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L’eurodéputée, vice-présidente du parti d’Eric Zemmour, prend la lumière et affiche ses ambitions électorales au point de faire de l’ombre à son candidat et compagnon.
Le comité des fêtes de Casteljaloux, dans le Lot-et-Garonne, recevait, le samedi 22 février, un invité de marque pour sa sixième édition de la Fête des boeufs gras. Eric Zemmour, en sa qualité de président de parti, était au premier rang du défilé bovin. Si on lui avait posé la question, il y a une dizaine d’années, il se serait sans doute imaginé un autre passe-temps après une candidature à l’élection présidentielle. Bien sûr, il continue ses visites à l’étranger. Dimanche, pour les élections législatives allemandes, il était à Berlin, aux côtés de la leader d’extrême droite Alice Weidel. Mais depuis quelques mois, il apparait moins dans les médias, ou aux côtés personnalités politiques influentes. Moins que Sarah Knafo en tout cas. Qui, au même moment, est sur le chemin retour de Washington, où elle a assisté à la convention des conservateurs (CPAC) en présence des trumpistes et du gratin de l’extrême droite européenne.
Qu’il paraît loin le temps où la trentenaire, tête pensante de la campagne 2022, refusait d’apparaître publiquement, ne jurait que par le « off » et misait tout sur son compagnon et candidat Zemmour. Elue au Parlement européen sur une ligne libérale, souverainiste et identitaire radicale au mois de juin dernier, après une campagne laborieuse, Sarah Knafo s’est rapidement accommodée de son nouveau rôle de personnalité publique, et bénéficie aujourd’hui d’une surexposition médiatique.
« Vous ne savez pas qui je suis ? »
« Qu’est-ce qu’elle est brillante ! » Le compliment est signé Bernard Guetta. L’eurodéputé Renew rencontre Sarah Knafo à Strasbourg, dans un taxi pour se rendre à la gare. Ils bavardent quelques minutes avant qu’il ne lui demande de se présenter. L’intéressée ouvre alors des yeux ronds. « Vous ne savez pas qui je suis ? » L’ancien journaliste est bluffé par l’assurance et la vivacité d’esprit de la jeune femme. Il n’est pas le seul. Au Parlement européen, comme dans la vie, Sarah Knafo s’est professionnalisée dans le réseautage. Avec plus ou moins de finesse. Alexandre Varaut, député Rassemblement national, s’en souvient encore. Les deux siègent ensemble lors d’une réunion, quand la première passe derrière lui, lui gratte le cou, tout sourire, et lui lance un : « Bonjour Alexandre ! » Ils s’étaient croisés une ou deux fois dans le TGV, le frontiste lui avait offert un café. Il n’en revient toujours pas. Elle est comme ça, Sarah Knafo. Le culot, sa marque de fabrique.
Son mandat d’eurodéputée lui sert de laissez-passer. Tant pis si, après l’implosion de Reconquête pendant la campagne européenne, elle n’a pu intégrer que le groupe Europe des Nations souveraines (ENS), le plus radical et le plus isolé du Parlement européen, boudé y compris par les formations d’extrême droite. A Bruxelles, elle s’est saisie du sujet « souveraineté numérique », sur lequel elle rédige un rapport et « travaille beaucoup » assurent ses collègues de tous bords. Elle en profite pour rencontrer les dirigeants français de Meta, les représentants des affaires publiques de Dassault. Paris n’échappe pas à la règle. Quand elle ne siège pas, elle s’occupe de développer son cercle relationnel. Récemment, Sophie de Menthon, la présidente du mouvement patronal Ethic, l’a conviée à l’un de ses déjeuners au très sélect Cercle de l’union interalliée. Elle s’y rend le 27 mars. Le milieu des patrons la connaît bien. Elle a eu l’occasion de côtoyer certains de ses grands noms aux côtés d’Eric Zemmour. Depuis, Xavier Niel, Henri Proglio et Loïk Le Floch Prigent décrochent toujours leur téléphone lorsqu’elle souhaite les consulter sur un sujet.
« Je ne pense pas qu’il lui arrive de faire autre chose que de séduire, ce qu’elle fait très bien »
Mais elle aime brasser large. Elle papote aussi bien avec Hubert Védrine qu’avec l’ancienne plume de Gabriel Attal, Maxime Cordier, qu’elle connaît bien. A l’écouter, y a-t-il seulement quelqu’un qu’elle ne connaît pas ? Ambroise de Rancourt, le nouveau conseiller de Marine Le Pen ? Elle l’a croisé dans des soirées avec le sondeur frontiste Jérôme Sainte-Marie. Pierre-Edouard Stérin nouveau mécène de la droite et de l’extrême droite ? Il la trouve, selon Le Monde, « extrêmement forte, charismatique et intelligente ». Un constat souvent partagé à la première rencontre. Bien que, parfois, les « amis » désignés relativisent la profondeur de leur relation, et n’évoquent qu’une « simple connaissance ». Tant pis. « Je ne pense pas qu’il lui arrive de faire autre chose que de séduire, ce qu’elle fait très bien. Politiquement, elle ne représente rien mais cherche à exister avec une habileté extraordinaire », résume un élu qui a eu l’occasion d’expérimenter la méthode Knafo.
Méthode qu’elle ne se prive pas d’appliquer au monde médiatique. Depuis l’annonce de sa candidature européenne, pas une semaine ne se passe sans qu’on la croise sur un plateau. Dans les médias de Vincent Bolloré, notamment. C’est ce dernier qui a fait d’Eric Zemmour, sur fond de déclarations extrêmes, un des visages de CNews. Il ouvre naturellement ses portes à sa successeure, qu’il a connue par son intermédiaire. Depuis des mois, elle est l’invitée régulière de Cyril Hanouna, qui ne se lasse pas de chanter ses louanges, dans son émission Touche pas à mon poste ! ou sur Europe 1. Idem pour Pascal Praud, qui s’est auto-octroyé un rôle de porte-parole, et lit parfois à l’antenne les réactions écrites ou les lettres que lui envoie l’élue. Sur le fond, la jeune femme revendique la filiation idéologique zemmouriste, tout en cultivant une différence de ton. « Elle offre un nouveau visage souriant et pédago à l’extrême droite, et ça plaît dans les médias de notre camp », commente un proche. La preuve : le 4 février, son visage s’affiche en Une du JDNews, l’hebdomadaire dirigé par Geoffroy Lejeune, fan inconditionnel de Zemmour qu’elle côtoie de longue date. Quelques jours plus tôt, c’est le magazine d’extrême droite Frontières (son patron, Erik Tegner, est un vieil ami) qui lui offre sa quatrième de couverture.
« Elle ne représente qu’elle-même »
Sa présence médiatique dépasse les cercles amicaux. Darius Rochebin, le présentateur star de LCI, l’invite aussi sur la chaîne du groupe TF1. BFMTV la reçoit volontiers pour des débats et des interventions. « C’est fou de faire autant de bruit tout en ayant un si faible poids politique, s’amuse un élu RN. Elle ne représente qu’elle-même ! » Elle-même… et le parti d’Eric Zemmour. D’ailleurs, à Reconquête, certains se demandent où est passé leur patron depuis que Sarah Knafo prend la lumière. Cette dernière balaie le questionnement comme une évidence : en septembre, le couple a décidé de se répartir les tâches : à elle les médias d’actualité, les formats matinales, de commentaire d’actualité. « Lui n’aime pas ce format trop court, il préfère les émissions de temps long… » Et puis il est bien occupé, entre l’écriture de son nouveau livre et l’adaptation du Suicide français en série pour Canal +. Oui, vraiment, c’est un service qui lui est rendu.
Et puis sa successeure ne peine pas à exister par elle-même. Récemment, elle a développé une tactique de communication fondée sur des « révélations fracassantes ». Ses dernières en date : dénoncer la masse salariale supposément disproportionnée de France Travail, ou les dépenses prétendument scandaleuses de l’Agence française de développement. Les deux interventions ont suscité les réactions des organismes mis en cause, qui, forcés de procéder à une mise au point, l’accusent de manipuler l’information. « Je suis inquiet du niveau de désinformation propagé cette semaine, qui nuit à un débat sain, clair et respectueux », réagit auprès de L’Express le ministre en charge de la Francophonie Thani Mohamed-Soilihi. Qu’importe, au fond. Qu’on en parle en mal ou en bien, pourvu qu’on en parle.
Le coup de com’comme stratégie
Le coup de com’ élevé au rang de stratégie, c’est aussi ça le fonctionnement de Sarah Knafo. Dernier exemple en date : la jeune femme est invitée, au même titre que la plupart de ses camarades eurodéputés, à l’investiture de Donald Trump. Elle jure qu’il s’agit d’une invitation personnelle, obtenue grâce à ses « réseaux trumpistes ». La barque est si bien menée qu’elle devient quasiment l’envoyée spéciale des chaînes d’information sur place. En réalité, elle est à des kilomètres du Capitole et assiste, avec d’autres milliers de fans, à l’investiture depuis le Capital One Arena, d’où elle intervient en duplex. Arrondir les angles, ou les agrandir, quelle différence, finalement ? Personne n’a jamais vu l’invitation personnelle. « Evidemment que l’invitation n’existe pas, se marre un proche. Mais quand on lui demande si elle n’a pas l’impression d’en faire des caisses, elle rétorque : »Et alors, si ça marche ?' » Son obsession de la communication lui vaut quelques railleries dans son camp. Une parmi d’autres : l’impression de nombreuses affiches à son effigie par ses équipes du Parlement européen.
De loin, ses anciens camarades regardent le petit manège avec le sourire. « Son charme fonctionne un temps, jusqu’à ce que le vernis craquelle et qu’on prenne conscience que tout est calculé, manigancé. » Ils gardent un souvenir amer de la campagne de Marion Maréchal, et de la façon dont leurs propres alliés se sont évertués à leur mettre des bâtons dans les roues. Ils en ont tiré un enseignement : Sarah Knafo roule pour elle-même. Une vidéo de l’émission Quotidien a beaucoup circulé dans les cercles Reconquête. On y voit Sarah Knafo, à Washington, interrogée par les journalistes et flanquée d’Eric Zemmour, au second plan, muet et peinant à suivre le pas. A Reconquête, on s’étrangle : « On dirait que c’est son stagiaire, c’est insensé ! »
La mairie de Paris ou la présidentielle ?
Certains n’en reviennent pas de la « naïveté » de l’ancien journaliste, pourtant chroniqueur de nombreuses aventures et querelles politiques, en passe d’assister « en spectateur à son propre remplacement ». « Quand tu vois l’auteur du Premier Sexe, qui a théorisé le masculinisme en politique, se faire rouler dessus par une femme de trente ans, c’est quand même cocasse », raille un cadre. Ceux qui la connaissent l’affirment : elle pense à 2027. L’ennui, c’est qu’Eric Zemmour aussi. Elle dément, assure qu’il est « trop tôt » pour elle, que son mandat européen la comble. Et puis ce n’est pas pour rien que « tous les jeunes espoirs de la politique sont au Parlement européen », de Jordan Bardella à Manon Aubry, en passant par elle, bien sûr. Ça ne l’empêche pas de glisser quelques ambitions.
La mairie de Paris ? « Oui, les candidats potentiels parlent de moi… » C’est d’ailleurs elle que la direction du Figaro et l’Ifop ont choisi de tester, dans leur sondage, fin novembre, sur les élections municipales dans la capitale. Elle, aussi, que Paris Match a choisi de faire entrer dans son palmarès des personnalités politiques les plus appréciées (dans lequel elle a devancé Eric Zemmour), toujours avec l’Ifop. Faut-il le préciser ? Elle connaît bien Frédéric Dabi, le directeur de l’institut. La politique est un chemin qu’il est parfois bon d’emprunter seul. C’est donc chacun de son côté qu’Eric Zemmour et Sarah Knafo se rendent, cette année, au Salon de l’agriculture. L’ambition supporte mal la concurrence. Et si Eric Zemmour venait à trouver le temps long, la fête du Cognac n’est que dans cinq mois.
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