«Libération» et le collectif Balance ta scène ont recueilli plusieurs témoignages faisant état d’une présence d’idéologies haineuses pendant le festival de metal breton dont la quatorzième édition s’ouvre jeudi 15 août.
Damien (1) est encore amer lorsqu’il évoque la scène. Bénévole lors de l’édition 2023 du Motocultor, l’autre grand festival metal de l’été après le Hellfest, il tombe nez à nez avec… un symbole nazi. Un de ses «collègues», une autre de ces petites mains qui contribuent au bon déroulé de l’événement dont l’édition 2024 ouvre ses portes ce jeudi 15 août à Carhaix (Finistère), «portait une ceinture dont la boucle était une Totenkopf». A savoir la tête de mort utilisée comme symbole par les SS. Un exemple de cette provoc de très mauvais goût dont peuvent être friands les fans du genre ? «C’est une personne qui est connue dans la communauté metal comme étant néonazie…» rétorque Damien.
L’exemple ne fait pas figure d’exception. Même si ces individus ne représentent qu’une minorité au sein des amoureux du genre, Libé a pu recueillir ou consulter de nombreux témoignages faisant état de festivaliers étalant leurs convictions d’extrême droite dans l’enceinte du Motocultor. Ou de labels y tenant des stands tout en étant connus pour produire ou distribuer des artistes de la mouvance NSBM, sigle désignant le national socialist black metal. Des néonazis.
Des «fachos à l’aise partout»
«Quand j’allais aux toilettes le soir, j’ai entendu des mecs gueuler “hey voilà Bamboula”», racontait une femme noire en août 2023. Une autre témoin dit s’être «embrouillée avec un type qui insultait une femme racisée» lors de l’édition 2022 du festival. Là, ce sont des festivaliers qui déplorent, photo à l’appui, une édition 2023 riche en symboles «NSBM et autres tatouages de soleil noir, croix celtique», codes néonazis et néofascistes, ou les «insignes problématiques» exhibés dans le public «genre KPN». C’est-à-dire Kommando Peste noire, un groupe français aux paroles antisémites dont le chanteur, Famine, est notoirement proche du GUD et a été condamné en 2021 pour l’agression d’un jeune homme qu’il a pris pour un «antifa».
Ces témoignages, et bien d’autres encore, concernent plusieurs éditions du festival depuis 2019. Certains ont été publiés, anonymisés, sur le compte Instagram Balance ta scène, collectif de lutte et de prévention contre les violences sexistes et sexuelles (VSS), racistes, homophobes, transphobes et validistes dans la scène musicale. Libé a également pu s’entretenir avec des festivaliers ou bénévoles, comme Damien, qui confirment ces faits.
Question de la formation des équipes de sécurité
Un autre témoignage raconte encore comment, toujours en 2023, «un groupe de doigts d’honneur» a été adressé aux membres de Birds in Row, très connus dans le milieu, par une petite bande installée tout près de la scène lorsqu’ils ont «critiqué les fachos et la complaisance envers eux dans la scène et les festivals puis quand ils ont dédié un morceau aux personnes queer, racisées et discriminées en général». L’anecdote montre aussi que ces festivaliers d’extrême droite restent minoritaires parmi les milliers de festivaliers (54 000 personnes sont passées au Motocultor en 2023). Mais qu’il y a bien un problème.
Birds in Row a par exemple annoncé en avril se retirer de la programmation du Hellfest. «Ces dernières années, la position du festival sur des questions telles que le mouvement #MusicToo [#MeToo dans la musique, ndlr] ou la place des idéologies d’extrême droite dans nos scènes n’a pas été suffisamment claire», ont-ils expliqué dans un communiqué.
Certains témoins soulignent toutefois que l’organisation du Motocultor ne peut pas faire grand-chose contre la présence de ces individus parmi les spectateurs. D’autant que, souvent, leurs codes vestimentaires et autres tatouages sont extrêmement cryptiques et ne parlent qu’aux initiés, ce qui pose notamment la question de la formation des équipes de sécurité. Mais il reste que les incidents dont ils sont responsables laissent des traces. Des gens, victimes ou témoins, qui restent choqués. Au point que certains disent envisager de ne plus se rendre au Motocultor.
«Nos agents de sécurité n’ont pas observé de festivaliers arborant des symboles NSBM», qui sont interdits sur le site, rétorque par mail la direction du festival. Si elle nie avoir eu connaissance de la plupart des faits évoqués ou d’un homme à tatouage néonazi parmi ses bénévoles, elle reconnaît avoir «vu des commentaires sur les réseaux sociaux» concernant la chanson Erika diffusée dans le camping. «Nous disposons d’une équipe d’une dizaine d’agents de sécurité qui patrouillent toute la nuit, mais le camping s’étend sur plus de 6 hectares, relativise l’organisateur. Si notre équipe avait été informée, les festivaliers en auraient été immédiatement expulsés.»
«Les gens en tee-shirt à l’effigie de groupes NSBM pullulaient»
Autre problème signalé de manière récurrente et sur lequel l’organisation du Motocultor a une emprise beaucoup plus directe : la présence de stands de labels de musique qui entretiennent des liens avec des groupes se revendiquant d’une idéologie d’extrême droite. A Libé, la direction du Motocultor déclare «condamner fermement» le NSBM et assure que les exposants sont «rigoureusement contrôlés» et «sélectionnés avec soin», ajoutant «partager des valeurs communes avec chacun d’entre eux».
Plusieurs festivaliers présents en 2023 se sont pourtant émus de voir un stand d’Antiq Records sur le site. Ce label français de black metal (un sous-genre du metal) commercialise par exemple les Polonais de Graveland, connus pour leurs morceaux glorifiant le Troisième Reich. Le groupe était tête d’affiche au concert néonazi français Call of Terror organisé par la mouvance radicale d’extrême droite en Isère en février, alors que l’événement avait été interdit par les autorités en raison de son caractère idéologique et afin de «prévenir toute atteinte à l’ordre public».
Antiq Label propose également sur son site des albums de Burzum, un projet du norvégien Varg Vikernes considéré comme une référence par les amateurs de NSBM. Vikernes, qui vit en France après avoir purgé une peine de prison pour assassinat dans son pays d’origine, a été condamné en 2018 pour «la violence raciste, antisémite et xénophobe de certains de ses messages en anglais sur Internet» par le tribunal correctionnel de Paris. «Autour de leur stand, les gens en tee-shirt à l’effigie de groupes NSBM pullulaient», témoigne un festivalier choqué. Un autre assure avoir interpellé l’organisation lors de plusieurs éditions, en vain.
(1) Le prénom a été modifié.