Le 7 novembre fut une date que les israéliens ne sont pas près d’oublier. Voici quatre histoires qui se passèrent à cette date et changèrent le vie des gens.
Noam Tibon, le héros du kibboutz Nahal Oz
Général de division à la retraite, Noam Tibon, 62 ans, vit avec son épouse, Mira, à Tel-Aviv. Le 7 octobre au matin, il suit avec inquiétude ce qui se passe dans le Sud. Il pense d’abord à son fils, Amir, 34 ans, un journaliste de renom du quotidien Haaretz, qui vit dans le kibboutz Nahal Oz, tout près de Gaza, avec sa compagne, Miri, leurs deux filles, Galia, 3 ans, et Carmel, 1 an. Vers 6 h 30 du matin, quand l’alerte retentit suivie d’un tir de roquettes lancées par le Hamas, tous les quatre se sont enfermés dans la pièce sécurisée et renforcée de leur maison.
Vers 7 heures, Amir entend des voix en arabe. Il comprend que ce sont des assaillants. Il appelle son père au téléphone. À voix basse, il lui dit : « Il y a des terroristes à l’extérieur de la maison. » Pas besoin d’en dire plus. Noam Tibon a compris. Il prend sa voiture, armé de son pistolet. Son épouse à ses côtés, il file vers le sud. Premier arrêt, le kibboutz Mefalsim, où ils découvrent des corps inanimés et des voitures incendiées. Soudain un jeune couple, pieds nus, surgit. Ce sont des rescapés du massacre commis par le Hamas au festival de musique Supernova. Noam et Mira les font monter dans leur voiture et les conduisent en lieu sûr à Ashkelon, sur la côte. Ils reprennent la route.
Le général dépose son épouse à Mefalsim, embarque un soldat qui a accepté de l’accompagner et reprend son périple. À l’entrée de Nahal Oz, les deux hommes rejoignent un groupe de militaires qui se battent contre des terroristes. Ils les aident à combattre les assaillants. Deux soldats sont blessés. Le général les fait monter à bord de sa voiture et retourne à Mefalsim, d’où sa femme va les conduire à l’hôpital. Peu après – il est environ 14 heures –, il retourne à Nahal Oz. Au milieu du chaos, Noam tombe sur un autre général à la retraite, Israel Ziv, 66 ans, qui a remis l’uniforme pour venir se battre.
Accompagnés de militaires envoyés en renfort, les deux généraux pénètrent dans le kibboutz, avancent maison après maison. Ils tuent au passage six terroristes et libèrent des familles enfermées depuis le matin. « Quand je suis arrivé près de la maison de mon fils, raconte Noam Tibon, il y avait là les corps de cinq terroristes et celui d’un soldat israélien. Je me suis approché de la fenêtre. J’ai cogné fort sur le volet de protection en disant : “Amir, c’est papa. Tu peux ouvrir.” »« Il était environ 16 heures, se souvient Amir. Cela faisait dix heures que nous étions dans le noir, sans un mot. J’avais dit à mes filles de rester silencieuses. Rien ne devait nous faire repérer. Alors quand papa est arrivé, nous avons pleuré de soulagement. Nous savions que nous étions sauvés. »
Youssef Zyadney, le Bédouin qui a secouru des festivaliers de Supernova
Il est environ 7 heures lorsque Youssef Zyadney, chauffeur de taxi basé à Rahat, la grande ville bédouine du sud d’Israël, reçoit un appel téléphonique à glacer le sang. Au bout du fil, un groupe de clients qu’il a déposés la veille au festival Supernova, la rave-party organisée non loin de Gaza, le supplient de venir les récupérer le plus vite possible.
Une escouade de terroristes a débarqué en pleine fête et a ouvert le feu sur les milliers de festivaliers. Les morts se comptent déjà en dizaines. Pour ne rien arranger, une pluie de roquettes s’abat sur la région. Trop peu, cependant, pour effrayer Youssef Zyadney. « Ne bougez pas de votre cachette jusqu’à ce que j’arrive ! » leur répond-il au quart de tour avant de foncer vers son van.
Après vingt minutes de route à vive allure, un spectacle d’apocalypse s’offre à lui. Des dizaines de voitures gisent sur le bas-côté de la route, criblées de balles. Du sang macule les abris antiaériens disposés aux arrêts de bus. D’épais panaches de fumée noire s’échappent de l’horizon et des rafales d’armes automatiques déchirent l’air.
Une trentaine de jeunes fêtards apeurés, pour certains grièvement blessés, sortent d’un bosquet et se ruent sur le véhicule. Youssef Zyadney les embarque et met le pied au plancher. Aujourd’hui célébré dans tout le pays, cet Arabe israélien refuse de se considérer comme un héros. Il s’inquiète surtout du torrent de commentaires haineux associés à son nom sur les réseaux sociaux. « Certains s’étonnent que j’aie risqué ma peau pour sauver des vies juives. C’est idiot : je n’ai fait que mon devoir en sauvant des êtres humains qui comptaient sur moi. Peu importe leur religion. Israël est mon pays et ils sont mes concitoyens. »
Yossi Landau, l’ambulancier survivant du 11 Septembre et du 7 octobre
C‘est un homme dur comme un roc, inébranlable, qui a tout vu depuis qu’il a fondé Zaka, ce groupe d’ambulanciers volontaires qui depuis trente-trois ans collectent les cadavres et les restes humains lors des meurtres et attentats en Israël. Et pourtant, il fond en larmes en racontant la tragédie du 7 octobre, lors d’une conférence de presse organisée à Jérusalem une semaine plus tard. Il évoque le corps d’une femme enceinte dont le fœtus a été extrait de son ventre – plusieurs autres ambulanciers ont confirmé cette découverte dans une maison de Be’eri. « Nous avons débattu pour savoir si on les mettait dans un ou deux sacs mortuaires », lâche Yossi Landau avant de craquer et de quitter la pièce.
Le terrorisme, il en connaît pourtant mieux que quiconque les horreurs, lui qui a créé son organisation à la suite d’une attaque contre un bus où 17 civils israéliens avaient été tués. Devenue incontournable, l’organisation compte aujourd’hui 1 500 employés et bénévoles en Israël, 700 à l’étranger. Yossi Landau a fait le tour du monde pour des opérations de sauvetage sur des catastrophes ou des massacres, à Haïti, en Turquie, à Bombay aussi après les attentats de 2008…
Juif orthodoxe, ce père de 10 enfants est aussi le patron d’une entreprise de fret internationale, avec des bureaux à Londres et à New York, où il se trouvait le 11 septembre 2001. Après l’attentat, il se précipite dans la tour n°2 du World Trade Center pour aider à évacuer les employés. « L’immeuble s’est effondré sur moi, évoque-t-il. J’ai été pris au piège sous les décombres durant des heures. »
Après le 7 octobre, quand certains de ses hommes débattaient pour savoir s’il fallait aussi ramasser les corps des assassins, Landau a mis un point d’honneur à le faire. « Ce n’est pas juste une question de respect des principes de la religion juive, explique-t-il. Dans toutes les cultures, il faut respecter toute vie, quoi qu’il en reste, qui a été créée par Dieu. »
Moshe Ridler, survivant de l’Holocauste et victime du Hamas
Moshe Ridler a survécu à la Shoah mais pas au Hamas. À 91 ans, il était le doyen du petit kibboutz Holit, non loin de la frontière égyptienne. Il y avait emménagé il y a cinq ans pour se rapprocher de sa famille. Ses voisins appréciaient son humour décapant et sa forte personnalité. Il aimait la danse et les voyages, mais sa nombreuse descendance était sa plus grande fierté.
Né en décembre 1931 en Roumanie, Moshe Ridler avait perdu une partie de sa famille pendant la Seconde Guerre mondiale. Quand la déportation des Juifs commence, son père et sa sœur aînée sont envoyés dans un camp de travail à Odessa. Quant à Moshe, il est conduit à l’âge de 9 ans dans un camp d’internement Romanka en Transnistrie avec sa mère et sa sœur. Celles-ci meurent bientôt du typhus, le laissant livré à lui-même.
À 11 ans, il parvient, avec d’autres enfants, à échapper à ses geôliers et à s’enfuir. « Il nous a raconté qu’il n’a jamais cessé de courir, explique son petit-fils. Ce dont il se souvenait, c’est de s’être réveillé avec une famille d’une région rurale d’Ukraine et d’avoir passé tout le temps de la guerre avec elle. » À la fin du conflit, comme d’autres Juifs roumains, il regagne son pays et y retrouve son père sur les marches d’une synagogue. À 20 ans, il émigre dans le jeune État d’Israël, où il travaillera dans la police aux frontières, puis à l’Agence juive.
Moshe Ridler a été assassiné le 7 octobre par les terroristes du Hamas, avec, à ses côtés, son aide-soignant moldave, Petro Bosco, et onze autres civils. Le matin du jour fatidique, Bosco répond encore au téléphone à 7 h20, sans trop réaliser ce qui se passe. Les appels suivants sonnent dans le vide. Ce n’est qu’à 23 h 15 que l’une de ses filles reçoit la nouvelle de sa mort.