Il y a cinq ans, le 11 janvier 2020, un premier malade succombe d’une étrange pneumopathie apparue dans la ville de Wuhan. Personne ne se doute alors que nous assistons au début d’une pandémie qui va paralyser la planète pendant plus de trois ans.
Janvier 2020. La Chine prépare les festivités du Nouvel An lunaire dans la plus grande fébrilité. Des millions de personnes doivent traverser le pays pour se rassembler et festoyer alors que le pays est frappé par une mystérieuse épidémie de « pneumopathies atypiques ». Les premiers cas ont été détectés courant décembre dans la ville de Wuhan, à proximité du marché de gros de fruits de mer de Huanan, où sont entassés de nombreux animaux vivants. L’alerte est lancée à l’international le 31 décembre, quand les centres taïwanais de contrôle des maladies (CDC) notifient à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) la découverte d’une maladie potentiellement dangereuse, dont les symptômes rappellent ceux du Sras (syndrome respiratoire aigu sévère) de 2003.
Le 11 janvier, les autorités chinoises annoncent un premier mort. À ce moment, l’hypothèse des contaminations interhumaines reste exclue. Il faut attendre le 20 janvier pour que l’OMS reconnaisse que ce qui est encore appelé 2019-nCov (pour nouveau coronavirus de 2019), est bel et bien contagieux. Dans le même élan, le virologue chinois Zhang Yongzhen rend publique la séquence complète du génome, contre l’avis de la Commission nationale sur la santé. Cet acte de désobéissance est un geste crucial. Les scientifiques du monde entier s’en emparent. Il va notamment permettre aux laboratoires de gagner un temps précieux dans la recherche d’un vaccin.
Le début de la pandémie est marqué par la volonté des autorités chinoises d’étouffer l’affaire. Pour avoir tenté de donner l’alerte précocement sur WeChat, le docteur Li Wenliang sera accusé d’avoir « répandu des rumeurs » et « perturbé gravement l’ordre social ». Il meurt du Covid le 6 février, suscitant une immense vague d’indignation. Entre-temps, le gouvernement de Xi Jinping a changé de braquet, dépassé par la flambée de l’épidémie. Le 24 janvier, alors que le virus avait contaminé 830 personnes et fait 25 victimes (selon les chiffres officiels), une quarantaine massive est imposée à près de 20 millions de personnes et un hôpital de 1000 places est construit en urgence. Vue d’Europe, la situation paraît surréaliste.
«Contact tracing», «quatorzaine»…
Dans les mois qui suivront, la Chine n’aura de cesse de déployer des efforts pour réécrire l’histoire des origines de la pandémie, n’hésitant pas à répandre des théories fumeuses sur la possible contamination de viande congelée pour en expliquer l’origine. In fine, le pays ne comptabilisera « que » 122.389 décès, soit 85 morts par million d’habitants, contre 2615 en France par exemple.
Le premier cas hors de Chine survient le 13 janvier. Un événement fondamental va bientôt changer notre compréhension du virus. Deux semaines plus tard, un cas se déclare en effet à bord du navire de croisière japonais Diamond Princess, qui avait quitté Hongkong le 25 janvier. Les 3771 membres d’équipage et passagers sont confinés dans leur chambre. Pourtant, le nombre de cas augmente jour après jour.
Au 22 mars 2020, le bilan des contaminés s’élève à 712, soit près de 20 % de l’effectif et 7 passagers sont morts. Cet épisode permet de mieux déterminer les propriétés du virus (transmissibilité, létalité, etc) et démontre qu’il se transmet très facilement, avant les premiers symptômes et sans contacts rapprochés, dans un milieu clos et densément peuplé. L’aération des lieux fermés et le rôle de ces événements de « superpropagation » resteront néanmoins largement sous-estimés dans les politiques de prévention pendant de longs mois encore.
Dans le même temps, le virus débarque en Europe. En France, les premiers cas sont annoncés à Bordeaux et Paris le 24 janvier. C’est le début des périodes de « quatorzaine », ces isolements systématiques pour les personnes de retour de Chine présentant des symptômes. C’est aussi l’apparition du « contact tracing », dont l’objectif est alors à la fois de prévenir les personnes fréquentées tout en cherchant l’origine de l’infection. De nombreux experts écument alors les plateaux télé pour qualifier le virus de « grippette ».
Empêcher l’entrée du virus dans le pays
Globalement, la France a confiance dans son plan national de prévention rédigé en 2004 et mis à jour en 2011 après l’épidémie de grippe H1N1. Mais les experts du ministère de la Santé font une erreur d’appréciation majeure : ils ne prennent pas en compte la possibilité d’une contamination avant l’apparition des symptômes. Ce sont les fameux « asymptomatiques » qui passent sous les radars de ce système de surveillance.
Rétrospectivement, Agnès Buzyn, ministre de la Santé au début de la pandémie, expliquera être « la première à avoir vu ce qui se passait en Chine ». Elle ne s’est toutefois jamais exprimée publiquement en de tels termes à l’époque… Quand elle démissionne le 16 février, l’objectif officiel est encore d’empêcher l’entrée du virus dans le pays. Dans le même temps, le nombre de cas explose en Italie. Le 23 février, une dizaine de villes, dont Rome, sont confinées.
Le 25 février, le nouveau ministre, Olivier Véran, assure fièrement qu’« il n’y a plus en France de malade du Covid-19 ». Le lendemain, le pays enregistre son premier mort. Un enseignant de 60 ans du lycée de Crépy-en-Valois, dans l’Oise. Et celui-ci ne revient pas d’une zone à risque. En réalité, le virus circule déjà largement en France. Les premières restrictions sont mises en place. Elles ne font pour l’instant qu’interdire les rassemblements de plus de 5000 personnes
Naviguer à vue
Le 27 février, un infectiologue marseillais, alors inconnu du grand public, déclare avoir trouvé un remède miracle. Dans une vidéo intitulée « Coronavirus : fin de partie ! », Didier Raoult explique que le Covid-19 est probablement l’« infection respiratoire la plus facile à traiter ». L’hydroxychloroquine, un antipaludéen ayant des propriétés antivirales, aurait prouvé son efficacité in vitro. Rarement fausse prédiction aura rencontré un si grand succès. Cinq ans après, Didier Raoult trouve toujours des soutiens, malgré l’échec patent de son traitement. Si de nombreux essais cliniques sont menés à travers le monde, un seul traitement curatif se montrera efficace contre le Sars-CoV-2 : le Paxlovid autorisé en janvier 2022 (bien après les vaccins).
Mais Didier Raoult n’a pas eu tort sur tout. Il faut lui reconnaître d’avoir très rapidement compris et mis en œuvre des campagnes de dépistage massif. Les tests ont trop longtemps constitué l’angle mort de la stratégie française. Dans un premier temps, les autorités se contentent de tester « les cas suspects dans les zones de regroupement de cas », avant d’élargir aux personnes atteintes de graves syndromes pulmonaires.
Quand l’épidémie est installée, Olivier Véran va jusqu’à soutenir que les tests sont désormais « beaucoup moins utiles ». Grossière erreur. La France navigue à vue, dans le brouillard. L’Allemagne fait le choix inverse, ce qui lui permet de mieux comprendre l’évolution de l’épidémie et de prendre les mesures qui s’imposent avec une à deux semaines d’avance. Elle sortira de la première vague avec deux fois moins de morts.
Fermeture des bars, des restaurants…
Le 12 mars, Emmanuel Macron annonce la fermeture des écoles. Le gouvernement ne le dit pas en ces termes, mais il a changé de stratégie. Trois jours plus tôt, Olivier Véran l’a expliqué aux Français sur la chaîne BFMTV, stylo et feuille à la main. Le virus est là, plus question de l’empêcher d’entrer. Le but est de le freiner pour « retarder le pic épidémique » (autrement dit, il faut « aplatir la courbe »). Les contaminations (et les morts) doivent être étalés dans le temps pour éviter l’engorgement du système de soins, le temps que le virus ait suffisamment circulé pour atteindre un niveau d’immunité collective suffisante.
Au chevet des malades, le virus ne cesse de surprendre les médecins. Perte du goût, de l’odorat, problèmes vasculaires, cardiaques, ou cérébraux, mais aussi démangeaisons, éruptions ou lésions cutanées, la symptomatologie se révèle étonnamment variée. Si la plupart des malades se remettent sans trop de difficultés de l’infection, similaire à la grippe en intensité, 20 % ont besoin d’être hospitalisés. Les personnes âgées, les obèses, les immunodéprimés sont particulièrement vulnérables, mais pas seulement (une jeune fille de 16 ans mourra quelques semaines plus tard).
Le décalage temporel entre le moment de la contamination et celui de la survenue des premiers symptômes engendre une augmentation continue et inexorable du nombre de malades en dépit des mesures. La France, qui n’a pas assez fait de tests, a un temps de retard sur l’épidémie et les services de réanimation commencent déjà à être débordés, en particulier dans l’est du pays.
Les autorités craignent que la seule fermeture des écoles ne suffise pas. Le samedi 14 mars, Édouard Philippe annonce la fermeture des bars, des restaurants, et de tous les commerces qui ne sont pas de première nécessité… Il maintient néanmoins le premier tour des élections municipales prévues le lendemain. La décision est incompréhensible et va générer une grave défiance à l’encontre de l’autorité politique dans l’opinion publique.
Des milliers de vies en jeu
Deux jours plus tard, c’est Emmanuel Macron qui s’adresse avec gravité aux Français. Si le chef de l’État ne prononce pas le mot de « confinement », il décide, « après avoir consulté, écouté les experts, le terrain et en conscience », « de renforcer encore les mesures pour réduire nos déplacements et nos contacts au strict nécessaire » pour les deux semaines suivantes. Le deuxième tour est reporté sine die. Plus question d’atteindre une hypothétique immunité collective qui permettrait de stopper la progression du virus. Des centaines de milliers de vies sont en jeu, à très court terme. La situation est grave.
On ne le sait pas encore, mais ces mesures ne suffiront pas à arrêter le virus. Ces quinze jours dureront plus d’un an. Si la France est sortie officiellement le 11 mai 2020 de son premier confinement (particulièrement strict et marqué de nombreuses absurdités : après avoir été jugé inutile – à tort -, le port du masque devient par exemple obligatoire à l’extérieur, où son utilité est pourtant peu évidente), les restrictions se prolongeront jusqu’en août 2023. Car chaque fois qu’on lâche la bride, l’épidémie repart… C’est notamment ce qui se passe à l’automne 2020 quand l’arrivée du « variant anglais » vient condamner les espoirs d’un retour à la normale. La France vit alors encore sous couvre-feu.
Le vaccin, une technologie inédite
Là encore, c’est un sujet qui avait été sous-estimé par les autorités sanitaires. Dans les premiers mois, le virus mutait peu, la surveillance de l’apparition de nouveaux variants n’avait donc pas été jugée prioritaire. Et les autorités ont eu du mal à apprendre de leurs erreurs, prises par surprise par chaque nouvelle vague (ce sera encore le cas avec Delta, puis Omicron). Heureusement, le virus se révèle plus contagieux, mais légèrement moins pathogène dans sa dernière version. Parallèlement, l’arrivée très rapide de vaccins extrêmement efficaces contre les formes graves a permis de limiter considérablement le risque qui pesait sur les hôpitaux.
Pourtant bien placée sur la ligne de départ, avec un candidat vaccin prometteur développé par l’Institut Pasteur, la France est ressortie bredouille de cette course mondiale. C’est une technologie inédite, celle de l’ARNm, portée par BioNTech (associé à Pfizer pour la production) et Moderna qui permet de sortir de la crise. De premières injections sont réalisées dès l’hiver 2020, moins d’un an après le début de la pandémie. Quelques mois plus tard, des centaines de millions de personnes a travers le monde sont immunisées.
Mais le virus ne disparaît pas pour autant. Il faut apprendre à vivre avec. Passe sanitaire, passe vaccinal, couvre-feu, règles parfois ubuesques de distanciation sociale : cet apprentissage ne se fait pas sans douleur. Mais nous y parvenons, bien aidés par sa baisse de virulence. Le 5 mai 2023, le directeur de l’OMS déclare officiellement la fin de la pandémie de Covid-19. En cinq ans, le virus a fait plus de 7 millions de victimes à travers le monde.
Par Vincent Bordenave
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