sur internet, décida de se vendre à Bolloré, Nourry, qui s’y était opposé, fut instantanément mis à pied. C’était en mars 2021, et le vent souffla, sinon de la révolte, de la consternation générale.
Quatre ans plus tard, Arnaud Nourry repart de zéro. Il vient de créer Les Nouveaux Editeurs et, forcément, il ne sait pas sur quel bouton appuyer pour faire marcher la photocopieuse. C’est avec son fils, Ugo Nourry, et une poignée de copains (dont Ronald Blunden, plus que fidèle lieutenant, un ami de longue date) qu’il s’est installé rue Séguier, anciennement fief d’Actes Sud, dans 70 mètres carrés. « On s’est accrochés assez rapidement, avec mon fils, quand je lui ai dit que je n’allais pas perdre mon temps à prendre les billets pour la Foire de Francfort, trouver un hôtel, ou simplement chercher un document que j’ai égaré dans mon ordi. Je lui ai dit qu’on allait prendre une assistante. » Niet d’Ugo. A l’image des jeunes patrons de start-up, qui savent plus ou moins tout faire, le fiston allait donc apprendre au père comment se débrouiller avec les moyens du bord.
Des moyens pas si maigrichons, au demeurant. Car Artémis, la holding de François Pinault, a annoncé, début février, qu’elle entrait au capital (qui reste contrôlé par Nourry) de la société. « Quand j’ai rencontré François Pinault, au bout d’une demi-heure il avait décidé qu’il avait envie de participer à cette aventure », dit Nourry. De quoi faire taire les malveillants. Car, au début, ça faisait un peu rire dans le milieu, cette nouvelle maison. On se disait que l’ancien patron de Hachette avait voulu se faire plaisir en montant sa boîte avec des potes, histoire d’occuper les heures en attendant le week-end. Il y avait bien cet accord de premier regard (une priorité d’achat, en quelque sorte) avec Simon & Schuster, le mastodonte américain. Mais Pinault, c’est autre chose. Et dans le milieu, d’un coup, ça rigole moins : on se dit que Nourry est en train de créer un nouveau groupe qui risque de largement se servir dans le camembert des parts de marché.
Alors que les premiers titres viennent de sortir (trois romans dont « le Secret de Thyrcée » d’Aline Desarzens et « Aveu de tendresse » de Cécile Cayrel), Nourry insiste sur l’aspect « disruptif » de son projet. Son idée, c’est d’inviter des éditeurs de 40/50 ans à le rejoindre, et de créer leur structure dans le giron de son groupe, moyennant une part au capital et une logistique tip top dont, chez Hachette déjà, il connaissait tous les rouages. « J’ai observé qu’à cet âge il est difficile de monter une maison d’édition. Parce que quand on a 50 ans, on n’accepte pas facilement de ne pas se payer pendant un an. Deuxièmement, on a des auteurs qui sont déjà arrivés à un certain niveau de maturité et qui demandent 20 000, 30 000 ou 40 000 euros d’à-valoir. Si vous embarquez dix auteurs qui sont dans cet ordre de grandeur, ça fait un investissement important. Et puis ensuite, ces auteurs, même s’il y a un lien amical avec leur éditeur, ils ont envie de savoir qui sera leur diffuseur, qui sera leur distributeur, qui sera leur attaché de presse. »
Dézinguer son ancien patron
Le message de Nourry ? Editez, je m’occupe du reste. Il a ainsi persuadé Julia Pavlowitch, anciennement Phébus, de le rejoindre avec son label La Tribu. Bientôt, Virginie Fuertes et Damien Naddeo lanceront Maison Pop, un label de littérature populaire, au sein des Nouveaux Editeurs, suivis par Dana Burlac (qui vient des Editions de L’Observatoire), Pauline Miel (ancienne de Flammarion), Clément Ribes (passé par L’Olivier, Christian Bourgois) et Diana Filippova, une autrice de chez Albin Michel. Sans oublier un éditeur de BD, mangas et comics et un éditeur pratique/non-fiction avec la publication d’une bio d’Einstein par Walter Isaacson à la rentrée.
Ronald Blunden, actionnaire de la boîte mais intervenant « bénévole », est quant à lui à la retraite. Il vit d’ailleurs à la campagne, dans le Berry. Mais pour avoir dirigé la com de Schlumberger et de TF1, travaillé avec Nourry chez Hachette et œuvré comme éditeur chez Mazarine et Calmann-Lévy, il connaît lui aussi la musique. Sur le site de la maison, on lit qu’il aime « les vieilles Mercedes, les livres anciens, la sculpture sur bois et les cigares ». Quant à Nourry, « outre sa passion pour le rugby, il est grand amateur de vins fins et de musique classique ». Voyez, ce ne sont pas des punks. Mais des tontons flingueurs, certainement. « J’ai l’air sympathique mais j’ai mauvais caractère. Quand on m’emmerde, je le dis », confie Nourry, moitié pour rire, moitié non.
S’il se garde bien de raconter les dessous de son éviction du groupe Hachette, il ne faut, de fait, pas le forcer beaucoup pour l’entendre dézinguer son ancien patron « façon puzzle ». « Je n’avais aucun lien avec Arnaud Lagardère, d’aucune sorte. J’ai bossé dix-huit ans pour lui, je n’ai jamais pris un petit déjeuner, un déjeuner ou un dîner ni fait un voyage avec lui. » Mais le vent a tourné, comme souvent dans les affaires. Et, même si Nourry s’en défend, sa porte reste ouverte aux éditeurs du groupe Hachette que Bolloré, un jour, fera peut-être fuir. Si le profil des éditeurs qu’il recherche ne correspond pas à ceux de ces fringants soixantenaires, rien n’empêcherait Nourry de leur réserver une place à part. Disruptif, quand on vous dit disruptif…
Poster un Commentaire