La légende américaine Gene Hackman et sa femme retrouvées mortes à leur domicile

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À la veille des Oscars, où l’acteur avait été primé à deux reprises, Hollywood perd l’un de ses plus célèbres durs à cuire. La piste criminelle n’est pas envisagée, selon les autorités locales.

« Je ne me vois pas finir en vieil acteur respectable », disait Gene Hackman en 2000. L’acteur, oscarisé pour French Connection (1971) ou Impitoyable  (1992), et sa femme Betsy Arakawa ont été retrouvés morts à leur domicile à Santa Fe, mercredi 26 février dans l’après-midi, a confirmé le shérif du comté de Santa Fe, Adan Mendoza, rapportent plusieurs médias américains dont Variety . L’acteur avait 95 ans et sa femme, pianiste, 63. Le shérif du comté a précisé que leur chien avait été retrouvé également sans vie.

Si la cause et l’heure exacte des décès n’ont pas été communiquées, la piste criminelle n’était pas envisagée, selon le shérif du comté de Santa Fe. « Nous sommes au milieu d’une enquête préliminaire sur un décès, en attente de l’approbation d’un mandat de perquisition », a déclaré le shérif au Santa Fe New Mexican.

Ours mal léché

Durant sa longue carrière, l’acteur américain a tout fait pour se tailler une réputation d’ours mal léché. Dans les dernières années de sa vie, il en rajoutait à longueur d’interviews, se définissant comme « un casse-couilles quatre étoiles » et caricaturant son personnage de dur à cuire irascible. « Je plains les metteurs en scène qui travaillent avec moi », confiait-il.

Clint Eastwood n’était pas dupe. Il le voyait comme « un arbre puissant et indéracinable mais au feuillage fragile ». Gene Hackman doit à Eastwood son second Oscar en 1992 pour Impitoyable (meilleur second rôle). En l’occurrence, son personnage de shérif brutal, Little Bill Daggett, tient plus de l’arbre indéracinable que du feuillage fragile. Son premier Oscar, Hackman le décroche grâce à « Popeye », le flic de French Connection, réalisé par William Friedkin en 1971. Le rôle qui change tout. Le film qui fait basculer une carrière. C’est donc par là qu’il faut commencer.

À ce moment-là, Gene Hackman sort presque de nulle part. « Ce n’était ni mon premier, ni mon deuxième, ni même mon dixième choix, raconte Friedkin. Très clairement, je n’en voulais pas, il était beaucoup trop tendre pour le rôle. Mais on a fini par se rendre à l’évidence : nous n’avions tout simplement personne d’autre. Et aujourd’hui, je suis incapable d’imaginer le film sans lui, il est parfait. Cette chance qu’on a eue, on la doit au “Movie God”… » Sur le tournage, la relation entre les deux hommes est électrique. Dès le premier jour, Gene Hackman veut jeter l’éponge. « Il a fallu plus de vingt prises pour qu’il parvienne à gifler un dealer, se souvient le réalisateur. Là, je me suis dit qu’on était vraiment dans la merde. Hackman est contre la violence, il déteste ça, et il se croyait incapable de jouer un rôle pareil. Il a vécu dans une petite ville de l’Illinois gangrénée par le Ku Klux Klan,  il a le racisme en horreur et était persuadé qu’Egan (le vrai policier qui sert de modèle pour Popeye, NDLR) était xénophobe. » En 1988, Hackman rejouera un Popeye aseptisé en interprétant l’agent du FBI antiraciste dans Mississippi Burning, d’Alan Parker.

En attendant, Friedkin choisit la méthode dure pour se faire détester par son acteur et le pousser dans ses retranchements. Ça marche. Hackman se transforme au fil des jours en Egan, ce personnage brutal qu’il exècre. Quand Popeye tire dans le dos d’un suspect désarmé, le public y croit. French Connection sort aux États-Unis le 9 octobre 1971 et fait un carton au box-office. Il empoche cinq Oscars. Hackman devient une star. Après des années de doutes et de vache enragée.

Abandonné par son père à 13 ans

La vocation d’acteur d’Eugene Alden Hackman est née très tôt, non pas en Californie où il voit le jour le 30 janvier 1930, au temps de la Grande Dépression, mais à Danville, une bourgade à 100 kilomètres au sud de Chicago. « Une ville qui vous raye de la carte si vous n’en partez pas à temps. » Son père, rédacteur du Commercial News, plaque son boulot et sa famille quand il a 13 ans, en 1943. Le gamin joue dans la rue ; son père au volant de sa voiture lui fait un salut de la main avant de disparaître. « Je suis peut-être devenu acteur à cause de ce geste de mon père. Il était si… précis. Je n’avais pas besoin d’autre chose pour comprendre ce qu’est un acteur. » 

Depuis qu’il a découvert James Cagney et Edward G. Robinson au cinéma, Hackman veut jouer la comédie. Faute de savoir à quelle porte frapper, il s’engage dans les Marines à 16 ans pour voir du pays. Pendant six ans, il sillonne l’Asie : Shanghai, Yokohama, les Philippines. Il goûte à l’alcool (son cocktail préféré : deux tiers whisky, un tiers vodka), aux bagarres, aux filles et à la radio de l’armée. De retour aux États-Unis, il se cherche encore. Radio, peinture, ou écriture, il papillonne. En Californie, il prend des cours dans un théâtre de Pasadena avec un gringalet nommé Dustin Hoffman. « On nous a prédit que nous étions ceux qui avaient le moins de chance de réussir », raconte-t-il à James Lipton dans « L’Actors Studio » qui lui est consacré. « À l’époque, ça n’allait pas du tout. Je n’avais pas le genre de physique qu’on recherchait et je n’avais aucune confiance en moi. Je multipliais les petits rôles, j’enchaînais les petits boulots… et j’en arrivais à me demander pourquoi j’avais décidé d’être acteur. »

Bonnie and Clyde

Hackman et Hoffman continuent de ramer à New York, où ils vivent en colocation avec Robert Duvall. Ils trouvent un job de déménageurs, bientôt rejoints par Robert Redford. Gene porte les armoires, Dustin les chaises, les deux Robert les canapés. Un soir, l’équipe de déménageurs découvre Marlon Brando dans Un tramway nommé désir, dirigé par Elia Kazan. On leur décrit Brando comme un génie, ils voient un comédien au travail. Hackman se fait jeter de l’Actor’s Studio. En 1964, il n’a qu’une scène dans Lilith, avec Jean Seberg, Peter Fonda et Warren Beatty mais tape dans l’œil de son partenaire. Beatty l’engage en 1967 pour Bonnie and Clyde, d’Arthur Penn. Il joue Buck, le frère de Clyde. Criblé de balles, il se traîne à quatre pattes : « Je me suis inspiré de la mort d’un taureau dans l’arène. » Hackman doit beaucoup à Penn, avec qui il tournera ensuite La Fugue et Target. Les gens du métier le repèrent. C’est alors que Friedkin le prend à contrecœur sur French Connection et change son destin.

En 1973, Hackman partage l’affiche avec Al Pacino dans L’Épouvantail, de Jerry Schatzberg. Le grand gaillard sort de prison et souhaite créer une entreprise de lavage de voitures. Le petit marrant veut rencontrer son enfant qu’il ne connaît pas. Les deux taillent la route dans une Amérique peu accueillante avec les vagabonds. Le film décroche la palme d’or à Cannes. Même récompense l’année suivante pour Conversation secrète, de Francis Ford Coppola, à qui Hackman dira non pour Apocalypse Now. Il campe un spécialiste de la filature engagé pour mettre sur écoute un couple. Le road-movie de Schatzberg et le thriller paranoïaque post-Watergate de Coppola sont les deux films préférés de Hackman. Ils lui donnent l’occasion de jouer « des personnages étranges, ni noirs ni blancs ». Mais ce sont des échecs commerciaux. L’acteur encaisse mal. « J’ai été très touché par le fait que personne n’aille voir ces films dans lesquels je m’étais tant investi. J’ai perdu toute confiance à faire des choix. Et d’une certaine façon, j’ai abandonné. J’ai considéré cette activité comme un simple travail. J’ai recommencé à m’en remettre à ce qu’on me proposait. »

Retraite anticipée

Selon l’intéressé, son âge d’or n’aura pas duré une décennie, de 1967 (Bonnie and Clyde) à 1974 (Conversation secrète). Il refuse Vol au-dessus d’un nid de coucou, de Milos Forman, devient amer. Hackman divorce de Fay Maltese, une employée de banque avec qui il a trois enfants. Il déprime, picole. Au tournant des années 1980, il se planque au Nouveau-Mexique pour sculpter, peindre et pratiquer la voltige aérienne. Quand il sort de sa retraite anticipée, il tourne trois films par an et enchaîne les rôles de salauds : avocat corrompu dans La Firme, de Sydney Pollack, pistolero dans Mort ou vif, de Sam Raimi, commandant de sous-marin tyrannique dans USS Alabama, de Tony Scott… Il met pour la première fois les pieds à Cannes en 2000, pour présenter Under Suspicion, une adaptation de Garde à vue, de Claude Miller, qu’il produit et interprète avec Morgan Freeman. Il reprend le rôle de Michel Serrault, après avoir tourné dans le remake de La Cage aux folles.

La nouvelle génération de cinéastes fait peu appel à lui, à l’exception de Wes Anderson en 2001. Dans La Famille Tenenbaum, il est Royal, un chef de famille égoïste et manipulateur. Flic, tueur, soldat, bagnard révolté, astronaute dépressif, entraîneur de ski (dans un nanar avec Jean-Claude Killy), prêtre héroïque (L’Aventure du Poséidon), super-vilain de Superman, Hackman aura presque tout joué, par passion, pour la gloire ou pour l’argent. « Je ne regrette aucun des films que j’ai tournés, confie-t-il. Même ceux qui n’ont pas bien marché. J’en ai fait un certain nombre parce que l’acteur initialement choisi s’était désisté. Vu la qualité de la concurrence à Hollywood, je m’estime encore heureux d’avoir été choisi en seconde position. » Au fond, Hackman n’était pas si ingrat avec ce métier, auquel il a beaucoup donné et qui lui a beaucoup rendu.

Source lefigaro