Un 7 Octobre, deux cérémonies en Israël

Abonnez-vous à la newsletter

Témoignage de la fracture israélienne, une cérémonie citoyenne s’organise pour commémorer les massacres du Hamas, en réaction à la cérémonie officielle fermée au public.

Le 4 octobre 2023, ils étaient des milliers à danser sur la musique de l’artiste américain Bruno Mars au parc Hayarkon, large espace vert dans le nord de Tel-Aviv. Une soirée appréciée par le public, qui aurait dû se répéter trois jours plus tard… le 7 octobre. Un an après, c’est un tout autre événement qui se tiendra sur la même pelouse, le 7 octobre au soir, pour des Israéliens toujours bouleversés par le deuil, le traumatisme et la douleur.

Pour honorer la mémoire des victimes de la pire attaque terroriste commise sur le territoire d’Israël, des dizaines de milliers de personnes participeront à la Cérémonie nationale de commémoration. En huit heures à peine, les 40 000 billets mis à disposition gratuitement ont trouvé preneur. Cet événement qui affiche complet est organisé par des familles de victimes et financé par le grand public grâce à des dons, qui ont atteint en quelques semaines les 3 millions de shekels (713 907 euros).

« Il est contraire à la logique que le gouvernement, responsable en tant que tel de ce qu’il s’est passé, soit chargé de commémorer et même de façonner la mémoire. C’est presque une provocation, raconte Omri Shifroni, l’un des organisateurs de l’événement. Quand le gouvernement a voté [le 18 août] pour que la ministre des Transports, Miri Regev, soit chargée d’organiser la cérémonie nous nous sommes immédiatement dit qu’il nous revenait d’être ceux qui décident de la façon dont on se souviendra de nos proches. »

« Levez-vous »

« Nous », c’est Shifroni et le reste des membres de Kumu (à prononcer « Koumou » et à traduire « Levez-vous »), un mouvement qu’il a formé avec d’autres survivants des localités bordant la bande de Gaza et qui veut être « la voix des communautés les plus touchées, victimes de l’échec et de l’abandon du gouvernement », explique Shifroni en parlant des rescapés des villes et des kibboutz du sud d’Israël ainsi que des dizaines de milliers de personnes évacuées du nord du pays, encore loin de retrouver leurs maisons ou leurs vies d’avant.

Lui-même a survécu à cette journée sanglante, caché de longues heures avec ses enfants en bas âge sur les lieux de sa petite enfance, le kibboutz Beeri, dont plus de 30 membres ont été enlevés à Gaza et plus de 100 autres massacrés sur place par les terroristes du Hamas. Parmi ces victimes, son oncle, sa tante, sa nièce et son neveu, Liel et Yanaï, des jumeaux âgés de 12 ans, fauchés par la haine.

À ses côtés dans l’action citoyenne, Yonatan Shimriz, un autre rescapé du massacre. Il était chez lui, dans le kibboutz voisin de Kfar Aza, enfermé dans une pièce sécurisée avec sa femme enceinte et leur fille, dont c’était le deuxième anniversaire ce jour-là, quand les hommes armés du Hamas ont attaqué les lieux et emmené en otage son frère, Alon. Ce dernier a été tué par erreu en décembre par des soldats de Tsahal qui opéraient dans la bande de Gaza. Il avait 26 ans.

Fracture profonde

« N’oubliez pas », écrivent les organisateurs de cette cérémonie sur les boucles WhatsApp des journalistes, « cette cérémonie sera celle de la mémoire, de la douleur, de l’héroïsme, de l’espoir et de la réparation ». Elle est aussi une nouvelle mise en lumière de la fracture profonde qui existe entre une partie importante de la société israélienne et le gouvernement, qui a préenregistré une cérémonie de commémoration officielle à Ofakim, une ville qui fut elle aussi attaquée et où des meurtres abjects ont été commis le 7 octobre 2023.

« Une cérémonie déconnectée du peuple et de la morale et qui fait de la politique sur le dos des victimes et des otages », dénonce Shimriz. Selon un sondage mené fin août par le quotidien Maariv, 45 % des Israéliens s’opposent à ce que le gouvernement orchestre des commémorations, contre 38 % qui approuvent l’idée. Une désapprobation et une initiative citoyenne qualifiées de « bruits de fond » par la ministre Regev, proche du Premier ministre, Benyamin Netanyahou.

« Oui, malheureusement, ce sera une cérémonie sans public et elle ne sera pas diffusée en direct, a écrit sur son compte X Hen Zender, la journaliste choisie pour présenter cette cérémonie gouvernementale controversée. Il est important pour moi d’être là, de me souvenir, de commémorer et de m’assurer que l’histoire de nos êtres chers soit racontée. […] Je sais que c’est aussi important pour Noa qui m’accompagne dans chaque décision depuis toujours et pour toujours. » Noa, c’était sa petite sœur, qui a été assassinée alors qu’elle célébrait la vie au festival Nova. Elle avait 22 ans.

La cérémonie nationale et citoyenne sera diffusée à la télévision et via Internet. Elle commencera à 19 heures, puis une minute de silence est prévue à 19 h 10 en présence de milliers de personnes unies dans la douleur et déterminées à reconstruire ensemble. Sur scène, les plus grandes stars israéliennes, toutes bénévoles et de toutes les mouvances politiques. Plus tard, dans les rédactions des télévisions, on lancera l’enregistrement de la cérémonie gouvernementale. Deux cérémonies symboles, aussi, d’une démocratie vivante.

Par Emmanuelle Elbaz-Phelps

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*