
L’historien Elie Barnavi, ancien ambassadeur en France, dénonce une tentative de changement de régime, avec un Premier ministre qui a entrepris de démanteler tous les piliers de la démocratie israélienne.
Israël est au bord d’une crise constitutionnelle sans précédent. Trois jours après la reprise de la guerre à Gaza, le gouvernement israélien a limogé dans la nuit de jeudi 20 mars le chef du Shin Bet, Ronen Bar. Ravivant du même coup les profondes divisions qui traversent la société face au retour des bombes dans l’enclave palestinienne où se trouvent encore de nombreux otages. La Cour suprême a finalement suspendu ce vendredi la décision en se laissant jusqu’au 8 avril pour étudier ce renvoi, inédit dans l’histoire du pays.
Historien et diplomate, ancien ambassadeur d’Israël en France, Elie Barnavi connaît intimement la vie politique israélienne et ses rouages. Il nous fait part, depuis Tel-Aviv vendredi 21 mars, des craintes qui le tenaillent sur l’avenir de la démocratie israélienne.
L’ancien président de la Cour suprême Aharon Barak a déclaré vendredi que le limogeage par Nétanyahou du patron du Shin Bet «laissait planer sur le pays l’ombre d’une guerre civile». Cela vous a surpris ?
Pas du tout, je fais partie de ceux qui le pensent aussi. Il y a en Israël deux peuples qui se regardent en chiens de faïence et ne se comprennent plus, c’est là le drame. On a un Premier ministre qui a déclaré la guerre à la démocratie israélienne ou ce qu’il en reste. Il est rentré de ses entretiens avec Donald Trump à Washington regonflé à bloc, et il ne comprend pas pourquoi il ne pourrait pas faire en Israël ce que Trump fait aux Etats-Unis. Il a donc entrepris de démanteler tous les piliers de la démocratie israélienne. C’est la seule chose qui peut lui permettre de s’accrocher au pouvoir, ça et la guerre. La guerre est pour lui le moyen le plus évident, le plus sûr de rester à son poste.
Nétanyahou s’appuie sur sa base. Le quart de la population israélienne lui est acquis. Les sondages disent qu’environ 70 % des Israéliens souhaitent son départ. Le problème, c’est qu’il n’y a pas de mécanisme constitutionnel qui le permette. Il a encore consolidé son pouvoir il y a quelques jours en rappelant au sein de son gouvernement Itamar Ben Gvir, un extrémiste ouvertement raciste. Donc rien, pour l’instant, ne l’oblige à s’en aller.
Ce qui se dessine maintenant, c’est la crise constitutionnelle. La Cour suprême vient de s’opposer au limogeage du chef du Shin Bet ; si Benyamin Nétanyahou passe outre, on ne sait pas où la crise peut nous mener. Les patrons du Shin Bet et du Mossad ont déjà dit qu’ils obéiraient à la loi mais pas à un homme. Peu de gens le savent, mais le Shin Bet, par la loi, est chargé, en plus de la lutte contre le terrorisme et de la sécurité intérieure, de la protection de la démocratie. Et lors de cette réunion où Nétanyahou a décidé de limoger Ronen Bar, un des ministres a proposé d’enlever au Shin Bet cette mission de protéger la démocratie, c’est très grave. On est en train d’assister à une tentative de changement de régime. Cela avait été entamé le 6 janvier 2023 quand Nétanyahou, après être revenu une nouvelle fois au pouvoir, avait lancé sa réforme judiciaire. Il avait dû mettre sur pause devant la colère populaire, souvenez-vous de ces manifestations monstres sur les routes d’Israël, et puis le 7 Octobre nous a fait passer dans une autre histoire. Aujourd’hui, le projet revient.
Vous êtes inquiets pour les jours à venir, et notamment pour la grande manifestation de ce samedi ?
Par ailleurs, contrairement aux Etats-Unis, Nétanyahou n’est pas président, il n’a pas les pleins pouvoirs. Aux Etats-Unis, tout repose sur un certain nombre de valeurs partagées, le président a des prérogatives pratiquement illimitées, d’autant que la Cour suprême lui est acquise. Nétanyahou, lui, est Premier ministre dans un régime parlementaire, il est un peu gêné aux entournures.
Même le président d’Israël, Isaac Herzog, qui n’est pas du genre à ruer dans les brancards, s’est dit «troublé» par la reprise de la guerre, cela peut avoir un impact ?
Non, il a juste émis quelques réserves polies. Il est là grâce à Nétanyahou.
Qu’est-ce qui peut faire bouger les choses alors ?
La mobilisation populaire et la Cour suprême. La police est déjà tombée sous la coupe de Nétanyahou puisqu’il l’a confiée à Itamar Ben Gvir, cet extrémiste dont l’armée n’a pas voulu et qui a été maintes fois interrogé par la police et le Shin Bet, c’est fou quand on y pense. La police israélienne est devenue brutale et violente.
La mobilisation populaire peut-elle atteindre les niveaux d’avant le 7 Octobre ?
Des centaines de milliers d’Israéliens étaient dans la rue cette semaine, il y a des manifestations tous les jours et l’on attend beaucoup de monde ce samedi. Mais c’est compliqué, car il n’y a pas un seul mot d’ordre. C’est un mouvement tout à la fois massif et confus. Qui ne ressemble pas du tout à celui auquel on était habitué avant la guerre. Cela part un peu dans tous les sens. Mais si Nétanyahou refuse d’obéir à la Cour suprême, tout peut basculer et je n’exclus pas qu’il y ait une éruption de violences. Aux dernières nouvelles, les tribunaux, les universités, les entreprises high-tech menacent de faire grève.
L’armée pourrait-elle se soulever contre Nétanyahou, ou contre la police si elle réprime trop brutalement les manifestants ?
Non, l’armée ne se mêle pas de politique, du moins pas ouvertement. L’armée, en Israël, fait ce que le gouvernement lui dit de faire. Là où il y a des remous, en revanche, c’est chez les réservistes. Il y a des unités où la moitié des réservistes refusent de se présenter. Beaucoup ne voient plus très bien l’utilité de cette guerre. Ce qu’il faut savoir, c’est que l’armée de l’air israélienne est composée surtout de volontaires, des réservistes qui servent un jour par semaine pendant toute leur vie. La force de l’armée de l’air, ce sont ses réservistes. Par ailleurs, d’anciens officiers généraux et de chefs des services se sont organisés pour contester la décision de limoger le dirigeant du Shin Bet. C’est un peu une tradition chez nous, les anciens sont facilement contestataires. Et la plupart de ces anciens détestent Nétanyahou et ses alliés.
Vous évoquiez, au début de cet entretien, deux Israël qui s’opposent. Comment les définiriez-vous ?
Sommairement, c’est «l’Etat de Tel-Aviv» contre «l’Etat de Judée». D’un côté l’Israël libéral, démocrate et laïc incarné par Tel-Aviv, de l’autre l’Israël des religieux, des colons et des ultraorthodoxes incarné par Jérusalem. Ces derniers, l’extrême droite, les nationalistes religieux de Bezalel Smotrich, les fascistes d’Itamar Ben Gvir et les ultraorthodoxes sont unis par un même intérêt politique et financier (les ultraorthodoxes ont besoin de l’argent de l’Etat pour entretenir leur système). Chez les premiers, en revanche, on trouve un éventail d’opinions et de positionnements parfois divergents, des militants pour la paix jusqu’à la droite dure et laïque d’Avigdor Lieberman. Ce qui unit tous ces gens-là, c’est le sort des otages. Pour l’heure, l’attention de l’opinion est focalisée essentiellement sur ce drame qui a touché au plus profond les Israéliens. C’est pourquoi ceux-ci se permettent des choses qu’ils ne se seraient jamais permises avant la guerre.
Ce qui se passe en Cisjordanie ne trouble pas les Israéliens ?
Les exactions actuelles en Cisjordanie sont pour une part une compensation offerte par Nétanyahou à son extrême droite pour avoir les coudées franches à Gaza. Il se déroule, c’est vrai, une guerre de basse intensité en Cisjordanie, comme on n’en avait pas vu depuis la deuxième Intifada, avec des chars et des avions. Et les colons font ce qu’ils veulent, car personne ne regarde ce qu’il se passe là-bas. En revanche, si les otages ne reviennent pas, si certains sont tués dans les bombardements en cours, alors là il y aura une explosion de colère contre Nétanyahou. Le facteur unifiant de l’opposition, ce sont les otages, or la guerre les met en danger. Les otages, c’est la dernière carte dont dispose le Hamas et il va l’utiliser jusqu’au bout.
Les Palestiniens d’Israël ne vont-ils pas finir par prendre fait et cause pour ceux de Cisjordanie ou de Gaza ?
Ils ont affaire à un gouvernement de cinglés, ils sont tétanisés de peur, je ne crois pas qu’ils vont sortir de leur réserve.
Monsieur Barnavi sous « ses anciens habits » d’ancien Ambassadeur et de Professeur ne semble pas du tout ému des évènements du 7/10 ni du Nouvel Etat d’Israël qui est en marche, il se contente de relever que « le quart de la population » est acquis au Premier Ministre et que 70 % de la population souhaite son départ ?! C’est une honte de travestir les chiffres et je pense que c’est le contraire de ce qui se passe effectivement dans le Pays.
J’invite M. Barnavi, comme ses compagnons de la gauche, à commencer (enfin) à changer leur logiciel qui nous mène à la situation qu’il décrit faussement.