Avec son film, « Reste un peu », l’humoriste français assume son amitié avec une religieuse des Béatitudes, dont la communauté profite ainsi d’une avantageuse publicité. Or ce mouvement traîne, depuis son origine, des scandales d’abus sexuels, dénoncés depuis 2010.
Un demi-million de spectateurs en salles, une trentaine d’articles de presse, des invitations à la radio, à la télévision ; sorti mi-novembre au cinéma, le film Reste un peu, écrit et réalisé par Gad Elmaleh, connaît un joli succès commercial. Prouesse que ce récit intime, s’interrogeant sur la définition du judaïsme et la promesse du christianisme, tissé par l’humoriste qu’on connut moins cérébral dans le rôle du travesti de Chouchou ou celui du flambeur de Coco ; cette fois, le propos s’élève : l’histoire drôlatique donc d’un quinquagénaire de retour des Etats-Unis, dont la mère, pétulante juive pratiquante, découvre dans la valise une statuette de Notre-Dame de Lourdes. En secret, il chemine vers le baptême, conversion vécue comme une déflagration par sa famille séfarade.
Le scénario ne fait pas mystère de sa part autobiographique, soulignée par une confondante distribution : Gad Elmaleh joue Gad Elmaleh, sa mère Rebecca joue sa mère, son père endosse le rôle de son père, sa sœur celui de sa sœur, ses copains sont ses copains, le prêtre en soutane officie dans l’église Sainte-Cécile de Boulogne-Billancourt. Et puis, la pétulante sœur Catherine. Tenue monastique noire et blanche, elle s’appelle dans la vraie vie sœur Catherine, chargée de l’accueil des jeunes à Lourdes. La relation entre le juif hésitant, un brin roublard, et la moniale pétille tout du long, quel attelage que ce duo uni par la Vierge, dont l’acteur principal dit sentir la céleste tendresse. L’affaire pourrait s’arrêter là, chacun croyant ce qu’il veut, si le plus fameux des humoristes français n’avait choisi, pour évoquer ce parcours, la communauté des Béatitudes, à laquelle appartient, dans le film et en réalité, sœur Catherine.
Ce film s’est ainsi mué en objet publicitaire, donnant à ce petit mouvement catholique charismatique, une audience positive – accommodante pour taire ses sombres bagages. Reste un peu a enchanté la communauté. Bande-annonce du film, photographie du comédien bras dessus bras dessous avec la religieuse en première page de son site, le tout finement titré « Gad Elmaleh lève le voile sur son chemin spirituel » et assorti du commentaire : « Sortie le 16 novembre, on s’y précipitera avec joie », joie en lettres capitales. Pour appuyer le propos dans ses interviews avec la presse confessionnelle, Gad Elmaleh dit son admiration. Ainsi dans Le Pèlerin, le 7 novembre, à la question « qu’est-ce qui vous lie à la communauté des Béatitudes ? » répond-il : « On dit les Béats (sourire), un coup de foudre spirituel ». Ce cheminement religieux relève de son intimité, sauf qu’il l’affiche avec gourmandise, confiant par exemple avoir reçu « une petite médaille bénie d’un frère de l’Agneau », mouvement cousin des Béatitudes, rebelote.
Un pélerinage et le dîner avec le cardinal tradi
C’est peu dire que depuis quatre, cinq ans, la vedette du stand-up comique est devenue l’égérie des cathos tendance tradi. Présent à Rome lors de la canonisation de Charles de Foucauld en mai 2022, il participe l’été suivant à une session à Paray-le-Monial, fief de la communauté de l’Emmanuel, un autre mouvement charismatique. Il y est photographié en compagnie d’Hubert de Torcy, membre de ladite communauté, un chef d’entreprise, figure de proue de ces catholiques soucieux d’une France selon eux trop sécularisée, compromise dans des valeurs mortifères. Hubert de Torcy apprécie Gad Elmaleh, « je l’ai invité à Paray-le-Monial », confie celui qui assura la promotion de son film dans les médias catholiques.
Le diplômé de HEC, fondateur d’un journal catholique gratuit, L’1nvisible, dirige Saje, une société spécialisée dans ce que les Américains nomment la « Faith production », soit les films chrétiens. C’est lui qui produit Vaincre ou mourir, épopée narrant les guerres de Vendée en 1793, ou Unplanned, l’histoire d’un dispensaire pratiquant l’avortement, et lui encore qui distribua The Chosen, série consacrée à la vie de Jésus, produite par l’évangélique américain Dallas Jenkins, dont les droits ont été rachetés par Canal +, épisodes disponibles sur la plateforme MyCanal et première saison diffusée sur C8, trois entités appartenant à Vincent Bolloré, patron de Vivendi.
Or justement, quel hasard, le breton, catholique conservateur assumé, admire la théologie conservatrice d’un cardinal guinéen, le cardinal Sarah dont en juin 2021, l’hebdomadaire Famille chrétienne raconte « la rencontre touchante » avec… Gad Elmaleh. L’article narrant cette improbable rencontre est illustrée d’une photo du comédien, barbe et chemise blanche, aux côtés de l’ancien archevêque de Conakry, lors d’un dîner organisé au foyer parisien Jean Bosco, lieu d’accueil pour étudiants cher au cœur de Vincent Bolloré. D’ailleurs sa filiale Canal + préacheta le film Reste un peu, distribué par Studio Canal. Décidément, que les voies du Seigneur sont variées et celles de Gad Elmaleh penchent drôlement.
Le cadavre exhumé du caveau de Pont Saint-Esprit
Sylvaine Coquempot, assistante de vie scolaire en Bretagne, ignore tout des fréquentations de Gad Elmaleh, dont les sketches l’ont toujours fait rire. Cet automne toutefois, elle a suivi la promotion de Reste un peu en s’étranglant. Comment assumer de mettre en lumière, même indirectement, ce mouvement auquel appartenait sa soeur retrouvée pendue aux rideaux de sa chambre à l’âge de 21 ans, drame dont elle décrit l’agonie dans l’hebdomadaire Golias en septembre 2022 ? Comment l’acteur populaire peut-il faire profiter de sa notoriété les Béatitudes ? Comment tolérer que le site de celle-ci fasse la promo du film, s’assurant ainsi un sympathique coup de projecteur ? Comment ignorer que l’association fut dénoncée dans un livre, La Trahison des pères,publié en 2021, disséquée dans deux documentaires, dont celui, ravageur, de la journaliste Sophie Bonnet, Une secte aux portes du Vatican, diffusé en 2011, soit plus de dix ans avant les vingt-trois jours de tournage du film ?
D’autant plus intriguant que les Béatitudes ne feignent pas d’adhérer aux grandes lessives tardivement mises en route chez les cathos, bousculés par une accumulation de scandales. Le mouvement se tient à l’écart de toute introspection, refusant de rejoindre le dispositif de la commission indépendante sur les abus sexuels, ouverte en 2018, comme il n’a pas signé la charte éthique de la Conférence des religieux et religieuses de France.
Dévouée à réparer les outrages dont elle considère que sa sœur fut victime, Sylvaine Coquempot a fait exhumer en juillet dernier, accompagnée d’un avocat membre du Centre contre les manipulations mentales (CCMM), le cercueil de son aînée du caveau des Béatitudes dans le Gard. « Elle ne pouvait pas continuer de reposer aux côtés de ses bourreaux, elle a été abusée par l’un des fondateurs, elle y a subi des exorcismes violents, elle s’est pendue à la suite d’une absence de soins, son suicide a été maquillé en mort mystique », raconte la mère de famille, qui depuis deux ans écrit à tous les évêques, alerte le Vatican, réclame des comptes aux responsables de ce drame. Puis, le 7 octobre, elle adresse deux courriers à Gad Elmaleh, postés aux deux sociétés productrices du film. « Je constate que votre film associe à sa promotion des membres de la communauté des Béatitudes. J’ai une grande admiration pour ce que vous faites et c’est avec tristesse que je crains que vous soyez victime d’une manipulation par un groupe sur lequel pèsent de lourds soupçons de dérives sectaires et dont les membres ont fait l’objet de nombreuses condamnations pénales. »
Ses écrits n’ont jamais reçu de réponse. Ils ont, semble-t-il, été lus. Cinq jours plus tard en effet, sœur Catherine, dont la présence était annoncée aux côtés du comédien sur le plateau télévisé de la chaîne confessionnelle KTO, ne s’y présente pas, son absence n’est pas évoquée et le nom de sa communauté pas prononcé. Dans la foulée, le site des Béatitudes suspend toute référence au film, retire la bande-annonce, enlève la photo de l’acteur et de la religieuse. Une pause prudente. Puis, mesurant l’indifférence générale et trop contente de l’aubaine, elle remet en ligne cet appareil promotionnel. Le 23 décembre 2022, Gad Elmaleh est reçu par le pape au Vatican et diffuse sur Twitter, en cette veille de Noël, sa photo au côté du chef de file des catholiques, tenant entre ses mains l’affiche du film, le court texte afférent ne fait aucun lien avec les Béatitudes. Dans la communauté, on se frotte les mains. L’épouse de l’éditeur des Béatitudes, Claude Brenti, tout juste retraité, est la traductrice de Raniero Cantalamessa, prédicateur de la maison pontificale, créé cardinal par l’actuel pape. De quoi faciliter les prises de rendez-vous place Saint-Pierre. Et le petit coup de pub salvateur.
Le chantre et les 57 enfants abusés
L’acteur et réalisateur n’a pas souhaité répondre à nos questions, priant sa communicante, Anne Hommel, de prendre la parole : « Sœur Catherine compte beaucoup pour lui, c’est une amie proche, elle n’est nullement caution d’une dérive de la communauté religieuse. Gad Elmaleh a rencontré une personne, il n’a pas fait d’enquête sur une communauté, il ignore tout de celle-ci. » Cette amicale légèreté interroge. Car nul besoin d’enquêter pour apprendre que l’association mérite circonspection ; quelques minutes de recherche sur le Web, suffisent pour apprendre que celle-ci est soupçonnée d’abus spirituels et de violences sexuelles.
Fondée en 1973, par Gérard Croissant, alias frère Ephraïm, et sa femme Josette, les Béatitudes font partie de ces communautés nouvelles nées après le concile Vatican II. En 2020, elle est reconnue comme « famille ecclésiale de vie consacrée ». Le terme la distingue d’un ordre religieux, façonné par une histoire multiséculaire, tels que les Dominicains, les Franciscains, les Trappistes, etc.; elle se dote de ses règles, pratiques, financements, liturgie sans se soumettre au contrôle de Rome. Vie collective, mise en commun des biens, elle attire des prêtres, des célibataires et des familles, pratiquant louanges, danses, cérémonies proches de la transe nommées « repos de l’esprit », guérisons miraculeuses, divinations et au besoin exorcisme. 1 500 membres au seuil des années 2000, présents dans une trentaine de pays.
Les scandales explosent à partir de 2008. Pierre-Etienne Albert, le chantre et meilleur ami du fondateur Ephraïm, est condamné à cinq ans de prison en 2011 pour avoir agressé sexuellement 57 enfants. Ephraïm, révoqué par une décision canonique de l’Eglise, est contraint de quitter la communauté qui, en novembre 2011, le reconnaît « coupable de graves manquements » envers des religieuses « dont une jeune fille mineure ». Pourtant, aujourd’hui encore, ses prières figurent sur leur site. Son beau-frère, Philippe Madre, modérateur général pendant quinze ans, est accusé devant un tribunal ecclésiastique « d’abus sexuels par personne ayant autorité », en 2010, l’archevêché de Toulouse le déclare « coupable des faits délictueux reprochés ». Ni lui, ni Ephraïm, n’ont eu à répondre devant la justice civile. Un autre responsable, Jacques Marin, animateur de retraites, est lui aussi soupçonné d’abus sexuels, il décède avant la fin des poursuites judiciaires. En janvier dernier, l’hebdomadaire La Croix met en cause deux prêtres, dirigeant le cours Agnès-de-Langeac, deux prêtres déplacés, jamais poursuivis, l’un d’eux ayant occupé un poste de n° 2 aux Béatitudes jusqu’à l’an dernier. Dans la foulée, des signalements sont adressés aux procureurs de Toulouse, Draguignan, Autrey et au procureur du roi en Belgique. Dans le même temps, il apparaît que les membres travaillent bénévolement, ne cotisant à aucune caisse de retraite, une privation efficace pour alléger les coûts et empêcher d’envisager une vie ailleurs.
A la suite de ces révélations, le Vatican nomme en 2010 un commissaire pontifical pour faire le ménage. Des aménagements statutaires sont imposés, un ripolinage dont se satisfait la communauté. « Le travail n’est pas fait, cette communauté demeure dans l’aveuglement collectif et sa structure de fonds est malade, déviante, confie ce haut responsable de l’Eglise catholique de France. Elle n’est à mon sens pas réformable, tant ses origines sont viciées. C’est pourquoi le film Reste un peu est scandaleux, quelle légèreté, quelle compromission, pourquoi choisir les Béatitudes quand il y a 18 000 religieux en France ? » A croire que Notre-Dame de Lourdes n’est pas toujours conseillère avisée.
C’est vrai il y a eut d’affreux scandales dans cette communauté mais ! il y a aussi des gens biens comme dans toute communauté , on ne jette pas la pierre à l’ensemble pour cette raison. Gad a une amie très bien et il n’a aucune raison de rejeter son amitié à cause de quelques tarés . Cela n’a pas de sens.Il est assez grand pour savoir ce qu’il a à faire!