« On en prend plein la gueule, oui il y a un repli communautaire » : comment les Juifs vivent aujourd’hu

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Les attaques du Hamas voilà un an et l’attentat contre la synagogue de La Grande-Motte (Hérault), il y a un mois, ont accentué la pression sur une communauté plus soudée que jamais. Reportage avec des Montpelliérains, Nîmois ou Perpignanais.

« On est dans notre coin, on est une communauté minoritaire et on en prend plein la gueule ».

Le petit groupe, debout, forme un demi-cercle. Salomé, Sophie, Judith, étudiantes en droit, ou encore Déborah en faculté de médecine et Alexandra en école de design, âgées de 19 à 26 ans, en ont gros sur le cœur, finalement soulagées d’évoquer leur vie bouleversée de juifs.

Dans l’Écusson montpelliérain, elles rapportent sans fard le quotidien de l’après 7 octobre 2023 et l’attaque du Hamas mais aussi leur état d’esprit perturbé un mois seulement après l’attentat à la synagogue de La Grande-Motte, le 24 août.

« Moi j’ai perdu tous mes amis non feuj »

« Depuis le 7 octobre, on a tous perdu beaucoup de potes. On vit du harcèlement sur les réseaux sociaux, notamment pour nous imposer le débat sur le conflit israélo-palestinien » déplorent-elles.

« Moi j’ai perdu tous mes amis non feuj… C’est toujours : “Et toi t’en penses quoi ?” T’es juive, tu soutiens Israël, t’aimes pas les Musulmans”, regrette cette jeune étudiante en droit.

Entre les anciennes connaissances « qui sont contentes de ce qui s’est passé et soutiennent le Hamas », les menaces en ligne ou encore des tags haineux peinturlurés à l’université « comme par exemple : « Tonton Hitler nous manque, il n’a pas bien fait son travail”, leur univers est chamboulé. Leur comportement aussi.

« Oui, il y a un repli communautaire » admettent-elles. Citant aussi cette sortie entre amis à la fête foraine de Palavas, « avec des garçons qui avaient la kippa sur la tête, on était montré du doigt, on sentait la tension. »

« Tous les jours, je me dis qu’il va se passer quelque chose »

Sophie avoue son inquiétude quand elle fréquente un lieu de la communauté : « Quand je sors, je regarde que personne ne me suive… Tant que je ne suis pas dans le tram, je ne suis pas sereine. Tous les jours, je me dis qu’il va se passer quelque chose. »

Judith, l’aînée du groupe, elle, s’adapte aux situations. Elle a par exemple des cigarettes venant du Proche-Orient dans sa poche : côté pile, les inscriptions sont en arabe, côté face, en hébreu : « sur les terrasses, je fais attention de poser le paquet du bon côté. » Comprendre : côté pile pour ne pas montrer de lien avec Israël.

« J’ai retiré mon étoile de David »

« J’ai retiré mon étoile de David », dit encore celle qui porte désormais le Haï en médaille autour du cou, autre symbole religieux moins connu : « les gens pensent que c’est une vache, je suis tranquille. Et je me suis enlevée des réseaux sociaux ou je suis en privé et je bloque tout. »

Les histoires s’enchaînent, parfois le sourire de la dérision aux lèvres, comme pour Déborah et Alexandra, originaires des P-O, prises à partie par un voisin belliqueux de la synagogue de Perpignan voilà quelques semaines.

« On se recueillait et soudain on a attendu la musique à fonds, il nous a jeté des pâtes dessus, il a tout ramené au 7 octobre et criait : “Hitler a pas fini son travail”. Il a été arrêté par la police. Ce repli communautaire, Eve, jeune quinqua installée dans un petit village près de Nîmes, est tout ce qu’elle abhorrait. Avant les attaques du Hamas.

« Moi, j’ai tendance à afficher que je suis juive, j’ai l’étoile autour du cou » explique-t-elle fièrement.

Les piques aux relents antisémites, elle les a toujours connues, y compris dans son cercle familial : de « je pensais que t’étais riche » à, tolérant que son compagnon mange du porc, « heureusement, sinon tu serais pire qu’Hitler », en passant par les « vive notre Fürher » infligés à son fils à l’école. Mais depuis un an, c’est incomparable.

« Il y a un amalgame entre les Juifs et Israël »

« Le 7 octobre c’était irréel… Et sur les réseaux ont commencé à fleurir les “oui mais”, comme s’il y avait une excuse à ce qui s’est passé, mais ce n’est pas possible d’entendre ça » poursuit cette responsable de laboratoire.

« Il y a un amalgame entre les Juifs et Israël. Je me suis retrouvée à ne plus savoir avec qui discuter et je me suis rapprochée de la communauté au mois de mai.

J’en avais besoin je suis allée à la synagogue, alors que je n’y allais pas, je pensais que c’était une “secte” rigole-t-elle. « Mon fils aujourd’hui me dit : “Maman, c’est comme une famille”. Dans cette masse de haine, il y a un amour dans la communauté juive, ça fait du bien. »

Aujourd’hui, elle prend des cours d’Hébreu et affiche désormais une mézouzah, objet de culte typique, sur sa porte.

Enlever son nom sur la sonnette

Fière, toujours, et consciente que cela peut-être encore pire ailleurs, comme à Paris, où ses cousines, au nom assimilé à la communauté, ont été obligées d’enlever leur nom de la sonnette, notamment vis-à-vis des livreurs à domicile.

Le ressenti est similaire chez Sharon, quinquagénaire également, spécialisée, elle, dans les cours de danse orientale à Montpellier et travaillant en grande majorité avec des Maghrébines.

« Moi je publie sur les réseaux, je fais de l’humour, je ne cache pas mon identité juive mais c’est fatigant les gens qui mélangent tout, qui disent que tous les Juifs sont pour Netanyahou » déplore-t-elle. La danseuse a perdu deux élèves du Moyen-Orient, obligée de rappeler « qu’un mort musulman ou juif, ça reste un mort. »

Elle s’habitue à la présence des forces de l’ordre malgré des sentiments contradictoires : « sur les lieux de la communauté, on doit faire attention, on ne reste pas devant, c’est pesant… Voir des militaires, c’est bien, mais ce n’est pas rassurant, on pense à ce qui peut se passer, mais je me sens en sécurité », analyse cette mère de famille.

« Il ne faut pas cacher son identité, être ouvert au dialogue »

Elle porte en bandoulière un message fort : « je suis pour la paix, j’aime toutes les communautés et à mon jeune garçon, je lui expliquerai qu’il ne faut pas cacher son identité, je lui dirai de faire attention mais d’être ouvert au dialogue. »

Près de la place du Peyrou, à Montpellier, le centre Olami reçoit les jeunes de la communauté autour du bienveillant Rav Yann Arnoux. Et ce soir-là, entre les pâtes gratinées offertes et une réflexion philosophico-religieuse, les plus dévots ne cachent pas leurs angoisses.

« L’antisémitisme ne devrait pas être un sujet de débat… Moi je ne porte pas la kippa en extérieur, j’ai un sweat avec un mot en hébreu, mais je fais attention » détaille Sacha 23 ans, entrepreneur, yeux clairs, tout de blanc vêtu, tsitsit sur le pantalon.

« On redouble de vigilance, il y a eu l’attaque de la synagogue à Rouen, La Grande-Motte y’a trois semaines… Ce n’est pas anodin, c’est effrayant, ça fait peur, ça se rapproche le 7 octobre, on a allumé la mèche, y’a pas encore eu le “boum”.

Il rapporte comment ses amis à Harvard « se font jeter du sang sur la porte de leur chambre » ou « quand ils s’assoient à une table, tout le monde part. On se dit que c’est difficile d’assumer son judaïsme. »

« La plupart des Juifs se posent la question de partir, la France devient dangereux »

Sacha était un proche du Montpelliérain Valentin Ghnassia, engagé dans l’armée israélienne pour débuter son alya, la migration vers Israël.

Étudiants ou engagés dans la vie professionnelle, ils l’ont tous dans un petit coin de leur tête, aujourd’hui ou plus tard, certains évoquant aussi la Corse comme île sûre et bienveillante. Des membres de la communauté vendraient aussi leur maison « pour partir plus vite si ça se dégrade » avance Delphine.

« La plupart des Juifs se posent la question de l’alya et moi aussi, la France ça devient dangereux » tranche Orlan, 24 ans, responsable de secteur d’une agence à domicile.

Religion : Le nombre de conversion au judaïsme en augmentation

Depuis un an, c’est une vingtaine de demandes de conversion que doit traiter le grand rabbin de Perpignan, Mordehai Bensoussan en charge de tous les dossiers rabbiniques de la région.

« C’est beaucoup plus que d’habitude. Et cela concerne toutes les villes », précise-t-il.

Les attentats du 7 octobre auraient bel et bien « accéléré le mouvement d’identification au peuple juif. Ces tragiques événements ont éveillé les conscience. Beaucoup y ont été sensibilisés et font ces derniers mois ce choix personnel », estime Daniel Knafo ancien rabbin de Montpellier, aujourd’hui en région parisienne.

Ceux qui débutent aujourd’hui ce processus long et intime ont des profils assez différents. Il y a ceux qui n’ont aucun lien avec le judaisme comme des personnes en couple avec un juif. Parmi les demandes de conversion, on compte également des personnes aux racines juives très anciennes d’origine espagnole ou encore qui prévoient de faire leur Alyah, c’est-à-dire de s’installer définitivement en Israël.

Chacun d’entre eux doit durant près de deux ans « vivre comme un juif sans l’être, apprendre la religion, des mots d’hébreu. Ils sont soumis à des entretiens réguliers et des examens écrits. Ils doivent accepter des efforts et des pratiques strictes », explique le grand rabbin à qui il pourra arriver d’émette un refus s’il estime qu’un “candidat” n’est pas suffisamment fidèle aux lois juives.

A mi chemin, un futur converti pourra aussi se rétracter. Ce n’est absolument pas le cas de Mirela, 42 ans, qui s’est convertie après un long chemin de trois ans. Cette Roumaine orthodoxe dont le mari est juif dit « ne jamais avoir douté durant tout le processus » et se sentir « aujourd’hui, complètement apaisée. »

Idem pour Michèle, 70ans, qui aujourd’hui convertie confesse avoir « découvert des valeurs et trouvé un véritable équilibre. Pour moi, aujourd’hui tout est clair. Mais attention, je ne suis pas une “folle de dieu”

Yanick Philipponnat

Source midilibre

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