Noémie Montagne, qui a partagé la vie de l’humoriste multicondamné jusqu’en 2017, a déposé plainte contre lui le 25 octobre. Face à «Libération», elle dénonce l’«emprise» qu’il aurait exercée sur elle, levant aussi le voile sur le système mis en place par Dieudonné pour protéger ses petites affaires.
Depuis des années, Dieudonné, 56 ans, a eu affaire à la justice, aux associations antiracistes, à Manuel Valls, qui en avait fait un combat personnel lorsqu’il était ministre de l’Intérieur, en cherchant à faire interdire ses spectacles. Pour l’humoriste antisémite, désormais, la menace vient de l’intérieur : de sa compagne de longue date et associée en affaires, Noémie Montagne, 46 ans, qui l’a quitté en 2017. Elle a témoigné contre lui pour des faits touchant à leur vie privée, mais aussi à son lucratif business. Selon nos informations, elle a déposé plainte contre lui, mardi, pour «harcèlement» et «escroquerie». Des faits qui, s’ils étaient avérés, pourraient valoir à Dieudonné jusqu’à sept ans de prison et 750 000 euros d’amende, pour ce dernier délit.
Rencontrée par Libération en août, Noémie Montagne s’exprime pour la première fois dans la presse. Elle dénonce «l’emprise» qu’aurait exercé sur elle un Dieudonné présenté comme «manipulateur», ce que rapportent aussi plusieurs des intimes de l’agitateur. Le dossier va au-delà des sujets domestiques : il lève le voile sur le complexe système mis en place par Dieudonné pour protéger ses affaires du fisc et des enquêteurs. Encore propriétaire de 50 % des parts de la société Productions de la plume, qui gère depuis 2009 les représentations de l’humoriste multicondamné, Noémie Montagne en est aussi l’ancienne gérante. A ce titre, elle représente une potentielle menace pour la bonne poursuite des petites affaires de Dieudonné, dont elle connaît bien des secrets. Pourtant, la quadragénaire assure vouloir se «séparer de tout». Mais le fossé entre ses attentes et celles de son ex-conjoint – qui s’est contenté de balayer auprès de Libération ces «fausses accusations» – apparaît béant.
«Il rend les coups au centuple»
«C’est toujours le même schéma : il prend une personne vulnérable et il s’en sert.» Dans le bureau de son avocate bordelaise, Noémie Montagne renvoie l’image d’une femme décidée, mais qui appréhende les conséquences de ses mots. «Dieudonné a énormément d’ego, il est dans la vengeance. Et quand on l’attaque, il rend les coups au centuple…» Pendant des heures, elle déroule le fil de sa vie avec l’un des humoristes les plus connus de France. La relation débute en 2006 sur un quai de gare, presque clandestinement, car Dieudonné est encore en couple avec la mère de ses quatre premiers enfants. Il en aura autant avec Noémie Montagne.
«Il n’a pas d’amis et nous n’avions pas de vie de couple», assure-t-elle, décrivant un quotidien exclusivement tourné vers le business, où l’alcool coule à flots. «Tous les soirs, les repas étaient arrosés de champagne, cela participait à créer une ambiance artificiellement festive et conviviale pour nous tromper», indique-t-elle dans son dépôt de plainte, que Libération a pu consulter. Des visages reviennent régulièrement : Jean-Marie Le Pen et son épouse Jany, l’idéologue antisémite Alain Soral ou Frédéric Chatillon, ancien leader du GUD et ami de Marine Le Pen. Ce dernier est même «un ami de la famille, on partait en vacances ensemble», précise l’un des enfants du couple, qui a accepté de nous parler.
Etre dans le cercle de l’humoriste, c’est aussi être proche de lui physiquement. Notamment dans les bureaux de Saint-Lubin-de-la-Haye (Eure-et-Loir), où résident une partie des salariés de l’humoriste. Ou dans la propriété familiale du Mesnil-Simon, enceinte de plus d’un hectare que Noémie Montagne décrit désormais comme une «prison dorée». «Il y a une piscine couverte de 20 mètres de long, un théâtre, un terrain de tennis et d’innombrables pièces… Pour en montrer l’énormité, Dieudonné comptait les WC, il y en a 14 je crois.» Un château de solitude où elle était sous «emprise», dit-elle. Dans sa déposition, Noémie Montagne raconte cette anecdote : «En 2010, après la naissance de notre dernier enfant, j’ai voulu partir, Dieudonné me suivait, me harcelait. Il m’empêchait de dormir en me surchargeant de projets alors que j’allaitais encore notre cadette. […] Il était allé taper sur le piano pour réveiller tout le monde.» A bout de nerfs, elle envisage de se «jeter par la fenêtre» et appelle les gendarmes. Une fois les militaires sur place, elle se rétracte, «écrasée par la personnalité de Dieudonné».
Insolvabilité organisée
C’est lorsque Noémie Montagne commence à prendre ses distances avec Dieudonné, il y a cinq ans, que leurs relations se tendent. «Il ne m’a rien laissé ou presque», assure-t-elle. Elle parle de «pression psychologique», dit avoir dû consulter un psychologue. Que certains des enfants nés de la première union de Dieudonné, qu’elle a connus tout petits, lui ont tourné le dos. «Il leur a retourné le cerveau, mais c’était moi qui m’occupais de ces gosses…» Aujourd’hui encore, les échanges SMS avec son ex-compagnon, que Libé a pu consulter, montrent un homme qui dit tendre la main, alors que dans le même temps, il bloque la pension alimentaire qu’il est censé lui verser. Selon nos informations, celle-ci a été fixée à 4 000 euros par mois par le juge aux affaires familiales de Bordeaux, le 3 janvier 2022. Cela fait suite au premier accord conclu de gré à gré entre les ex-conjoints en 2019 pour un montant de 6 500 euros mensuels.
«Noémie n’est pas une oie blanche, elle reconnaît qu’elle ne s’est pas fait forcer la main», admet aujourd’hui son avocate, maître Sophie Benayoun. Après elle a aussi prêté son nom, ou on l’a utilisé… C’est un peu comme sa signature ou les virements, tous n’émanaient pas d’elle.» Une première condamnation tombe en 2019, confirmée en appel en 2021, pour «abus de biens sociaux», «fraude fiscale» et «blanchiment» portant sur un million d’euros, que l’humoriste a pioché directement dans les caisses de ses spectacles, sans le déclarer, et pour avoir organisé frauduleusement son insolvabilité. Dieudonné est condamné à deux ans de prison ferme sans incarcération, et 200 000 euros d’amende, assortis de dix ans d’interdiction de gérer une société. En tant que gérante des Productions de la plume au moment des faits, poste qu’elle a occupé jusqu’à son remplacement par un fils de Dieudonné en décembre 2020, Noémie Montagne a pour sa part écopé de dix-huit mois de prison avec sursis pour «fraude fiscale» et «abus de biens sociaux». La société a été condamnée à une amende de 50 000 euros pour «fraude fiscale» et «omission d’écriture comptable».
Tourbillon d’entreprises et de patrimoine
Cette procédure a accentué l’éloignement entre les deux, fragilisant en conséquence tout l’édifice juridique que Dieudonné avait bâti autour de ses affaires. «Il ne possède rien ou presque en propre, il mettait tout à mon nom ou à celui des enfants pour fuir le fisc et la justice», explique Noémie Montagne. Ce que confirment les nombreux documents que nous avons pu consulter. Si elle était gérante des Productions de la plume, «en réalité c’était bien Dieudonné le dirigeant exclusif de la structure», déclare-t-elle aux gendarmes. De l’entreprise créée en 2009, trois ans après leur rencontre, et qui produit les spectacles de Dieudonné, elle détient toujours 50 % des parts. Le reste a été mis au nom de la mère de l’agitateur, Josiane Grué, sociologue à la retraite. Noémie Montagne possède aussi 30 % du capital d’«Ana», assurance «antisystème» (en réalité un simple courtier) montée en 2015 par Dieudonné, qui a confié à son fils Merlin 70 % des parts, et 100 % de la société Nicodème qui stocke les cercueils que que son ex-compagnon a un temps essayé de vendre à ses fans. Dans le même genre, la maison familiale du Mesnil-Simon a été bâtie à force de rachat des demeures voisines dont certaines ont été mises au nom des enfants… Un tourbillon de patrimoine et d’entreprises, au milieu duquel Dieudonné n’apparaît nulle part.
L’homme brasse pourtant de l’argent. Selon nos informations, les comptes des Productions de la plume sont rondelets pour un artiste qui se produit dans des champs ou dans un autobus retapé : en 2018, le bilan fait apparaître plus de 2 millions d’euros de chiffre d’affaires déclarés, et encore près d’un million et demi en 2019. «Mais ce n’était jamais assez», dit Noémie Montagne. Selon elle, Dieudonné cherche sans cesse à accumuler des richesses, de préférence en liquide. En 2014, lors d’une perquisition, 535 083 euros en espèces ont été découverts chez lui et, puisqu’il ne pouvait en justifier la provenance, saisis. Le Monde a également révélé qu’entre 2009 et 2012, il avait expédié plus de 400 000 euros en liquide au Cameroun, pays où il conserve des attaches, notamment familiales.
«Il ne m’a laissé que des dettes»
Depuis 2020, Noémie Montagne a été écartée de la gérance des Productions de la plume et ne touche plus de rémunération à ce titre. Mais ses ennuis n’ont pas cessé. Après sa condamnation de 2019, elle est poursuivie au civil par l’actuel gérant de la société, qui lui a succédé : Noé M’Bala M’Bala, le fils cadet de Dieudonné. Il lui réclame quelque 3 millions d’euros de dommages et intérêts.
Dieudonné semble aussi tenir à récupérer la moitié des parts des Productions de la plume, dont Noémie Montagne est encore détentrice. Lorsqu’elle lui réclame une pension alimentaire en janvier dernier, il lui répond par SMS : «Vend tes parts dans Prod plume tu auras de l’argent.» «Depuis deux ans, il faut que je supplie pour qu’il paye la pension alimentaire… qu’il finit par verser, quand il le fait, avec du retard, assure Noémie Montagne. Il ne m’a laissé que des dettes, notamment suite aux condamnations liées à mon rôle de paratonnerre dans ses business.»
Quand elle lui demande de régler l’amende de 2 000 euros dont elle avait écopé en juillet 2021 pour avoir escroqué des salles de spectacles près de Lille en les réservant sous un faux prétexte pour des prestations de l’humoriste, Dieudonné lui rétorque dans des échanges constatés par huissier : «Je veux bien payer […] si Noé récupère Prod Plume.» Le prix de rachat proposé est de 40 000 euros, une somme que Noémie Montagne et ses conseils jugent largement sous-évaluée, au regard des centaines de milliers d’euros de capital immobilier détenu par l’entreprise, notamment les bureaux de Saint-Lubin-de-la-Haye. «Mon but, c’est de me séparer de tout, dit Noémie Montagne. Je lui ai fait une contre-proposition via mon avocate, mais il a campé sur ses positions.» Selon nos informations, Montagne a plusieurs fois proposé à Dieudonné de revendre ses parts dans les Productions de la plume, pour une somme bien supérieure à ce que lui propose, et a tenté via son avocate d’ouvrir une procédure d’estimation.
Vente de produits dérivés
Même chose pour la société E-Quenelle, montée en 2012 pour vendre le merchandising à la gloire de l’antisémite, dont Noémie Montagne est la seule actionnaire. Et que Dieudonné entend aussi récupérer. Pourtant, et c’est l’objet de la plainte pour escroquerie déposée par son ex-compagne le 25 octobre, il semble très bien se débrouiller sans. Une procédure de mise en cessation de paiements a été lancée en mars 2022 et l’entreprise n’a plus d’activité depuis décembre 2020. Mais le merchandising continue à être écoulé, notamment sur les lieux des spectacles de l’humoriste ou lors d’un «Bal des quenelles» organisé en juin 2021, comme Libé a pu le confirmer.
Difficile d’en évaluer le montant mais des documents comptables que nous avons pu consulter montrent que, les années précédentes, la vente des produits dérivés atteignait plusieurs milliers d’euros par soirée. Ces nouvelles recettes n’ont pas été déclarées dans les comptes d’E-Quenelle, assure Noémie Montagne. Pas plus que le «merch» vendu sur le site de Dieudonné. «L’an dernier, j’ai refusé de signer la cession du merchandising par E-Quenelle aux Productions de la plume, dit Noémie Montagne dans sa plainte. Dès lors, le versement de la pension alimentaire a été stoppé durant deux mois.»
Selon les outils d’archivage en ligne consultés par Libé, jusqu’en décembre 2021 les mentions légales du site marchand de Dieudonné précisaient que les transactions se faisaient sous la houlette d’E-Quenelle, avant de basculer sur les Productions de la plume en janvier 2022. «Ce n’est pas une infraction pénale en soi, même si le fisc peut s’estimer lésé, juge maître Benayoun. Mais ça peut relever de la banqueroute : un détournement d’actifs d’une société en cessation de paiements, qui lui relève du pénal.»
Confronté à ces éléments et aux déclarations de Noémie Montagne, Dieudonné a répondu par un message goguenard ne revenant pas sur le fond : «D’accord je ne joue pas très bien du piano mais de là à me traîner dans la boue comme elle le fait… 6 300 euros de pension c’est pas mal quand même non ?! Surtout après avoir touché 25 000 euros de salaire net par mois pendant des années.» Des chiffres sujets à caution : il s’agit donc de l’ancien montant de la pension alimentaire. Quant aux salaires de Noémie Montagne, selon les bulletins de paie que nous avons pu consulter, elle touchait par exemple en 2019 environ 5 600 à 5 900 euros nets par mois, en tant que salariée gérante des Productions de la plume et de E-Quenelle. Pour le reste, Dieudonné se contente de dénoncer des «fausses accusations».
Mise à jour le samedi 29 octobre à 11h50 : ajout d’une citation de Me Benayoun et mention de la demande d’estimation des Productions de la plume.