Raphaël Enthoven : « Les Insoumis offrent le visage d’une pure bêtise en action »

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Le philosophe est poursuivi par LFI pour « injure publique » après avoir qualifié le parti de « passionnément antisémite » et de « club de déficients ». Il défend et maintient ces propos.

C’est un procès devant la 17e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris qui devrait faire du bruit. La France insoumise poursuit Raphaël Enthoven pour « ‘injure publique », lui réclamant la somme de 10 000 euros. En cause : un message sur le réseau X (ex-Twitter) dans lequel le philosophe et écrivain qualifiait LFI de « parti détestable, violent, complotiste et passionnément antisémite », et ajoutait : « Et ils sont tellement cons qu’il n’est même pas nécessaire de les corrompre pour qu’ils reprennent à la lettre le narratif du Hamas ou de Poutine. On n’en peut plus, de ce club de déficients qui, après avoir tenté de faire entrer des islamistes à l’Assemblée, tentent de faire entrer le Hamas au Parlement européen. »

Pour la formation d’extrême gauche lancée par Jean-Luc Mélenchon, ces propos « relèvent de l’attaque opportuniste et gratuite et constituent une atteinte considérable à l’image du parti, visant à le discréditer dans l’opinion publique », comme on peut le lire dans la citation à comparaître adressée le 22 juillet à Raphaël Enthoven. L’intellectuel sera défendu par Richard Malka, l’avocat historique de Charlie Hebdo. A L’Express, il contextualise mais maintient ces mots qui relèvent selon lui du « constat », assurant que « La France insoumise, c’est un morceau de Corée du Nord en France ».

L’Express : La France insoumise vous poursuit pour un tweet que vous aviez publié le 1er mai, et dans lequel vous qualifiez le mouvement de « détestable, violent, complotiste et passionnément antisémite ». Cette phrase relève selon vous non pas de l’injure, mais du « constat ». Pourquoi ?

Raphaël Enthoven : Parce que je ne le dirais pas si c’était faux ! Et, en la circonstance, tout est aisément démontrable. « Détestable et violent » est ce mouvement de voyous dont les députés (nationaux ou européens) tentent d’intimider leurs adversaires, ce mouvement de mal élevés qui refusent de serrer la main d’opposants politiques et qui fonctionnent à l’exclusion, à la purge, à la menace et au torse bombé. « Complotiste » est ce mouvement sectaire dirigé par un fou qui pense que les crimes de Mohammed Merah ont été téléguidés par le gouvernement, ou que la République dispose secrètement d’un agenda « islamophobe ».

Et « passionnément antisémite »?

« Passionnément antisémite » est le mouvement qui, cinquante-deux ans après les Jeux de Munich, menace ouvertement les athlètes israéliens, multiplie les « dogwhistle » (comme les mains rouges, les « dragons célestes » ou encore le triangle rouge inversé du Hamas), popularise les fake news du Hamas qu’il refuse de qualifier de « terroriste », présente le peuple juif comme déicide et conservateur, soupçonne le Crif de gouverner la France en cachette, ressuscite et popularise de vieux clichés antisémites (comme l’image du juif empoisonneur de puits), promeut des candidats dieudonnistes ou soraliens, applaudit un rassemblement qui exclut des juifs d’un amphithéâtre, conspue une association de féministes attachées à faire reconnaître le viol d’Israéliennes, raconte que l’armée israélienne entraîne des chiens à violer des prisonniers, traite des juifs de « sionistes » parce qu’ils sont juifs et non parce qu’ils sont sionistes, etc. etc. etc.

La particularité d’un tel antisémitisme, c’est que, dans l’immense majorité de ses manifestations, à l’exception des délires de Thomas Portes ou de Rima Hassan, il n’est pas répréhensible. Il existe quantité de manières d’être antisémite à l’abri de la loi. Quand vous allez au concert de Roger Waters sans être dérangé par la présence d’un cochon-tirelire couvert d’étoiles de David, quand vous indexez les opinions de BFMTV sur celles de Patrick Drahi, quand votre premier réflexe est de dire « et Gaza ? » après avoir vu les images du 7 octobre, quand vous dites à un Français juif agressé qu’il a « toute sa place en France » (comme si une telle chose n’allait pas de soi), vous ne faites rien d’illégal, mais vous êtes antisémite, parfois passionnément, et vous diffusez un antisémitisme d’atmosphère qu’il faut combattre sur le terrain de l’opinion, plus que devant les tribunaux.

LFI vous reproche aussi de les avoir traités de « cons » et de « club de déficients ». N’est-ce pas là des propos injurieux ?

Je ne les ai pas exactement traités de cons. J’ai dit qu’ils étaient « tellement cons » qu’il n’était même « pas nécessaire de les corrompre pour qu’ils reprennent le narratif de Poutine ou du Hamas ». Ce n’est pas la même chose. Tout est parti d’une perplexité : comment peuvent-ils défendre, sans qu’on les y contraigne, l’argumentaire des Russes ou des islamistes ? Le RN est prorusse, mais le RN, c’est le parti de l’étranger. Le RN, ce sont des années d’allégeance au régime de Poutine et à ses banques. On peut comprendre qu’ils n’aiment pas l’Ukraine. C’est une question de survie. Alors que les Insoumis, eux, sont purs. Ils sont sincères. Ils sont désintéressés quand ils affirment que l’Otan menace la Russie ou bien qu’il faut démilitariser l’Ukraine et livrer la Crimée. Ça vient du cœur. Dans ces cas-là, la seule explication qui reste à leur discours, c’est une bêtise profonde. Une bêtise sans limites, abyssale, sublime et fière d’elle-même. Incapables de second degré, inaptes à toute nuance, parfaitement sectaires et dogmatiques, imperméables à toute objection, incapables d’échanges, les Insoumis depuis des années offrent le visage d’une pure bêtise en action.

Est-on responsable de sa propre bêtise ? Ça se discute. Mon sentiment est qu’en un sens, les Insoumis sont innocents, car ce sont des innocents. Ce n’est pas de leur faute s’ils sont complètement idiots, s’ils croient qu’avec 182 députés ils ont la majorité absolue, ou s’ils pensent faire avancer leur cause en diffusant délibérément des fake news. Aucun mépris dans le constat de leur insuffisance. Juste de la compréhension.

Quant à « club de déficients », depuis quand est-ce une insulte ? Faut-il mépriser les personnes déficientes pour se vexer qu’on vous assimile à elles ! Comme la sottise, la déficience a valeur d’explication, et ne saurait être reprochée à celle qui en souffre. Ce n’est pas de leur faute s’ils prennent tout au premier degré, s’ils ne comprennent pas qu’un pogrom relève du « terrorisme » ou s’ils croient faire œuvre de tolérance en défendant le port de l’abaya. En imputant à la déficience ce que d’autres imputent à la haine (ou à l’électoralisme), d’une certaine manière je les dédouane. En fait, les Insoumis sont si peu malins qu’ils voient une injure dans le diagnostic qui les exonère de leurs responsabilités.

Vous avez longtemps plaidé pour la possibilité de débattre et d’échanger sur les réseaux sociaux, en dépit de leurs limites. N’avez-vous pas vous-même cédé aux dérives des invectives numériques ?

J’ai renoncé depuis longtemps à la possibilité de convaincre ces gens-là. J’ai passé des années à tenter de construire des échanges courtois et de substituer le débat au combat. Mais face aux Insoumis (comme face aux islamistes ou aux fascistes) c’est absolument peine perdue. Les Insoumis ne vont pas sur les médias sociaux pour discuter ou mettre la vérité en partage, mais pour imposer leurs vues et disqualifier ceux qui ne les partagent pas.

Les Insoumis sont passés maîtres dans l’art de diffuser en meute une nouvelle qu’ils savent fausse, mais dont le contenu leur plaît. Par exemple : à l’heure où je vous parle, ils ont tous laissé courir leur post (en date du 18 octobre) sur les « 500 morts » dus au bombardement (imaginaire) de l’hôpital al-Ahli Arabi par l’armée israélienne. Ils savent que c’est faux. Ils savent que c’est en fait une roquette tirée par le Djihad islamique, mais ils s’en fichent. Ils ne sont pas là pour dire la vérité, ou reconnaître la vérité. Ils sont là pour diffuser la propagande d’un groupe terroriste. A quoi bon tenter de rétablir la vérité face à une cohorte de gens ravis de diffuser ce qu’ils savent être une fake news ? Restent les sarcasmes, la guerre et les diagnostics sans complaisance.

Qu’est-ce que cette procédure dit selon vous du parti de Jean-Luc Mélenchon ?

Une telle procédure dit des Insoumis qu’ils ne supportent pas la liberté d’expression en particulier, et la liberté en général. La France insoumise, c’est un morceau de Corée du Nord en France. La France insoumise est un soviet déguisé en secte (ou l’inverse) où les places sont fixes et la liberté de chacun strictement encadrée. Aucun vote ne vient troubler la hiérarchie des apparatchiks ou l’exécution des purges. Or, quand on fonctionne de cette manière, on n’a aucun mal à s’en prendre à la liberté des autres. Comme, à force d’être sots, ils se font battre sur le terrain de l’opinion, ils tentent maintenant d’en passer par la voie légale. Gageons que ça ne marchera pas davantage, et qu’on est toujours libre, dans ce pays, de dire ce qu’on pense.

Dans L’Express, vous aviez, dès le lendemain de la constitution du Nouveau Front populaire, dénoncé « une fusion aberrante » entre socialistes et Insoumis. Les évolutions récentes vous confortent-elles dans cette opinion ?

Avec le score de Raphaël Glucksmann aux européennes, les socialistes avaient une occasion, une seule, de s’émanciper du joug insoumis, mais ils ne l’ont pas saisie. Non parce que Macron a dissous l’Assemblée et qu’il a fallu s’unir à toute vitesse, mais parce que les socialistes ont peur de leur ombre et n’ont aucun moyen de se faire élire sans alliance avec LFI. Les socialistes ont invoqué le « despotisme » de Macron pour justifier leur ralliement aux Insoumis, alors qu’ils ils se seraient ralliés de toute façon, et à toute époque. Le résultat, c’est une houleuse cohabitation entre deux camps qui se détestent mais qui ont besoin de leurs troupes respectives pour ne pas disparaître.

Les socialistes et les Insoumis sont comme Butch Coolidge et Marcellus Wallace dans Pulp Fiction : personne ne se déteste davantage et livrés à eux-mêmes, ils s’entretuent. Mais la situation leur impose d’être solidaires pour se sortir de la cave où ils sont retenus prisonniers. Ou bien comme des porcs-épics en hiver que le froid contraint de se rapprocher mais que leurs piquants éloignent aussitôt. Mon vœu est que le NFP tienne le plus longtemps possible pour qu’on se régale de leurs engueulades.

Thomas Mahler

Source lexpress