La légendaire actrice britannico-américaine avait embarqué dans une « mission diplomatique » avec le candide espoir de rapprocher Beyrouth et Tel-Aviv à la toute fin de 1982. Retour sur un épisode oublié de cette année charnière pour la région.
Confortablement installée dans le creux d’un sofa drapé d’une fourrure de zibeline, elle fait patienter ses convives mijotant dans le salon d’à côté. En ce soir du 24 décembre 1982, Elizabeth Taylor semble préoccupée. Depuis le hall de sa gigantesque villa de Zurich, elle appelle ambassadeurs et grands reporters pour tenter de mieux comprendre les enjeux et développements en cours dans une région qu’elle ne connaît que superficiellement. En robe de gala à épaulettes devant sa cheminée, l’actrice « regrette presque d’avoir accepté la proposition de Phil Blazer, éditeur d’Israel Today, de visiter Jérusalem en fin d’année pour promouvoir le tourisme et l’éducation de son pays », se remémore Angela Sakellaropoulou, journaliste franco-grecque ayant couvert la plupart des déplacements de la diva au regard violet en Europe.
À l’heure de s’installer autour de la table à manger en marbre blanc, Liz Taylor persiste, questionne ses amis sur l’épineuse question libanaise alors que la nation, dévastée par la guerre civile, compte encore ses morts à la suite de l’invasion israélienne débutée le 6 juin. Entre les orchidées importées et les images en noir et blanc tapissant les murs couleur ocre, Sakellaropoulou, invitée à passer la semaine avec la comédienne et une trentaine d’autres mondains, se retrouve, plusieurs verres de champagne et un gigot plus tard, dos au mur. « Angela, pensez-vous qu’une célébrité de mon statut puisse redonner un peu d’espoir à ces pauvres populations en deuil ? » lui demande naïvement la « petite chérie de l’Amérique » empâtée par les médicaments, un bichon maltais sur les genoux et un sixième divorce en instance de validation. « Bien sûr chère Liz ! » lui répond la native de Skopelos sur un ton amusé. « Si vous avez réussi à convaincre Richard Burton de vous épouser une seconde fois, vous arriverez bien à quelque chose là-bas ! »
Amour d’Israël
Dix jours auparavant, le 13 décembre 1982, c’est depuis l’aéroport de Los Angeles que Liz Taylor annonce son intention de vouloir dialoguer avec les autorités israéliennes et libanaises. Parfaitement brushingée devant un parterre d’envoyés spéciaux intrigués, l’héroïne de Cléopâtre tient une brève conférence de presse où elle promet « de tenir un rôle de diplomate hors normes et d’accomplir ce que les hommes d’État n’ont pas réussi à réaliser jusqu’à présent : la paix au Moyen-Orient ». La séquence est trouble mais réussie, fait la une des quotidiens californiens du lendemain, jusqu’à faire lever les sourcils broussailleux de Ronald Reagan, qui n’a jamais caché son hostilité vis-à-vis de l’activisme hollywoodien dont il est lui-même issu.
Connue pour ses positions prosionistes, celle qui s’est convertie au judaïsme en 1959 après le décès de Mike Todd, son producteur de mari dans un accident d’avion, est surtout une fervente supportrice des œuvres philanthropiques juives et de l’État d’Israël dont elle dit « infiniment admirer son noble peuple », comme elle l’affirme dans un entretien accordé à Barbara Walters au crépuscule de sa vie. En investissant en masse dans les territoires annexés au cours de la décennie 1960, Liz Taylor voit sa filmographie boycottée aux quatre coins du monde arabe. En 1967, elle annule un voyage à Moscou pour protester contre la condamnation de l’URSS lors de la guerre des Six Jours avant de signer une lettre dénonçant la résolution 3379 de l’Assemblée générale des Nations unies qui indique que le « sionisme est une forme de racisme et de discrimination raciale ». Si les engagements de l’artiste ne perturbent nullement son parcours d’égérie glamour ultra-scrutée – puisque nombre d’acteurs de son calibre lui emboîtent le pas –, son coup d’éclat le plus médiatique date de 1976 quand elle propose d’échanger sa place avec l’un des otages retenus par des membres de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), qui avaient détourné un avion en provenance de Tel-Aviv. Son faux désir de captivité passé, elle accepte d’incarner le rôle d’une otage dans une version télévisée de l’incident pour la chaîne ABC. « Tant qu’on aura besoin de moi pour faire vivre cette cause, je serai présente », souligne-t-elle dans les colonnes du magazine Life dont elle fut longtemps la plus fructueuse des covergirls.
Une diplomate oscarisée
Au moment de souffler sa cinquantième bougie, Elizabeth Taylor, consciente de l’âgisme d’une industrie reléguant les actrices de plus de 40 ans au dernier plan, n’apparaît que dans une poignée de téléfilms et de publicités, préférant se concentrer sur ses problèmes de santé et actions humanitaires, alors que fleurissent dans les journaux les premiers articles sur des patients contaminés, diagnostiqués avec une étrange maladie, qui sera ensuite baptisée sida.
Le 27 décembre 1982, après moult hésitations, la gloire du vieil Hollywood atterrit à l’aéroport Ben Gourion de Tel-Aviv avec son lot de valises haut de gamme et de gardes du corps, catcheurs à leurs heures perdues. Des visites d’hôpitaux aux conversations avec des soldats blessés retransmis en direct sur les ondes hertziennes, l’emploi du temps de la rivale de Joan Collins est minutieusement orchestré pour répondre aux aspirations des hauts responsables de l’État hébreu, persuadés de l’impact positif que peut avoir cette escapade dans l’opinion publique américaine. Suivie à la trace par une horde de chroniqueurs strassés, la résidente de Bel Air est rapidement reçue par le président israélien et la Première dame ainsi que par le Premier ministre Menahem Begin.
Hospitalisée à deux reprises pendant son séjour – la première fois peu avant le réveillon du Nouvel An à Beer-Sheva à cause de troubles respiratoires, la seconde quelques jours plus tard après une collision de voiture en se rendant au ministère de la Défense pour rencontrer Ariel Sharon –, Elizabeth la rebelle, Taylor l’iconique, fait comme à son habitude frémir les plumes de la presse à scandale et éclipse sciemment l’arrivée pourtant convoitée de Brooke Shields en Israël. Célèbre pour avoir tout juste tourné avec Louis Malle, venue jouer sous la coupole de Menahem Golan, la jeune ingénue ne fait pas le poids face à l’experte en chef des esclandres, promouvant en talons hauts et tailleurs clairs la moindre de ses réunions politiques.
Désillusions et interrogations
Le 4 janvier 1983, les radios et télévisions du pays du Cèdre annoncent l’apparition imminente de la muse d’Andy Warhol au-dessus d’une base militaire de Beyrouth après une dernière entrevue avec Begin dans ses bureaux privés. Attendue donc au Liban pour une audience avec Amine Gemayel, élu président de la République quatre mois plus tôt, les correspondants se ruent devant une bâtisse endommagée accueillant à peine quelques hélicoptères. Informée et indifférente par la mention de son nom sur la liste noire du bureau panarabe de boycottage d’Israël, Taylor prend aussi rendez-vous avec Solange Gemayel, veuve de Bachir, et l’Institut des handicapés de Beit Chebab.
« Évidemment que ça a suscité l’engouement jusqu’au palais présidentiel. C’était, malgré le conflit, la faste époque où les dirigeants adoraient recevoir des stars. Liz Taylor qui rencontre Amine Gemayel, c’est le parfait synonyme des années 1980 », souligne un ex-responsable de Baabda, désireux de conserver son anonymat. Sauf que deux heures avant son vol pour la capitale libanaise, l’armée israélienne l’informe que sa « sécurité ne peut pas être garantie » et « qu’il vaut mieux tout abandonner » en vue d’une possible recrudescence des attentats à Beyrouth. Diverses sources révèlent également que des pressions auraient été exercées par des parlementaires influents sur l’ambassade des États-Unis pour annuler le voyage et éviter toute exacerbation inutile des tensions dans le contexte des négociations se tenant entre Khaldé et Kiryat Shmona pour définir les nouveaux rapports entre le Liban et Israël.
« Déçue » par ce revirement de situation, la comédienne invite dans son hôtel le major dissident Saad Haddad, fondateur de l’armée du Liban-Sud (ALS), qui lui expose la situation régionale inquiétante. Un porte-parole de ce dernier divulgue ensuite la « profonde émotion » de la Britanno-Américaine face à son discours. « Elle a promis de revenir pour poursuivre sa mission de paix », clôt-il. Elizabeth Taylor, décédée en 2011, ne reposera plus jamais la pointe de ses stilettos au Moyen-Orient.
Par Karl Richa