A 41 ans, la comédienne humoriste consacre son troisième seule-en-scène au sexe. Où il est question de solitude, de doutes, et de fous rires.
Léchage de pieds, fait. Relation lesbienne, fait. Expérience chamanique pour vaincre un vaginisme, fait. Regarder un film porno, fait, mais pas trop. Elle n’aime pas ça. Ceci n’est pas un résumé d’une rencontre olé olé avec Bérengère Krief. Ceci est la vie de Bérengère Krief. Du moins, une partie. Celle qu’elle expose sur scène dans un troisième spectacle enlevé et jamais vulgaire intitulé sobrement Sexe. Sans effet scénique, la comédienne joue de son corps pour raconter l’intérieur de ce même corps. Avec autodérision, et dédramatisation du sujet qui, dans les temps actuels crispe bien trop souvent les discours. Bérengère Krief ose en parler, et c’est tant mieux. Exercice d’autant plus réjouissant que tout ce que raconte l’humoriste est vrai.
Corps-à-corps
Dans la loge des Folies Bergère, installée dans un canapé propice à la confidence, elle raconte à quel point le chemin fut long pour comprendre cette sexualité exempte de mode d’emploi. Elle s’est longtemps débrouillée comme elle pouvait, ignorant souvent sa propre jouissance, se contentant de «faire le job» pour l’autre dit-elle. Assurer le plaisir de monsieur. Les réponses à une sexualité plus heureuse, elle les a trouvées en partie dans une littérature foisonnante et notamment dans l’Intelligence érotique d’Esther Perel. Dans sa bibliothèque, les bouquins psychologisant le sujet s’accumulent «comme chez une meuf qui fait une thèse dans son coin», concède-t-elle en se marrant.
A l’aube de ses 40 ans, et après un confinement source de réflexion, Berengère Krief s’est posée. A trouvé un équilibre : «Entre le plan-plan et le club échangiste, il y a de la place pour une autre sexualité.» Et elle a conquis une plus grande liberté qui passe par le fait de penser à soi, loin de tout égoïsme exacerbé. «Elle est très à l’écoute d’elle-même, elle est dans le mouvement, dans la vie», analyse Harry Tordjman, ex-manager et producteur de la série Bref dans laquelle elle incarnait Marla, le plan cul du personnage joué par Kyan Khojandi.
Aujourd’hui, elle partage son quotidien avec son amoureux rencontré il y a un peu plus de deux ans. Il n’est pas comédien, mais évolue dans le milieu. Elle ne dira pas son nom. Cela relève de l’intime… Il a participé à l’éclosion du spectacle, qui est devenu leur «bébé». Pour ce qui est de la maternité, elle dit «ça ne s’est pas présenté. Et ça ne m’a jamais angoissée de ne pas avoir d’enfant. Désormais, c’est complètement possible». Une phrase simple qu’elle a sans doute pensée mille fois avant de la délivrer. Etre sincère. Honnête. Juste. Sur scène. Comme dans la vie.
A corps perdu
Danse classique à 6 ans, premier cours de théâtre à 9, une inscription en arts du spectacle à l’université Lyon-II après le bac, les cours de l’Acting Studio et l’arrivée à Paris à 20 ans. Une route tracée, et sur laquelle elle s’est engagée sans aucune peur. «J’étais quasi sûre de moi : ma place était sur les planches. J’ai savouré chaque étape. Du Point Virgule que j’avais découvert en regardant les VHS d’Elie Kakou, jusqu’à l’Olympia.»
Mais il faut travailler. Marine Baousson, l’amie de 15 ans, comédienne, la décrit comme «une grosse bosseuse». Dans la famille Krief, la méritocratie est une réalité. Les grands-parents paternels arrivés d’Algérie ont récupéré un resto lyonnais, avant de se lancer dans le commerce de pâtes fraîches. Puis ont monté une fabrique de pâtes feuilletées surgelées. Une affaire reprise par le père de Bérengère et ses sœurs, et désormais entre les mains du petit frère de l’humoriste lyonnaise. On sourit en découvrant que le grand-père maternel était cadre chez Panzani.
Dans le clan familial, il y a aussi la mère de Bérengère Krief. Elle a consacré son temps à ses enfants. «Dotée d’une grande intuition, elle sait tout, tout le temps. Elle fut longtemps ma boussole. Mais j’ai pris un peu de recul», reconnaît la quadra. Une mère apeurée de voir sa fille annuler au dernier moment son mariage avec monsieur Poulpe, histoire qu’elle racontait dans son précédent one-woman-show Amour.
Une mère devenue aussi un personnage récurrent des spectacles grâce à ses répliques (réellement prononcées) : «Attention, ma fille, la grossesse, c’est comme le Paic citron, une seule goutte suffit.» Bérengère Krief, qui dit en riant «je suis le pôle divertissement de la famille», a redouté la venue de ses parents lors d’une représentation de Sexe. «C’est le spectacle que je préfère», a dit son père. Sa mère : «Si j’étais à Paris, je viendrais tous les soirs.»
A la sueur de son corp
Bérengère Krief s’est longtemps donnée physiquement sur scène. A coups de changements de costumes, de décors, d’acrobaties sur un cerceau suspendu dans les airs… Avec l’expérience, elle s’est dépouillée. A compris que son meilleur outil, c’était elle. Elle s’impose dans le métier, s’ancre, rassurée par le succès de Sexe, elle qui a toujours douté. «Le manque de confiance est un chapitre qui ne se ferme jamais. Mais c’est plutôt intéressant. Tu comprends que tu es l’instrument. Tu ne sais pas comment l’accorder. Mais tu apprends peu à peu.»
Si elle est passée une seule fois dans le cabinet d’une sexothérapeute, la thérapie est devenue une habitude. Les séances ont commencé par le succès soudain de Bref. «La notoriété m’avait dissociée de mon humanité», dit-elle. Coincée dans l’image de la blondinette un peu légère, et interloquée par ces gens qui l’abordaient constamment dans la rue, elle tente de répondre à la question vertigineuse : «Qui suis-je ?». Côté vie matérielle, ses réussites professionnelles lui ont permis d’acheter une maison sur la côte basque d’où elle contemple les couchers de soleil sur l’Océan, lieu qu’elle quitte uniquement pour le boulot.
Corps et âme
Bérengère Krief est du genre hypersensible. Répète qu’on a un corps mental et un autre émotionnel. Elle a apprivoisé ce corps contre lequel elle a longtemps été en colère. La nourriture est devenue peu à peu un plaisir, et plus un problème. Elle vient de se lancer dans des cours de dynamo cycling (rien à voir avec le sexe. Il s’agit de pédaler dans une salle vibrant au rythme d’une sono trop forte). Avec son coach, elle travaille sur la gestion de l’alimentation, le sport et les émotions qu’elle régule souvent grâce à la musique. Dans ses oreilles, «ses queens» : Céline Dion, Dua Lipa, Miley Cyrus, Britney Spears…
Et quand les ruminations l’envahissent, il lui reste ses journaux intimes. Elle y dépose tout ce qui l’encombre, «un nettoyage ! Je ne relis jamais, mais pense souvent à la personne qui pourrait tomber dessus…». Elle éclate de rire. Avant de dire plus sérieusement qu’elle croit en une forme de spiritualité, qu’elle évite la surinformation au risque de ne pas se lever tant elle se sent impuissante face aux horreurs délivrées par les JT. Elle ne vote pas toujours, et reconnaît seulement une sensibilité au discours écologique. Sa plus grande peur ? Le temps qui passe. Cette impossibilité de l’arrêter. De voir les gens partir. Et toutes ces premières fois qu’elle ne revivra plus. «Mais c’est aussi faire une place à celle qui se connaît mieux.»
16 avril 1983 Naissance à Lyon.
2009 Premier spectacle.
2011 Série Bref.
Janvier 2025 Tournée du spectacle Sexe.
par Eva Roque
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