Bruno Fiszon : « Le judaïsme n’a pas pour mission de changer la société… »

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Grand Rabbin de Moselle depuis 1997, le Messin se dit inquiet du contexte politique actuel et de l’explosion de l’antisémitisme. Il dénonce « une connivence extrêmement dangereuse de certains politiques avec les islamistes ».

En quête perpétuelle d’une vérité forcément parcellaire ( « l’homme n’a pas accès à l’absolue » ), Bruno Fiszon aurait pu embrasser une carrière de chercheur. 1985, doctorat de médecine vétérinaire en poche, le Messin quitte l’Université de Nantes et rejoint l’Institut Pasteur. À Paris, logé à l’école centrale rabbinique de France – créée à Metz en 1829 puis transférée à Paris en 1859 au 9, rue Vauclin (Ve arrondissement) – prière et études rythment ses journées. Directeur de l’établissement, Emmanuel Chouchena, l’invite à « suivre, en parallèle de [sa] thèse sur le réservoir des virus chez l’oiseau, les cours du rabbinat ». Auteur d’un parcours sans faute – et d’un détour d’une année par Israël où il fréquente l’institut vétérinaire Kimron et l’académie talmudique Hazon Ish – son désir de « transcendance », de « partage » et de « transmission » de sa foi, l’enjoignent à troquer la blouse pour le talith.

Déclin démographique

Grand Rabbin de Metz et de la Moselle depuis 1997, Bruno Fiszon évoque une « lutte permanente pour maintenir les effectifs » d’une communauté juive de quelque 3 000 âmes en proie à un « indéniable déclin démographique ». « Notre attractivité repose sur le pôle éducatif (jardin d’enfants, école primaire et collège) ». Des établissements « sous contrat avec l’État et un enseignement général classique », parsemé de cours d’hébreu, de culture et de religion juive.

À ses yeux, ces structures sont une « véritable nécessité ». « Si à Metz, on est encore préservé, dans certaines grandes villes, un enfant juif ne peut plus aller à l’école publique… » Il se souvient de ses années passées au collège Barbot puis au lycée Fabert. « Élevés dans la tradition juive, mais dans la culture française », lui et Eric, son frère, descendent d’une famille de « migrants d’Europe de l’Est », aux origines polonaises et hongroises. Retour vers une autre terre promise ? Bruno Fiszon sourit : « Tous les juifs de Pologne ont des ancêtres venus de France et d’Allemagne vers le XVe siècle. »

Poisson et téfilines

Son patronyme, germanique, il le décortique lui-même : « Ça vient de “fisch”, le poisson, et “sohn”, le fils. Le fils du poisson. » Derrière ce « symbole d’abondance et de vie », faut-il y voir une théorie de l’évolution ou un clin d’œil du destin pour l’auteur d’un ouvrage référence* sur la place de l’animal dans le judaïsme ? D’ailleurs, enfant, quelle place occupait la religion ? « Importante, mais mes parents n’étaient pas aussi religieux que je le suis. Je suis allé beaucoup plus loin dans la pratique », concède l’intéressé, ce matin de juillet, l’avant-bras gauche encore fraîchement strié par les lanières en cuir de ses téfilines.

LFI, Gaza et Frères musulmans

Tourmenté par le contexte politique, Bruno Fiszon constate la montée d’un antisémitisme issu de trois ingrédients : « Islamisme politique, wokisme et islamo-gauchisme de LFI ». À ce cocktail s’ajouterait « l’assimilation du juif au blanc et au capital ». Le tout sur fond du conflit entre le Hamas et Israël. « Voir des pancartes “De la Méditerranée au Jourdain’’, c’est tout simplement un appel à jeter les juifs à l’eau », dit-il dépité à la vue, dans les manifestations, de drapeaux palestiniens et LGBT. « Au vu du sort réservé aux homosexuels à Gaza ou dans des pays régis par la charia, ça relève d’une telle ignorance… »

Ce Chevalier de la Légion d’honneur se réjouit de sa relation interreligieuse avec l’imam Mohamed-Icham Joudat, président de l’association de la Grande Mosquée de Metz , « très intégré, représentatif d’une partie importante des musulmans de France et ne cherchant pas à faire de politique. » Il dénonce une « doxa ambiante » : «  Toute critique à l’encontre d’un certain islam politique fait de vous un islamophobe , terme inventé par les Frères musulmans (NDLR : dans un entretien accordé au Figaro, Bertrand Chamoulaud, patron du renseignement territorial, estime qu’il y a 100 000 Frères musulmans en France, contre 55 000 en décembre 2019 ) dont le profil n’est pas celui des djihadistes. Eux sont plutôt costume-cravate… »

Avant de se retirer, ce père de cinq enfants rappelle « l’absence de prosélytisme du judaïsme ». « Il n’a pas pour mission de changer la société. Dans le Talmud, il est écrit : “La loi du pays, c’est la loi”. » La transmission, elle, est en bonne voie : « L’aîné se dirige vers le rabbinat… »

Et Dieu créa l’animal (Les Editions Transmettre)

Charles Michel

Source republicain-lorrain