L’affaire Dreyfus au Musée d’art et d’histoire du judaïsme

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Le Musée d’art et d’histoire du judaïsme, à Paris, cherche à remettre le militaire au centre de la tragédie judiciaire qui l’a frappé. Loin de l’image d’un homme presque spectateur.

Pour la seconde fois en vingt ans, le Musée d’art et d’histoire du judaïsme (Mahj) revient sur l’affaire Dreyfus, avec une nouvelle exposition. Quoi de neuf depuis 2006, pourrait-on se demander ? Une édition des œuvres complètes d’Alfred Dreyfus, en 2024, l’acquisition récente par le musée de formidables dessins du chroniqueur judiciaire du procès de 1899, et l’impression, par-dessus tout, que l’époque le réclame.

« Le regain de l’antisémitisme ainsi que des polémiques complotistes récentes laissant à nouveau planer le doute sur l’innocence de Dreyfus rendent nécessaire de reposer les choses », juge Paul Salmona, directeur du musée. L’historien et grand spécialiste Philippe Oriol et l’historienne de l’art Isabelle Cahn ont donc repris leur bâton de pèlerin pour raconter cette tragédie judiciaire et humaine qui déchira la France à la toute fin du XIXe siècle.

Quelque 250 archives, photos, portraits, extraits de presse, mais aussi objets – dont les lorgnons du capitaine -, viennent illustrer leur propos. Si les deux commissaires n’ont pas voulu aboutir à une exposition-dossier, ils n’ont eu que l’embarras du choix pour trouver des archives. Dreyfus passa douze ans à écrire, y compris son journal, un procès eut lieu, et la bataille des anti et des pro-Dreyfusard se déroula largement dans la presse.

La famille a par ailleurs toujours refusé de vendre le moindre manuscrit, versant régulièrement des documents de premier ordre au site Yad Vachem en Israël, à la BnF, au Musée de Rennes ou à celui du judaïsme. Ce dernier possède, entre autres trésors, les galons qui furent arrachés au capitaine dans la cour de l’École militaire, aux cris de « Mort au juif ! » lancés par la foule.

Enregistrements de sa voix

Alfred Dreyfus naît en 1859 dans une famille alsacienne marquée par la défaite de 1871 et l’annexion de l’Alsace-Moselle. Fervent patriote, polytechnicien, il mène une brillante carrière militaire qui sera brisée en 1894. À la suite d’un complot, il est injustement accusé de haute trahison au profit de l’Allemagne, est condamné par un conseil de guerre, dégradé et déporté sur l’île du Diable, au large de la Guyane, pendant quatre longues années. L’exposition démonte l’incroyable machination ourdie par l’état-major, qui n’hésitera pas à faire des faux pour ne pas avoir à se dédire. Elle fait également toucher du doigt l’antisémitisme virulent de la France au XIXe siècle.

« Nous avons souhaité présenter l’affaire “avec” Dreyfus, en le replaçant au centre du propos. On a trop longtemps véhiculé une image d’un Dreyfus effacé, spectateur passif de sa propre affaire », explique Isabelle Cahn. Outre des photos de famille, des phrases du capitaine forment un fil rouge pour la visite et lui donnent la parole. Une partie des murs sont couverts des graffitis obsessionnels de Dreyfus, faits à Cayenne pour ne pas devenir fou de solitude. On peut même écouter un des rares enregistrements de sa voix, datant de 1912.

L’exposition s’appuie sur une galerie de personnages, puisque l’affaire en eut tant. Grâce à des prêts, notamment du Musée d’Orsay, de grands tableaux les montrent dans leurs certitudes. On rencontre Bernard Lazare, intellectuel et un des tout premiers soutiens, lorsque personne ou presque personne ne doutait de la culpabilité de Dreyfus.

Émile Zola, bien sûr, qui lança son « J’accuse…! » en 1898, à la une de L’Aurore, après avoir publié dans Le Figaro. Ou Jean Jaurès, qui prononça un discours fleuve en 1903. En face se tiennent le général de Gallifet, ministre de la Guerre, ou encore Édouard Drumont, auteur de La France juive, ouvrage qui fut réimprimé 200 fois.

Traitement de l’affaire au cinéma

Des dessins de presse donnent un aperçu de la bagarre qui agita jusqu’aux foyers français. On connaît par exemple celui de Caran d’Ache, Un dîner en famille, publié dans Le Figaro en 1898. D’abord montrée sous un jour calme (« Surtout, ne parlons pas de l’affaire ! »), une tablée se transforme ensuite en empoignade générale (« Ils en ont parlé ! »). La une du Petit Journal montre la République ordonnant que l’on « se remette au travail », avec, au loin, une table d’hommes discutant encore et toujours de « l’affaire ».

Gracié en 1899 – ce qu’il récusa, car il voulait être totalement blanchi -, Dreyfus sera réhabilité en 1906. Mais sa carrière ne sera jamais reconstituée. On lui dénia les années passées au bagne, qui auraient pourtant été nécessaires à obtenir un grade supérieur.

L’exposition s’achève sur le traitement de l’affaire au cinéma avec des actualités Pathé, un Méliès de 1899 et des fictions censurées par le gouvernement français. Ce dernier promulgua en 1915 une loi interdisant tous les films sur Dreyfus, qui ne sera levée qu’en 1950.

« Alfred Dreyfus. Vérité et justice », au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme (Paris 3e), jusqu’au 31 août. 

Source lefigaro