Nicolas Demorand : « Je suis un malade mental »

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Dans « Intérieur nuit », le coprésentateur de la matinale de France Inter révèle sa bipolarité. Il se confie au « Point » pour briser la chape de plomb du silence, du déni et de la honte.

« Je suis un malade mental », nous confie-t-il. Dans Intérieur nuit, le livre bouleversant qu’il publie aux Arènes, Nicolas Demorand, le coprésentateur de la matinale de France Inter la plus écoutée de France, révèle sa bipolarité, pour laquelle il est soigné à l’hôpital Sainte-Anne. Jugeant sa maladie trop longtemps inavouable, il raconte au Point comment elle l’a mené, après plus de dix ans d’errance médicale, de honte et de souffrances atroces, à une tentative de suicide.

Véritable coup de massue, son témoignage, détaillé, poignant, sans concession, entend briser la chape de plomb du silence, du déni et de la honte. Déterminé à encourager, en prenant la parole pour la première fois, celles et ceux qui souffrent de maladie mentale sans oser l’avouer, il s’expose et l’assume : « Si un “#Metoo de la maladie mentale” émergeait, tous ceux qui souffrent aujourd’hui en silence et dans la honte verraient leur vie sacrément améliorée », soutient-il, car « crever en silence n’est pas un destin ». Entretien.

Le Point : Nicolas Demorand, de quoi souffrez-vous ?

Nicolas Demorand : Je souffre d’un trouble bipolaire de type 2, BP2, une maladie qui est considérée comme lourdement handicapante par l’OMS. Et qu’on pourrait décrire comme un yo-yo psychique. Vous descendez dans la dépression, vous vous effondrez, puis vous remontez très haut dans la joie, vous traversez une certaine forme d’hyperpuissance, avec une élocution très rapide et assurée, et le yo-yo continue pendant toute votre vie, puisque c’est une maladie dont on ne guérit pas.

Elle est soignée, certes, mais vous vivez dans une forme d’instabilité psychique très perturbante. Vous ne savez pas si vous irez bien ou mal demain. Ce que vous savez avec certitude, en revanche, c’est que même si vous êtes bien, ça finira par aller mal. Vous payez toute phase de bonheur par une phase de dépression, toute phase « high » par une phase « down ».

Quand avez-vous été diagnostiqué ?

Il y a huit ans, à l’hôpital Sainte-Anne. J’ai résisté à ce diagnostic parce que je ne voulais pas être considéré comme un malade mental. J’ai fini par l’accepter et par essayer de m’y faire. C’est étrange : il faut à la fois baisser les armes et ne pas se révolter contre cet état. Et en même temps accepter de se battre quand même. Se battre, ça veut dire par exemple aller travailler, et travailler avec acharnement.

Je copilote la première matinale de France [avec Léa Salamé, NDLR]. Je me lève la nuit à 3 h 30, je file à la radio pour préparer cette émission quotidienne de trois heures, en direct, sans filet, mais je dois aussi accepter, à d’autres moments, le poids d’un psychisme déréglé contre lequel je ne peux rien faire.

Mais la souffrance est beaucoup plus ancienne…

Oui, beaucoup plus ancienne. Je ne compte plus. Mon psychiatre m’a demandé, au début, si j’avais une idée de la date des premiers symptômes. J’ai ouvert mon ordinateur, j’ai tapé « Psy ». Les premières occurrences du mot, c’est en 2004. Or j’entre à Sainte-Anne en 2016. Ça ferait douze ans. Mais je me souviens qu’en khâgne, vers 1990-1991, je prenais déjà du Prozac. Donc ça fait peut-être trente ans.

Ce retard au diagnostic caractérise l’errance médicale. Pendant dix ans, douze, peut-être quatorze, que sais-je, je n’ai pas été soigné, je n’ai pas vu les bons médecins. On m’a gavé de médicaments qui ne faisaient qu’aggraver la situation. Si j’ai pu souffrir par le passé, et souffrir atrocement, c’est parce que je n’étais pas soigné ou mal soigné.

Quel était le mauvais diagnostic ?

Dépressif. Or je ne suis pas dépressif. J’ai des épisodes dépressifs par lesquels j’entre en bipolarité. Et pendant dix ou douze ans, aucun des médecins que j’ai vus – psychanalyste, généraliste, psychiatre – ne s’est dit : « On le gave de médicaments et pourtant il reste dans le même état… Il y a un problème ! » Cette errance médicale, l’absence de diagnostic, vous conduit à des états de souffrance psychique absolument monstrueux, dont on n’a pas idée.

Je peine à formuler les choses. Essayons : vous êtes bipolaire, mais on ne vous l’a pas dit ; on vous donne des antidépresseurs avec l’objectif de vous « remonter ». Vous montez, très haut. Et vous entrez alors dans une phase maniaque. On vous fait redescendre, puis remonter. Et ainsi de suite. Les mauvais médicaments, c’est une calamité absolue. L’errance médicale tue.

Plus ça va, et plus vous avez mal. La souffrance psychique est une souffrance physique. C’est à hurler de douleur. Vous ne savez pas d’où ça vient. Ça n’a pas d’origine et ça n’a pas d’issue, ça n’a pas de sens et ça ne sert à rien. C’est une attaque de l’âme, de l’esprit. S’il fallait décrire le mode de pensée de la dépression, c’est la rumination. Et la rumination fait mal parce qu’elle est humiliante : vous ruminez sur le débris que vous êtes devenu. Alors vous vous mettez en position fœtale, parce que c’est une position de neutralisation de la douleur. Et c’est dans ces moments-là que vous vous dites que vous voulez mourir. Non pas parce que vous avez envie de mourir, mais parce que vous voulez arrêter de souffrir. Vous vous dites : je préfère me flinguer pour que ça cesse.

Vous avez en effet tenté de vous suicider…

Oui. Vous prenez vos médicaments, vos antidépresseurs, les anxiolytiques, les gouttes, les cachets, les gélules, vous prenez tout, et pourtant vous crevez de souffrance. Et à un moment, vous vous dites : « Quelle est la seule chose que je n’ai pas essayée ? » C’est ça, en fait. Cette tentative de suicide était la marque de l’épuisement. J’en peux plus. J’en peux plus. Je n’en peux plus de souffrir.

Et c’est à partir de cette tentative de suicide que le bon diagnostic a été fait ?

Le bon diagnostic, il s’est fait en deux temps. La première personne que je rencontre à Sainte-Anne est morte aujourd’hui. Elle s’appelait Jean-Pierre Olié. Formidable médecin, un colosse avec un accent du Sud-Ouest. Je sortais de ma tentative de suicide, j’étais lessivé. Je prenais, sur ordonnance, 7, 8, 9 barrettes de Lexomil par jour. J’ai bien dit « barrettes ».

J’en avais marre de raconter ma vie à des médecins. Et je me retrouve en face de ce grand psychiatre qui me dit : « Vous souffrez de dépression depuis dix ans, ce n’est pas normal. On vous a donné de mauvais médicaments. On va trouver ensemble les bons, et ça ira très vite mieux. » Et rendez-vous dans quinze jours. Deux semaines après : « Ça va mieux ? » Je dis que non. « Alors on arrête, on change, si ça ne marche pas au bout de quinze jours, ça ne marchera jamais. » C’est au troisième essai qu’un médicament me sort en quelques jours de la dépression. Ensuite, il m’a confié à son confrère, qui a coupé cet antidépresseur, pour voir si je m’effondrais. Non. Donc je ne suis pas un dépressif. Et à partir de là, il y a présomption de bipolarité, BP2, comme ils disent…

Ces psychiatres vous sauvent la vie, mais ils vous disent aussi que, pour toujours, pour vous, la vie sera « grise », et qu’il faudra vous méfier du bonheur…

Oui, et c’est le deuil le plus insupportable, se dire qu’être heureux est dangereux, comme dit le peintre Gérard Garouste. Là, je parle avec vous, je suis content, mais il y a un petit truc dans ma tête qui me dit : ce moment que tu apprécies, il va déboucher sur quoi, potentiellement, ce soir ? Comme des nuages qui s’amoncellent…

Vous ouvrez d’ailleurs votre livre par une citation de Baudelaire tirée du « Spleen de Paris » : « les merveilleux nuages… »

Oui, j’essaie de considérer que les nuages sont merveilleux, j’essaie d’y voir un peu de couleur, dans ce gris. Mon psychiatre définit le soin de la bipolarité comme une tension entre un tableau de Soulages et un de Rothko… On passe de l’outrenoir à des formes plus feutrées d’utilisation de la couleur et de la lumière. Yoga, d’Emmanuel Carrère, décrit très bien cette situation.

Vous avez partagé d’ailleurs le même psychanalyste, François Roustang, qui vous dit – comme Carrère le raconte aussi : « Le suicide est parfois une solution… Mais, sinon, vous pouvez vivre… »

Ah oui ! Quand François Roustang m’a dit cette phrase, je me suis dit : « Qu’est-ce qu’il est fort ! » Des années plus tard, je lis Yoga, et je trouve la même phrase, mais adressée à Emmanuel Carrère. Je me suis dit : « Il est vraiment gonflé. Roustang sortait ça à tout le monde ! »[Rires.] À la fin de mon livre, je cite aussi Sérotonine, de Houellebecq. C’est le grand écrivain de la dépression. Il n’y en a pas beaucoup.

Vous parliez du deuil du bonheur… Mais n’y a-t-il pas un premier deuil quand on vous diagnostique « malade mental », comme vous le dites dès la première phrase du livre ? Le deuil de la « normalité » ?

Quand j’ai reçu le diagnostic, j’ai d’abord eu une phase de déni. J’ai dit non, non, non. Trois mois de déni. Bipolaire, moi ? Venez me le prouver ! Je voulais bien être mélancolique, déprimé, peut-être gravement, mais pas « malade mental ». D’ailleurs, à Sainte-Anne, j’étais soigné dans une aile un peu éloignée du cœur de l’hôpital. On peut se dire que ce n’est pas vraiment l’hôpital. Donc il m’a fallu du temps pour l’admettre. Et du temps pour accepter de prendre du lithium, qui est le médicament qui soigne le mieux la bipolarité.

Pendant trois mois, je disais de manière ridicule : « C’est quoi, cette merde qu’on met aussi dans des piles électriques et des batteries de voiture ! » Donc j’ai d’abord résisté aux diagnostics. La honte et le secret ont ensuite agi comme des cocons protecteurs. J’allais à Sainte-Anne avec ma capuche sur la tête, avec la hantise d’être découvert aussi. Parfois, dans l’ascenseur, des gens me reconnaissaient : « Ah, qu’est-ce que vous faites là ? Vous êtes malade ? » Je répliquais : « Non, pas du tout. Je viens voir quelqu’un. » Ils me répondaient, et c’était déchirant : « C’est bien de ne pas oublier les gens. On crève de solitude ici. »

Vous aviez l’impression de mener une double vie ?

Oui, bien sûr. Il y a la petite poignée de gens qui savent. Et de cette petite poignée de gens qui savent, il faut retrancher ceux qui savent mais ne comprennent pas. Qui vous disent « bouge-toi » ou « va à la piscine »… Les autres ne savent rien et le secret devient de plus en plus lourd. Un jour, alors que j’étais sur le point de me confier, une figure des médias m’a interrompu : « Stop. N’en parlez pas ! Pas un mot, jamais ! Vous mordez votre poing, vous allez pleurer chez vous le soir, mais vous n’en parlez sous aucun prétexte, sinon vous êtes mort socialement et professionnellement, car vous apparaîtrez comme un homme faible. » Je suis resté tétanisé. Ces phrases ont défini mon mode d’emploi pendant dix ans… Mais à un moment, je n’avais plus de poing à mordre. Il n’y avait plus de poing, rien qu’un moignon.

Vous arrivez à le dater, ce moment où vous avez décidé de sortir de ce cocon du secret ?

Il y a trois ans. J’étais au fond du trou. Je parlais à Léa Salamé de la tonne de médicaments que je prenais. J’ai fait la liste : Depakote, Teralithe, Lexomil, Largactil, et tous les autres. Léa m’arrête et me dit : « Est-ce que tu as déjà pensé à raconter ton histoire, essayé l’écriture comme médicament ? » Je reste médusé : à aucun moment l’idée d’un livre ne m’avait traversé l’esprit. La banquise se fissure… Et elle se fissure davantage le jour où je rencontre mes éditeurs, Pierre Bottura et Laurent Beccaria, des Arènes, dans le bar d’un hôtel, pour évoquer ce « médicament de l’écriture ».

C’était la première fois de ma vie que je racontais ma maladie à deux personnes que je ne connaissais pas. J’étais complètement parano – j’avais peur des oreilles indiscrètes dans le bar –, j’avais la voix qui tremblait, les larmes aux yeux, j’étais en hyperventilation… Ils m’ont encouragé à écrire et je m’y suis mis à fond. Mais je suis rapidement entré dans une phase maniaque : je me levais à 2 heures du mat, je réécrivais cent fois les phrases. C’était pathologique, alors j’ai tout arrêté : trop dangereux.

Et puis il y a eu le 25 septembre dernier. Une journée spéciale est organisée à la radio, « Santé mentale, la fin d’un tabou ». Je suis en réunion avec l’équipe de la matinale, j’entends : « On cherche quelqu’un qui pourrait témoigner, dont on n’imagine pas qu’il souffre… » Je me sens mal, je fais des gestes à Léa, je ne peux pas faire cette émission ! Mais on l’a faite. J’entendais témoigner à l’antenne les malades, les soignants, les familles, et j’avais envie de hurler. De dire « moi aussi, moi aussi, je suis malade, moi aussi, je sais ».

Et ça n’a pas été imaginable de le faire, de le dire, à ce moment-là, devant les 5 millions d’auditeurs ?

Je me suis posé la question, mais je n’ai pas osé, j’ai eu la trouille, je me suis dit : « Ça va être du mélange des genres. » Ç’a été un enfer. Parce que, oui, moi je sais, je sais ce que c’est la psychiatrie, je sais ce que sont les traitements, je sais ce que sont les souffrances, je sais ce que c’est le regard sur la maladie et le malade, je sais ce que c’est que la honte. Je sais la souffrance pour les entourages, je sais ce qu’endurent les compagnons, les compagnes, je sais tout ça, je sais. Mais je me suis dit : « Ferme-la. »

Et puis, à la fin de l’émission, en sortant du studio, une grande spécialiste de la santé mentale me dit : « Par pitié, ne nous abandonnez pas, continuez à parler des maladies mentales. Et arrêtez de parler de santé mentale quand il s’agit de maladie mentale. » Elle pensait s’adresser au journaliste. Et là, je me suis dit : ce livre, je vais l’écrire, pour moi, pour tout le monde, je vais l’écrire.

Dans les moments où ça allait très mal, qu’est-ce qui vous a le plus aidé, et qu’est-ce qui vous a le moins aidé ?

Dans les moments où je vais très, très mal, ce qui m’aide, c’est le dialogue plusieurs fois par jour avec mon psychiatre, par téléphone ou par SMS. Dans ces moments-là, c’est quasiment à flux continu. C’est un artiste des médicaments, alors je lui demande très concrètement : « Qu’est-ce que je prends à 16 heures ? Est-ce qu’on peut se rappeler à 22 heures pour faire le point ? Et voir comment on fait pour la nuit ? » J’ai une confiance absolue en lui. Ce qui m’aide le moins, ce sont les proches qui exportent leur angoisse sur moi, qui pensent que si tu as disparu quatre heures, c’est que tu t’es suicidé… « Pourquoi tu ne réponds pas ? Mais qu’est-ce qui se passe ? » Ça, c’est infernal…

Vous évoquez l’entourage. Cela se passait comment, avec vos parents, vos enfants ?

Les enfants comprennent mieux que les parents. Quand ils étaient tout petits, je leur disais : « Papa est malade, ce n’est pas comme une grippe, mais parfois papa est triste, et parfois très content… Il ne faut pas vous inquiéter, papa a un docteur qu’il va voir très souvent. » Je trouvais que c’était suffisant mais ce qui est intéressant, c’est qu’aujourd’hui, où ils ont 15 et 17 ans, ils me disent qu’ils étaient prêts, alors, à en savoir plus sur ce qui m’arrivait.

Comment ont-ils réagi à la lecture ?

Ma fille est en train de le terminer. Elle lisait le chapitre sur la thalassothérapie, hier, et elle était pliée de rire… Mon fils l’a lu, très concentré, et il m’a demandé : « Est-ce que tu ne vas pas apparaître faible ? » Et je lui ai répondu : « Et quand bien même ? » Je voulais absolument qu’ils le lisent avant la parution, parce qu’il y a la question du suicide, je n’y vais pas de main morte, et je ne veux pas qu’ils l’apprennent à la cour de récré… Quant à mes parents, mon père est mort aujourd’hui, et ma mère a perdu la mémoire. Mais, pour des gens de cette génération, la maladie mentale était un tabou et incompréhensible.

Et pour les compagnes ?

La mère de mes enfants a fini par voir qu’il y avait un problème. Je n’étais pas encore diagnostiqué mais elle voyait bien les moments d’effondrement. Il faut être honnête, pour les proches, c’est un enfer. Le malade trouve qu’ils en font trop, ou pas assez. J’ai besoin, quand je suis dans ces états-là, soit d’être seul, soit d’une présence la plus légère possible. Je n’ai pas besoin d’injonction, qu’on me dise « sors » ou « va prendre une douche ». Parce que si je ne peux pas prendre une douche, c’est parce que ce n’est pas possible, et non parce que j’aime la crasse. Si je ne dors pas dans mon lit mais sur un canapé, c’est parce que le lit m’angoisse. Il faut un vrai travail d’écoute avec le malade, mais aussi de la subtilité.

Si je n’ai pas faim mais qu’il faut manger, ma compagne sort, achète quelque chose et revient avec un petit frichti, et ça fait un moment sympa. Ou alors vous découvrez en rentrant de la pharmacie que la couette, sur votre canapé, a été changée et la pièce aérée. Des petites attentions comme ça, c’est bien, des micromoments d’attention qui ne sont pas invasifs et qui font vraiment plaisir.

Vous êtes devenu un expert de votre maladie ?

Absolument. Quand je croise des dépressifs ou des bipolaires, je les conseille. « Va voir tel médecin. »« Tu as pris quoi comme antidépresseurs ? »« Ça ne marche pas ? Alors il faut que tu en changes. Le médecin ne veut pas ? Insiste jusqu’à ce qu’il modifie ton traitement… » Je suis devenu une sorte de psychiatre amateur, de pharmacien du dimanche. J’essaie d’aider les gens quand je sens qu’ils en ont besoin. Moi, je sais, donc c’est plus facile…

C’est un peu ce qu’on appelle un pair-aidant ? Quelqu’un qui est passé par la même maladie et qui aide les autres ?

J’aimerais bien jouer ce rôle, et ce livre est une façon de le faire. Il montre qu’il est possible de parler, il encourage à le faire. C’est un livre qui veut casser le mur de la honte.

Comment gère-t-on cette maladie quand on est l’animateur de la première matinale de France ?

Je me lève tous les matins pour les auditeurs d’Inter. La radio, c’est mon exosquelette. Je suis capable de tenir l’antenne sans encombre, en direct, pour 5 millions d’auditeurs. J’y arrive grâce à mon traitement et à Léa Salamé. Notre amitié dépasse le cadre professionnel. Elle a partagé mon secret. Elle m’a dit : « Tu n’es pas que ta maladie, Nico. » Et puis : « Sors de ton trou, vas-y, écris. » Elle a trouvé l’issue. Elle m’a aidé à casser la peur et la honte, cela m’a rendu plus fort. Je ne peux pas oublier ce qu’elle a fait pour moi.

Pensez-vous que cette révélation puisse avoir aussi un effet sur votre maladie ?

C’est un moment très important pour moi. Je suis soulagé du poids du secret. Mon livre va bientôt vivre sa vie et j’avoue être étonnamment calme. Mais j’ai appris à me méfier des périodes d’accalmie, et mon psychiatre est vigilant.

« Malade mental, quelle promesse te faire ? », dites-vous à la dernière page, comme si vous vous adressiez à ces millions de gens qui souffrent du même mal que vous. Quelle promesse leur faire ?

C’est vrai, je m’adresse, là, à mes sœurs et mes frères en maladie. La promesse ? C’est que tu ne pourras pas être complètement réparé. Le monde qui t’entoure reste, et restera, fracturé. Mais il est possible, par le soin, d’y trouver une place. Et à certains moments, une forme de bonheur. C’est ça, la promesse, pour moi, après tant d’années, de décennies de silence. La promesse, c’est qu’il peut y avoir quelques couleurs dans ton monde abîmé. Car ton monde est abîmé, ton psychisme est abîmé, mais ça ne veut pas dire que tu vas vivre une vie de faible intensité.

Moi, je considère que ma vie bipolaire est une vie de haute intensité, et cette vie, c’est celle que 600 000 à 1,5 million de personnes vivent en France. Et sans doute beaucoup, beaucoup, beaucoup plus. Mais oui, je vis une vie qui est riche, une vie professionnelle et une vie intime souvent intense.

C’est important de marteler cette expression, « malade mental », parce que c’est un mot qui stigmatise ? Comme le cancer l’a été à une époque ?

Oui, c’est important. Les mots ont un rôle. Je répugne à utiliser des périphrases, comme « une personne qui a des troubles d’ordre bipolaire ». Et je n’éprouve désormais plus aucune forme de honte à dire « j’ai une maladie mentale », comme on a cassé le tabou du cancer il y a quelques années.

Vous écrivez : « Je suis malade mental dans un monde qui ne sait pas ce qu’est la maladie mentale. » Qu’est-ce que le monde devrait savoir, qu’il ne sait pas ?

Qu’on est des gens normaux, là où on voit des anormaux, qu’on est soigné et soignable, qu’effectivement on a un rapport parfois un peu claudiquant à la vie, mais ce n’est pas parce qu’on souffre qu’on doit être soustrait à l’humanité générale, être exclu du monde du travail. Ce livre est fait pour aider les gens. Une jeune femme de ma famille est bipolaire. Elle est encore dans le déni, elle ne se soigne pas correctement. Peut-être a-t-elle honte ? Je veux lui mettre ce livre entre les mains pour prolonger nos conversations et lui montrer qu’il n’y a pas de fatalité.

Vous venez de lancer le « #MeToo de la maladie mentale » ?

Peut-être, oui. Je suis un malade mental. Voilà. C’est dit. Quelqu’un est-il mort dans la pièce ? Non ! J’ai trouvé la bonne manière de me soigner, je peux vivre et la vie est possible. On peut aimer, rencontrer des gens, avoir des amitiés, ressentir de l’amour, travailler… En écrivant ce livre, oui, j’ai eu la volonté de tout dire, de ne surtout pas me cacher, et d’encourager les malades à sortir de la gangue de silence dans laquelle j’ai failli mourir, étouffé pendant de trop longues années. Donc oui, il faut parler, si vous le pouvez, si vous le voulez.

Et si un « #MeToo de la maladie mentale » émergeait, je suis certain que tous ceux qui souffrent aujourd’hui en silence et dans la honte, tous ceux qui rasent les murs, verraient leur vie sacrément améliorée. Pendant des années, j’ai eu honte. Moi aussi, je rasais les murs. J’avais peur du regard posé sur moi. Aujourd’hui, je veux parler parce que j’ai eu trop longtemps l’impression de suffoquer en silence, et je voudrais dire à tous ceux qui souffrent qu’il est possible de parler. Crever en silence n’est pas un destin.

Propos recueillis par Christophe Ono-dit-Biot et Valérie Toranian

Source lepoint

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