Dans le monde de la culture, ce boycott d’Israël qui ne dit pas son nom

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De plus en plus d’artistes israéliens sont empêchés de se produire sur la scène culturelle hexagonale. Le début d’une nouvelle forme de censure ?

Annulation de la tournée de la Batsheva Dance Company à travers la France en juin, déprogrammation d’un festival de cinéma israélien en Alsace en septembre, et, aujourd’hui, soupçon de boycott d’une peintre de Jérusalem dans une foire d’art contemporain… Depuis les massacres commis par le Hamas le 7 octobre 2023, et la riposte militaire israélienne à Gaza puis en Cisjordanie, les artistes de l’État hébreu rencontrent de plus en plus de difficultés à se produire dans l’Hexagone.

L’onde de choc de la guerre qui ensanglante le Moyen-Orient bouleverse la scène culturelle française. Un climat délétère s’y est installé. Une forme d’ostracisme, voire de censure, est en train de progresser. Cinéma, danse, théâtre, arts plastiques, aucun secteur ne semble épargné.

Un chorégraphe empêché de montrer son œuvre

Avant l’été, Ohad Naharin annonçait qu’il ne se produirait pas en France. Invité à présenter sa nouvelle création, notamment à la Grande Halle de la Villette à Paris, mais aussi à Montpellier, le chorégraphe israélien a dû renoncer à venir « pour raisons de sécurité ». Ses spectacles risquaient d’être perturbés par des intrusions sur scène, « notamment en raison de complicités dans les équipes techniques », glisse une source proche du ministère de la Culture.

Cet artiste a beau travailler de longue date avec des musiciens et des danseurs palestiniens ; il a beau exprimer vigoureusement son opposition à la politique du gouvernement Netanyahou, cela n’a pas suffi à calmer les groupuscules anti-israéliens, au premier rang desquels figure le collectif BDS à l’œuvre derrière la campagne de harcèlement de Naharin sur les réseaux sociaux.

Un festival de cinéma annulé

En Alsace, c’est le festival Shalom Europa qui a été la cible de dizaines de lettres d’intimidation émanant d’associations diverses : le Comité Palestine-Unistras, AES-Alternative Étudiante Strasbourg, Marches Palestine 67, Jeune garde Strasbourg, le collectif Palestine 67 et le collectif Judéo-Arabe et citoyen pour la Palestine. L’événement avait été décalé à septembre, en mai dernier. Il est aujourd’hui reporté sine die.

Le gérant du cinéma accueillant l’événement et qui organise pourtant en parallèle un festival du film palestinien a en effet cédé face aux menaces que faisaient planer sur son établissement des comptes anonymes. « Pour ne pas ajouter de la violence au contexte sous tension et préserver les salariés et les publics », le festival n’aura pas lieu chez lui, a-t-il expliqué dans un communiqué.

Franck Leroy, président de la région Grand-Est, et Jeanne Barseghian, maire de Strasbourg, ont dénoncé cette annulation résultant d’une volonté manifeste de boycott. Et Maurice Dahan, président du consistoire israélite du Bas-Rhin, a annoncé qu’il porterait plainte pour des propos tenus au cours de rassemblements, place Kléber, mais aussi pour des écrits visant le festival sur Internet.

« L’annulation de notre événement est d’autant plus regrettable que les réalisateurs que nous programmons véhiculent, pour la plupart, un message de paix », pointe la porte-parole de l’association organisatrice, Alice Ullmann. Laquelle continue d’espérer qu’une édition 2024 du festival puisse se tenir un peu plus tard dans l’année.

Le monde de la culture est-il en train d’importer en France le conflit israélo-palestinien ? La question se pose au vu de ce qui se passe dans plusieurs écoles des beaux-arts à travers le pays. Mais aussi dans de nombreux musées. Au printemps, une exposition organisée au Palais de Tokyo, intitulée « Past Disquiet », a ainsi suscité une vive polémique lorsque Sandra Hegedüs a démissionné avec fracas du cercle des Amis du musée.

Elle a justifié sa décision en indiquant avoir été très choquée par des affiches présentes dans cette exposition, qui émanaient d’une organisation terroriste appelant, en arabe, au meurtre de juifs. « Imagine-t-on une manifestation culturelle où seraient placardés ou distribués des tracts nazis ? » interroge-t-elle.

Le Landerneau de l’art profondément divisé

La collectionneuse et mécène d’origine brésilienne, par ailleurs fondatrice du prix SAM Art Projects, dit avoir été étonnée par la violence de la réaction du microcosme. « Le simple fait d’exprimer mon désaccord avec la programmation de plus en plus politique du Palais m’a aussitôt valu des attaques extrêmement violentes de gens que j’avais pourtant aidés au début de leur carrière », pointe-t-elle.

Pour autant, elle déclare ne pas regretter un instant d’avoir exprimé publiquement son désaccord. « Même si j’ai été la cible d’attaques désagréables, cela aura permis que des masques tombent », dit-elle. Au lendemain du 7 octobre, ses prises de position qualifiées de « sionistes » par ses détracteurs avaient déjà valu à Sandra Hegedüs des soucis. « On m’a demandé de démissionner de mon poste de présidente de la Villa Arson », déclare-t-elle.

Interrogé sur ce point, Sylvain Lizon, directeur de l’établissement, s’en défend. « J’ai juste émis l’idée de sa mise en retrait de sa fonction de présidente, en raison de ses nombreuses absences aux réunions. Mais elle serait restée au conseil d’administration », répond-il au Point. Selon lui, cette demande aurait, en outre, été formulée avant les événements du 7 octobre. Ce que conteste Sandra Hegedüs qui date l’épisode de mars 2024.

Soupçon de censure à la Menart

Comme souvent dans pareille affaire, ce sont deux récits qui s’opposent, deux versions d’une même histoire qui se contredisent. Tel est aussi le cas dans une autre affaire de boycott présumé. Celui d’Orli Ziv, une peintre franco-israélienne qui devait exposer à la Menart, la foire d’art du Moyen-Orient, qui ouvre à Paris le 20 septembre.

Orli Ziv a appris pendant l’été qu’elle ne ferait « finalement » pas partie de la liste des artistes sélectionnés, alors même que plusieurs témoins attestent que deux de ses tableaux évoquant la lumière du désert de Judée et faisant partie d’une série intitulée « Jerusalem Obsession » devaient figurer au programme de l’édition 2024 de la manifestation. Celle-ci met en avant des femmes du Moyen-Orient.

L’organisatrice de l’événement, Laure d’Hauteville, n’a pas donné suite à notre demande d’explications. Pour justifier la non-sélection d’Orli Ziv, sa porte-parole évoque une décision du comité de sélection de la Menart qui n’aurait pas entériné la décision de la directrice, par ailleurs fondatrice, de la foire.

Ce jury est composé de la galeriste égyptienne Stefania Angarano, le commissaire d’exposition libanais Kalim Bechara, la collectionneuse tunisienne Essia Hamdi et l’experte en art contemporain d’origine iranienne, Leila Varasteh. Ce comité a décidé de mettre en avant le travail d’une artiste palestinienne, Mona Hatoum, en soulignant son « esprit de résistance et de résilience ».

Une vision trop binaire du conflit

L’expression d’une empathie pour la cause palestinienne devait-elle fatalement se traduire par l’exclusion concomitante d’une artiste israélienne ? « En ce moment, le simple fait d’exprimer sa compassion pour les otages israéliens semble insupportable à certains. On peut pourtant pleurer les morts des kibboutz du sud d’Israël tout autant que ceux des enfants gazaouïs », exprime la commissaire d’exposition Victoria Jonathan, qui regrette ce manichéisme délétère.

« Dans une frange du monde de l’art, il paraît désormais impossible d’avoir une approche nuancée sur le sujet. Certains artistes juifs se retrouvent même ostracisés », poursuit cette jeune femme, également membre de l’association Les Guerrières de la Paix, qui rassemble des femmes de toutes origines qui militent pour une coexistence pacifique des Palestiniens et des Israéliens.

« Ce n’est pas nouveau. Quand je programmais des musiciens israéliens sur l’antenne de TSF, il m’est arrivé de recevoir des mails hallucinants », révèle Sébastien Vidal. Ce promoteur infatigable du jazz n’entend pas se coucher pour autant. « Je ne donnerai pas ma peur aux semeurs de haine. Et je continuerai de faire écouter à la radio comme sur scène les grands musiciens de notre temps, qu’ils soient d’Israël ou d’ailleurs », conclut le programmateur.

Par Baudouin Eschapasse

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