Il y a de ces histoires que l’on croit connaître, mais qui, lorsqu’on se donne la peine d’en découvrir tous les détails, nous saisissent par leur profondeur et leur humanité.
Celle d’Eliezer Sherbatov en est un exemple probant. Ce natif d’Israël, arrivé à Montréal avec sa famille alors qu’il n’avait que 1 an, est relativement connu. Sa famille est impliquée dans le sport dans la grande région de Montréal depuis des années. Ancienne gloire du hockey mineur, il a évolué dans la LHJMQ en dépit d’un handicap et, depuis 10 ans, il gagne sa vie en jouant au hockey un peu partout dans le monde. Juste là, c’est déjà intéressant.
Mais à la lecture du livre Le garçon qui voulait jouer au hockey, publié chez Hurtubise, on ne peut faire autre chose que s’incliner devant la quantité d’épreuves que Sherbatov a surmontées dans sa vie.
À l’exception des personnalités les plus connues de la planète, il n’est pas commun que les biographies sportives soient écrites pendant la carrière même d’un athlète. Sherbatov ne s’en cache pas : « C’est quelque chose que j’avais envisagé, mais beaucoup plus tard dans ma vie ! » Pas à 31 ans, en tout cas…
Si Sherbatov était d’abord « sceptique » par rapport à la proposition de l’autrice, il s’est finalement laissé convaincre. « Par tout ce qu’elle m’a dit et par la manière dont elle me l’a dit », précise-t-il. « Tout ce que j’ai vécu, je me suis toujours dit : ça fait partie de ma vie. Mais Anna m’a expliqué que non, ce n’est pas une vie normale. Je me suis dit : elle a peut-être raison ! »
Parti de zéro
Rédigé à la première personne, le récit est construit de manière chronologique. Il s’amorce à la fin des années 1980, à Moscou, où l’antisémitisme ambiant pousse des milliers de Juifs à quitter l’URSS. C’est ce que les Sherbatov réussissent à faire, mettant le cap sur Israël avec leurs deux garçons – Eliezer naîtra dans l’État hébreu. Devant l’instabilité politique dans laquelle est plongé le pays, ils s’envolent finalement vers Montréal.
Établie à LaSalle, la famille vit dans la pauvreté, mais le couple se saigne pour permettre à ses enfants de pratiquer du sport organisé. Les aînés se dirigent vers les arts martiaux, tandis que le cadet se démarque au hockey. Eliezer n’a que 13 ans lorsqu’il représente pour la première fois Israël aux Championnats mondiaux des moins de 18 ans.
Inscrit à un programme de sports-études au secondaire, il est dans la voie naturelle qui mène vers le niveau élite, voire une carrière professionnelle. Or, le jeune adolescent subit un bête accident qui, malgré la rééducation, lui coûte l’usage de sa jambe gauche sous le genou.
Au terme d’opérations, et aidé par sa mère qui est entraîneuse de patinage, il renoue avec le hockey et perce la formation de Laval-Bourassa dans la Ligue midget AAA du Québec. Il est ensuite promu à la LHJMQ, où des blessures et des statistiques décevantes mettent fin à ses espoirs d’un jour accéder à la LNH.
Qu’à cela ne tienne, il traverse l’Atlantique et amorce une carrière qui le mène en France, au Kazakhstan, en Lettonie, en Slovaquie, en Pologne et en Ukraine. Il évoluait d’ailleurs pour le HC Marioupol, au cours de l’hiver 2022, lorsque la Russie a amorcé l’invasion du pays. La Presse a alors raconté son invraisemblable traversée jusqu’à la frontière polonaise, aventure dont il a bien cru ne pas sortir vivant.
D’un trait
C’est d’ailleurs cet épisode qui conclut la plaquette de moins de 200 pages, qui se lit d’un trait. Sherbatov et Anna Rosner ont convenu que ce livre serait destiné aux jeunes adultes. À la lecture, on devine en effet qu’il pourra autant plaire à des adolescents qu’aux férus de biographies sportives.
Le hockeyeur décrit ce choix comme un « match parfait », qui lui tenait à cœur puisque sa mère, ses frères et lui travaillent depuis des années avec de jeunes athlètes.
Sherbatov a aujourd’hui posé ses valises. Le traumatisme qu’il a vécu en Ukraine lui donne une perspective différente sur son parcours, dit-il. « Toute ma vie, quand j’affrontais un obstacle, c’était go-go-go, on rentre dedans, on passe au travers et c’est tout. Mes parents ont tout bâti de zéro, je ne pouvais pas me permettre de me plaindre. Mais depuis l’Ukraine, j’accepte la générosité, la compassion. J’apprends à être fier de moi. »
C’est justement ce sentiment, la fierté, qui l’habite en relisant sa propre vie. Il se demande si des écoles accepteraient d’en faire un outil pédagogique. Il espère, humblement, que « le livre marche ».
À la base d’un récit réussi, il y a forcément une bonne histoire. Et à ce compte, Eliezer Sherbatov peut déjà dire mission accomplie.
Sherbatov, le garçon qui voulait jouer au hockey – Anna Rosner (traduit de l’anglais par André Gagnon) – Hurtubise – 172 pages