Dans sa chronique, Éliette Abécassis nous rappelle la nécessité de chercher la hauteur et de changer de décor pour les vacances.
Enfin la nature après la ville, les arbres parfaits, les forêts denses, les prairies, les lacs et les cascades abondantes, les chemins et les sentiers, la liberté inespérée que nous accordent les beaux jours après les crises, les guerres et les problèmes, les épidémies et les maladies.
S’extraire, partir, prendre la route, s’éloigner ! Des listes infinies de la technologie, des tâches quotidiennes, du travail, des soucis et des peines, des tristesses et des ennuis. Jouir enfin de la beauté, la contempler. Être ébloui par les couleurs qui luisent au soleil et qui rayonnent sans fin, des journées qui tardent à se faner tout comme les fleurs de l’été, fines et gracieuses, persistantes, rubicondes, violettes ou grises, aux pétales de toutes couleurs qui parsèment les montagnes, et parmi elles le pâle Edelweiss, l’étoile des sommets, perdu dans un écrin rocheux, situé quelque part entre ciel et terre.
J’ai dansé dans les cimes de l’été, j’ai fait de l’été une ascension. J’ai transformé chaque minute en seconde et chaque seconde en minute, le temps n’avait pas de signification. J’ai vibré au vent sur les arbres. J’ai frissonné sur les neiges éternelles. J’ai marché sur les chemins rocailleux, j’ai gravi mille et mille mètres, j’ai atteint les pics. C’était un défi, c’était une course, c’était une envie.
J’ai cherché la hauteur et ce n’est pas une métaphore. À force de monter vers le haut des sommets, on prend la mesure du silence. On apprend la patience. On se soucie de l’insouciance. On se recueille. On accueille le vide afin qu’il participe de la vie, loin des bavardages et du bruit qui l’assourdissent, et tous ces mensonges qui encombrent le cœur des hommes et que l’on appelle vérité. Loin des miasmes citadins, loin de l’inessentiel.
Ici, à l’air pur, sous le ciel dégagé, terrassés par les montagnes altières, le respect ne se force pas, il s’entend, il se doit. La route est dure, elle n’admet pas de retour. Il faut monter, monter sans fin, avant que vienne la nuit pour atteindre un refuge. Ce refuge c’est un abri, c’est un parc humain au sein du cirque de la nature, c’est un répit avant la seconde marche, celle qui mènera plus haut encore, vers un autre relais.
On s’y restaure, on s’y détend, on y fait des rencontres importantes car elles sont sans lendemain. On s’y salue, on s’y dit peu de choses : plus on monte et plus les paroles comptent, on parle de nourriture et d’espace, de distance et de kilomètres, des hauteurs traversées, des noms de lieux introuvables, des routes improbables, des chemins imprenables. On se dépayse de mille paysages. On y dort du sommeil du randonneur. Un sommeil sans trêve et sans heurt, fruit de la fatigue et du corps harassé. On y rêve de voyages et d’ailleurs. Il faut se lever à l’aube pour que le soleil ne soit pas trop chaud. Et à force de volonté et d’endurance, faire la route que l’on s’est tracée, celle que l’on s’est choisie pour soi-même, celle que l’on a décidée.
On monte, monte, et un jour on descend. On s’est donné un but, c’est de monter plus haut que l’été précédent, et moins que l’été prochain. Et si on se trompe de route, on peut recommencer mais c’est plus de peine, d’effort et de volonté. À escalader, on se durcit le tempérament. À chaque mètre, on devient plus vigilant. On chasse l’imprudence pour ménager sa fatigue.
C’est le signe que le temps a passé, que l’expérience a creusé le sillage de la sagesse. On ne peut plus revenir en arrière. On apprend à lire les panneaux qui indiquent les directions et à déceler sur les arbres les peintures qui perturbent la verdeur du paysage. On saura ne plus se perdre. On poursuivra la bonne route mais elle sera sans présage. On suivra les indications. On fera attention cette fois. Attention aux nuages qui planent au-dessus de nos têtes, annonciateurs de pluies diluviennes.
L’orage en montagne est tonitruant. Les éclairs déchirent le ciel et illuminent l’entièreté de la vallée. C’est comme si Dieu manifestait une colère immense en regardant les hommes s’agiter sans se préoccuper de son absence. De son absence, oui. La montagne en est le symbole. On monte, on monte, et un jour, on descend. Ce n’est pas un hasard si Moïse y a cherché les Paroles.
Le désert est silence, la montagne est révélation. De soi, de l’autre, du monde. Du mouvement de la vie qui est ascension et descente. On voudrait transmettre son message. On voudrait garder en nous cette illumination et on ne peut arrêter d’en parler. Mais on ne peut l’expliquer. Sauf à ceux qui l’ont vécue, ceux qui savent, les initiés de la randonnée, ceux qui étaient au pied de la montagne et ceux qui ont vu le sommet, ceux qui sont descendus après avoir contemplé le monde, d’en haut. Et aussi le monde d’en haut. Comment dire qu’on a embrassé les cimes ? Dieu est absent, mais il nous a laissé le vent qui est son souffle. Entre terre et ciel on cherche son chemin. On monte, on monte et un jour on descend.
Eliette Abécassis