« Le Point » s’est entretenu avec David Lau, grand rabbin ashkénaze d’Israël et figure tutélaire pour les juifs du monde entier.
Les rues de Paris sont désertes ce lundi de Pentecôte, mais, dans l’enceinte du Centre européen du judaïsme, l’effervescence règne. David Lau, le grand rabbin (ashkénaze) d’Israël, est en visite pour quelques heures dans l’édifice inauguré en 2019 par Emmanuel Macron. De Metz, de Lyon et d’ailleurs, les rabbins des grandes villes de France sont venus l’accueillir et recueillir ses conseils. Fils d’un rescapé de Buchenwald, qui a dirigé avant lui le grand rabbinat et qui préside désormais le conseil de Yad Vashem, le centre d’histoire de la Shoah, David Lau, 57 ans, s’est imposé comme une figure tutélaire pour les juifs du monde entier et pour de nombreux Israéliens, alors que le pays est en proie à d’importantes divisions politiques. Le projet de réforme judiciaire porté par le Premier ministre Benyamin Netanyahou fait l’objet d’ un mouvement de contestation inédit, par son ampleur et sa durée.
Dans les bureaux de Haïm Korsia, grand rabbin de France, David Lau reçoit Le Point, entouré d’une assemblée de rabbins dont certains s’improvisent traducteurs pour l’occasion (faut-il traduire meuhad par « uni » ou « lié », la question fera l’objet d’une discussion). Chaque mot prononcé par la voix posée et grave de David Lau a son importance. Récemment, il a décrété que la viande artificielle pouvait être considérée comme kasher ; ce jugement pourrait faire d’Israël un pays en pointe dans la nourriture développée en laboratoire. Il n’a pas pour habitude de se prononcer sur les questions politiques, mais le rabbin accepte d’évoquer les manifestations contre Benyamin Netanyahou, le Premier ministre israélien, ainsi que la guerre en Ukraine, lui qui s’est rendu en Moldavie dans les premiers mois du conflit.
David Lau : Je dirige les tribunaux rabbiniques, qui gèrent les mariages, les divorces, les conversions. Le gouvernement fait appel à moi pour toutes les questions liées au judaïsme. À l’étranger, j’interviens dans la formation et la reconnaissance des rabbins. Mon but est que tous les juifs puissent trouver une maison dans mon rabbinat, des ultra-orthodoxes aux moins religieux. Je suis chargé de transmettre l’enseignement de la Torah en Israël, mais aussi dans les communautés juives à travers le monde.
Je ne m’exprime pas sur les questions politiques. Ma place est davantage dans les villages, dans les villes, dans les écoles, que dans les cabinets ministériels. Mais je peux vous dire qu’Israël est plus apaisé que certains ne le prétendent. Le peuple est uni, vivant et concerné, de manière positive. Je ne dis pas que tout va bien en Israël. Bien sûr, il y a des différends, des discussions. La population paraît parfois divisée, mais la grande majorité est solidaire, liée à son pays et ancrée dans ses traditions.
Comment la population réagit-elle à la recrudescence des attentats depuis les territoires palestiniens ?
Lors des attaques, des gens, religieux ou non, viennent me voir pour me demander de prier pour eux. Mais je tiens à dire qu’aujourd’hui en Israël on vit normalement. On vit bien. Beaucoup de pays dans le monde rêvent d’être aussi apaisés qu’Israël. Les attentats nous préoccupent mais la main d’Israël est, depuis toujours, tendue vers la paix. On a donné Gaza aux Palestiniens. Un morceau de terre fertile où il y a avait des serres qui produisaient des fruits et des légumes vendus dans le monde entier. Elles ont été transformées en petits laboratoires de terrorisme, où on construit des roquettes. J’ai beaucoup de compassion pour les habitants de Gaza, qui voudraient vivre de façon tranquille et apaisée. À cause du Hamas, la population vit dans la misère.
En Occident, des critiques se font pressantes contre l’État d’Israël. L’ONG Amnesty International parle de « régime d’apartheid »…
Israël est accusé de ne pas aider assez l’Ukraine.
(Il coupe.) Je ne dirai pas mon opinion sur la guerre, ce n’est pas mon rôle. En tant que grand rabbin, je suis allé en Moldavie pour ressentir la souffrance et la détresse des populations touchées par la guerre. Juifs comme non-juifs. J’ai constaté l’importance de l’aide fournie par Israël à ces populations. J’ai vu des Israéliens qui ont abandonné leur métier et leur maison pour aider des gens qu’ils ne connaissaient pas. Voici les valeurs du judaïsme. Mon rôle est de valoriser et de renforcer ces valeurs en Israël et partout dans le monde.
L’attaque contre la synagogue de la Ghriba en Tunisie, le 9 mai, est-elle le signe d’une nouvelle flambée d’antisémitisme ?
Ce qui s’est passé à Djerba est très grave. Je demande solennellement à tous les gouvernements du monde de lutter contre l’antisémitisme. Chaque juif doit pouvoir vivre son judaïsme dans le pays où il vit. Et pas seulement dans les pays démocratiques.
En France, un récent rapport met en garde contre la résurgence de l’antisémitisme au sein des jeunes générations. Cela vous inquiète-t-il ?
Je suis en France depuis quelques heures et je n’ai pas ressenti d’antisémitisme (sourire). J’ai rencontré les grands rabbins de France et je constate au contraire une forme d’épanouissement du judaïsme dans le pays. Il n’y a pas de raison que les jeunes générations soient plus sujettes à l’antisémitisme que les autres. Les juifs ont trop souffert de l’antisémitisme, ils ne sont plus prêts à tolérer cette haine. J’attends de la société et du gouvernement français qu’ils fassent tout pour lutter contre la haine. Cela commence par l’éducation.
Propos recueillis par Julien Peyron