Les femmes au cœur de l’enfer d’Auschwitz-Birkenau

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Le prix Odette et Léon Chertok vient de primer l’ouvrage de Chochana Boukhobza, œuvre phare sur le sort des femmes à Auschwitz-Birkenau.

Elles s’appelaient Roza Robota, Ala Gartner, Magda Hellinger, Alina Brewda, Aliza Sarfati, Alma Rosé, sœur Angela… Toutes furent détenues à Auschwitz-Birkenau, où beaucoup ont perdu la vie.

Elles s’appelaient aussi Therese Brandl, Irma Grese, Johanna Langefeld, Maria Mandl… Toutes furent Aufseherinnen, surveillantes du même camp, réputées pour leur sadisme qui leur valut souvent d’être exécutées après la guerre. Les unes et les autres surgissent ici et là, parmi 350 personnages, au fil de l’immense fresque de Chochana Boukhobza, qui vient de recevoir le prix Odette et Léon Chertok, décerné en partenariat avec le Mémorial de la Shoah et Le Point.

Prix Chertok

Administrateur du Mémorial de la Shoah, Grégoire Chertok a souhaité, alors que les derniers témoins de la Shoah disparaissent, récompenser des travaux littéraires ou historiques autour des trois génocides reconnus par l’ONU (Shoah, génocides des Arméniens et des Tutsis).

La première édition de ce prix Odette-et-Léon-Chertok – en hommage à ses parents rescapés – avait aussi retenu parmi ses finalistes : Le Convoi, de Beata Umubyeyi Mairesse, Les Derniers sur la liste, de Grégory Cingal, ou Migraine. Une histoire de culpabilité, de Tamas ­Gyurkovics.

Synthèse

La lauréate, Chochana Boukohobza, a livré un immense livre choral, fruit de sept ans de recherches, nourri des multiples témoignages des survivantes, de leurs dépositions aux procès (Cracovie en 1947, Francfort en 1964, Londres en 1964), qui font entendre leurs voix.

De nombreuses sources existaient, mais elles étaient éparses, souvent non traduites. Il manquait une synthèse, une monographie au féminin qui décrive les grandes phases de leur parcours au sein des deux camps, analyse leur organisation, souligne la singularité de leurs souffrances, retienne des thématiques, brosse des portraits exceptionnels.

Pire que les hommes

« Pour les femmes, tout était mille fois plus difficile, plus déprimant et dangereux, car les conditions de vie dans le camp des femmes étaient plus mauvaises. Leur espace vital était plus réduit, les conditions hygiéniques et sanitaires étaient inférieures. » C’est Rudolf Höss, le commandant du camp, qui l’admet lui-même, lui qui ne voulait pas de femmes dans un camp d’hommes. Le 26 mars 1942, il voit d’abord arriver de Ravensbrück des centaines de détenues de droit commun ou politiques, allemandes et autrichiennes, qui deviendront des surveillantes. Le camp d’Auschwitz, rempli de prisonniers soviétiques et polonais, est ouvert depuis deux ans.

Quelques heures plus tard, il voit descendre de plusieurs convois des milliers de déportées juives en provenance de Slovaquie. Des jeunes filles instruites, polyglottes, qui remplaceront les Polonaises aryennes pour former le gros des secrétaires, de l’administration des hommes et des femmes ; plus de 70 femmes chargées de gérer le recensement quotidien ainsi que la transmission des noms des sélectionnées pour la chambre à gaz. Sous la supervision des SS, elles vont « administrer » le camp. Parmi elles, Magda Hellinger, nommée chef des détenues, et Katya Singer, qui dirigera, en 1943, le Bureau des effectifs où, avec le soutien des Polonaises, elle tentera de sauver des chambres à gaz des déportées en trafiquant leurs matricules.

Expérimentations

Après avoir été séparées des hommes par un mur à Auschwitz I, la plupart des femmes sont transférées, en août 1942 au nouveau camp de Birkenau, dévolu à l’extermination, à quelques kilomètres. Quelques centaines demeurent au block 10, où elles seront soumises aux expérimentations atroces des docteurs Clauberg, Schumann (stérilisation et irradiation) et Wirths (cancer de l’utérus). La psychiatre française Adélaïde Hautval, qui s’y est fait engager comme gynécologue pour témoigner, refusera de participer à leurs boucheries.

À partir d’avril 1943, Himmler ayant décidé de ne plus gazer les Aryennes, elles sont réparties, à Birkenau, en deux sections : les actives (soumises, en commandos, au même travail que les hommes) et les malades, inactives, qui meurent de faiblesse et de maladie. Preuve qu’elles furent soumises à pire condition que les hommes, leur obligation de se rendre jusqu’à leur lieu de travail pieds nus, leurs chaussures en sautoir. Aucune hygiène – une tranchée de latrines où se soulager en longues files – pas d’eau, la menace de pressions sexuelles, la certitude de voir leur enfant tué à sa naissance ou mourir de faim si elles accouchent. Une gynécologue juive, Gisella Perl, les faisait avorter pour qu’elles ne soient pas repérées.

Aides et soutiens

Malgré cela, le livre de Bokhobza met en lumière les nombreux actes de solidarité entre ces femmes : « Passé la sidération et l’abattement, des femmes se sont redressées. Elles se sont donné une sœur de camp. Il faut une forte et une faible. La faible survit grâce à la forte, la forte survit grâce à la faible qu’elle protège. » Il faut trouver une raison de vivre et de survivre.

Ce sera le courage de femmes médecins qui préserveront si possible les plus faibles. Le dévouement de la violoniste Alma Rosé, la nièce de Gustav Mahler, qui engagera des dizaines de musiciennes parfois aléatoires quand Maria Mandl, la nouvelle Aufseherin en chef, veut avoir son orchestre, comme les hommes.

Résistances

C’est la résistante Antonina Piatkowska, qui persuade des consœurs de copier des listes de femmes gazées et d’enfants tsiganes, à enfouir dans des jarres afin de pouvoir témoigner après la guerre. C’est Roza Rabota qui prend la tête de la résistance à l’usine de munitions l’Union, pour apporter de la poudre explosive aux hommes du Sonderkommando qui veulent faire sauter les fours crématoires. Et bien d’autres actes qui firent briller une lueur de vie là où la mort régnait en maître. La parole est donnée à toutes ces femmes, qui revivent sous la plume de Bokhobza.

Un travail impressionnant de rigueur, dans lequel les témoignages sont confrontés. Un livre important, foisonnant, poignant – qui prend place aux côtés des ouvrages de Hermann Langbein (Hommes et femmes à Auschwitz) et de Wieslaw Kielar (Anus mundi) –, appelé à être la matrice d’autres travaux.

Les Femmes d’Auschwitz-Birkenau, de Chochana Bokhobza (Flammarion, 600 p., 24 €)

Par François-Guillaume Lorrain

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