Reconnaissant avoir «giflé» son épouse, Quatennens a annoncé son retrait de ses fonctions à LFI. La réaction de Mélenchon, minorant les faits, suscite un malaise dans le parti et au sein du reste de l’alliance de gauche.
Il aura fallu cinq jours à La France insoumise (LFI). Cinq jours pour réagir aux révélations du Canard enchaîné sur la main courante pour violences déposée par Céline Quatennens visant son époux, le député LFI du Nord Adrien Quatennens. Etouffer l’affaire ou en tirer les conséquences… Pendant ces cinq jours, les deux options sont restées sur la table, pour aboutir, dimanche 18 septembre, à un communiqué du député. Dans ce long texte, il annonce se mettre en retrait de ses fonctions à la tête du mouvement et entreprend de dire « les faits qui peuvent [lui] être reprochés ».
M. Quatennens fait le récit de sa vie conjugale, jusqu’aux dernières vacances passées avec son épouse, avant qu’elle ne lui signifie son souhait de divorcer. Il affirme que lors de plusieurs disputes il lui a « saisi le poignet », lui a « pris son portable », en précisant qu’en voulant le récupérer « elle s’est cogné le coude ». « Dans ce contexte d’annonce de séparation, j’ai envoyé de trop nombreux messages (…) pour la convaincre que nos difficultés de couple pouvaient être dépassées », écrit-il. Avant d’avouer : « Dans un contexte d’extrême tension et d’agressivité mutuelle, j’ai donné une gifle. » Ces faits de violences, le député âgé de 32 ans assure vouloir en tirer les « conséquences politiques ». « Je me mets en retrait de ma fonction de coordinateur de La France insoumise », annonce-t-il, en conclusion.
Depuis les révélations du Canard, le 13 septembre, il a enchaîné les entrevues avec des cadres de LFI. Manuel Bompard et Mathilde Panot se sont entretenus avec lui à plusieurs reprises. D’autres, à titre informel, l’ont fait également pour lui dire qu’il était « inévitable » de se mettre en retrait. Avant Adrien Quatennens, le retrait de l’investiture de Taha Bouhafs aux législatives s’était fait dans une totale opacité – son retrait avait d’abord été présenté comme une décision personnelle, liée au racisme dont il aurait été victime pendant la campagne, alors qu’il était accusé de violences sexuelles. Les accusations de harcèlement sexuel visant le député de Seine-Saint-Denis Eric Coquerel ont, quant à elles, été balayées en interne.
« A des années-lumière de #metoo »
La révélation de la main courante pour de potentielles violences conjugales visant M. Quatennens a d’abord provoqué un effet de sidération parmi les « insoumis ». Certains souhaitaient que l’affaire en reste là, d’autres sentaient la situation intenable pour une famille politique qui se veut en pointe sur la défense de la cause des femmes. Ces deux lignes étaient encore visibles, dimanche, dans cette journée de crise pour LFI, qui voit l’étoile de l’un de ses plus prometteurs députés pâlir. Adrien Quatennens, auteur du livre Génération Mélenchon (Seuil, 2021), avait mis ses pas dans ceux du chef de file du parti, Jean-Luc Mélenchon. Et, s’il avait un jour fallu lui succéder, il était prêt, sur une ligne légitimiste, sans avoir jamais fait défaut au candidat à la présidentielle.
Juste après la publication du communiqué de M. Quatennens, Jean-Luc Mélenchon a parlé le premier. Dans un tweet, il a lancé : « La malveillance policière, le voyeurisme médiatique, les réseaux sociaux se sont invités dans le divorce conflictuel d’Adrien et Céline Quatennens. Adrien décide de tout prendre sur lui. Je salue sa dignité et son courage. Je lui dis ma confiance et mon affection. » Un message qui a fait bondir les féministes de tout bord, y compris à LFI, où une cadre le jugeait, dimanche, « catastrophique ». Mais d’autres élus « insoumis » lui ont emboîté le pas et ont salué M. Quatennens pour sa décision. La députée de Paris Sophia Chikirou, notamment : « Il y a le couple d’amis qu’on aime et qu’on déteste voir se déchirer. Il y a le dirigeant politique, Adrien Quatennens, qu’on admire pour son honnêteté et son abnégation. Laissez-les tranquilles maintenant ! »
Parmi les alliés de LFI, membres de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes), le message de Jean-Luc Mélenchon passe mal. « La première prise de parole du leader de la gauche en France, après un communiqué d’un député qui reconnaît des violences, ça ne peut pas être de saluer l’auteur des violences. Jean-Luc Mélenchon se targue d’être connecté à la société, là, il est très loin, à des années-lumière de #metoo », estime la militante féministe Caroline De Haas. Hélène Bidard, responsable nationale de la commission féministe du Parti communiste français, juge la séquence d’une « grande tristesse ». « Il n’y a toujours pas de prise de conscience des politiques, le premier réflexe reste l’inversion de la culpabilité, de la responsabilité. Jean-Luc Mélenchon, sa parole compte, elle a valeur d’exemple. Pour les victimes, c’est la double peine », se désole-t-elle.
Côté écologiste, la conseillère régionale Europe Ecologie-Les Verts des Hauts-de-France Marine Tondelier regrette, à son tour, la réaction du chef de file de LFI. « Son premier tweet est affligeant, il n’a pas un seul mot pour la victime. Celui qui se veut le porte-parole naturel de la gauche devrait être précurseur sur ces sujets. Il montre qu’il ne comprend pas. »
Le communiqué succinct de LFI
Face à l’ampleur des réactions outrées, M. Mélenchon, sans se dédire, a tweeté un message aux airs de rétropédalage : « Céline et Adrien sont tous deux mes amis. Mon affection pour lui ne veut pas dire que je suis indifférent à Céline. Elle ne souhaitait pas être citée. Mais je le dis : une gifle est inacceptable dans tous les cas. Adrien l’assume. C’est bien. » Mais l’essentiel a été dit. Jean-Luc Mélenchon, qui comptait Adrien Quatennens comme l’un de ses fils spirituels en politique, et pas le moins doué, aurait préféré que le sujet ne fasse pas de bruit. Dans un post de blog publié le même jour, il regrette d’ailleurs que le « divorce de camarades » figure parmi les « grands sujets du moment ».
Au mouvement, entre ceux qui freinent et ceux qui veulent assumer la mise en retrait du député comme un signal politique envoyé aux femmes, les choses avancent peu à peu. Dimanche après-midi, LFI publie un communiqué succinct. Sa brièveté dit toute la difficulté qu’il y a eue à l’écrire : « Cette décision, que nous saluons, a été prise en concertation avec les instances du mouvement et sera suivie des dispositions nécessaires à la bonne animation de notre mouvement. En tout état de cause, La France insoumise réitère son engagement sans failles dans la lutte contre les violences faites aux femmes », peut-on lire.
Avant même dimanche, on pouvait commencer à compter les personnalités qui ne cachaient pas leur impatience de voir LFI s’emparer de l’affaire. Plutôt que de la mettre sous l’éteignoir, une fois de plus. Quelques jours auparavant, la députée écologiste de Paris Sandrine Rousseau expliquait au Monde qu’une mise en retrait de M. Quatennens de toutes ses fonctions valait mieux, le temps de l’enquête. Au Parti socialiste, le premier secrétaire, Olivier Faure, a abordé le sujet sans ambages, samedi, depuis la Fête de la Rose, à Frangy-en-Bresse (Saône-et-Loire). Adrien Quatennens devrait se mettre en retrait de ses fonctions à LFI, a-t-il dit à la presse.
C’est chose faite. Mais le sujet de la gestion des affaires de harcèlement et violences par LFI et les partis politiques en général est loin d’être clos. D’ailleurs, jeudi 22 septembre, lors de leur première journée parlementaire, les députés LFI ont un après-midi obligatoire, avec au programme deux heures de formation à la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.
Lire également les trois excellents articles de libération, ça fait du bien de se délecter sur les cafouillages de nos bon amis de LFI……