Il a offert son premier rôle au théâtre à James Dean, révélé Samuel Beckett au public américain et enseigné à plusieurs générations d’acteurs: à Deauville, un documentaire sort de l’ombre la vie du metteur en scène d’avant-garde Jack Garfein, rescapé de la Shoah.
Intitulé « The Wild One« , ce film, présenté samedi dans la section « Les docs de l’Oncle Sam » du festival de cinéma américain, veut corriger une injustice: la mise au ban de l’histoire de ce réalisateur et professeur d’art dramatique décédé fin 2019. Cet homme, c’est Jack Garfein.
Si le nom résonne auprès des cinéphiles, la Cinémathèque française lui avait rendu hommage en 1984, tout comme le festival américain Telluride Film Festival en 2012, il n’est du reste pas connu du grand public.
Né à Bardejov, en Tchécoslovaquie, il y connut de la montée du Nazisme. Jack Garfein est déporté à Auschwitz à l’âge de treize ans, et survit à onze camps de concentrations. En 1946, jeune adolescent orphelin, il fait partie du premier groupe des survivants de la Shoah à immigrer aux États-Unis; où il obtiendra en 1952 la nationalité américaine.
La-bas, il prend des cours de comédie avec le metteur en scène allemand Erwin Piscator. Repéré par Lee Strasberg, il est invité à rejoindre l’Actors Studio, un atelier d’acteurs d’où sont sortis Marlon Brando, Leonardo Di Caprio ou Robert de Niro. C’est en 1953, lorsqu’il monte à Broadway la pièce « End as a Man » qui décrit l’univers concentrationnaire d’une école militaire américaine, que sa carrière est lancée. Il la portera au cinéma en 1957 sous le titre « Demain ce seront des hommes ».
« Révolutionnaire »
Car même la réalisatrice ne savait pas grand-chose avant de le rencontrer en 2015 à Paris, où il enseignait à de nombreux acteurs. « C’est là que j’ai réalisé que j’étais face à quelqu’un d’extraordinaire et qu’il fallait que j’en fasse un film », dit à l’AFP celle qui s’est fait connaitre grâce à son documentaire sur Leos Carax, « Mr. X » (2014).
La réalisatrice pressent qu’elle doit agir vite et recueillir sa parole. Une interview fleuve de plus de six heures est enregistrée. De cet entretien, ainsi que des recherches de Tessa Louise-Salomé, se dégage une chose: un homme en décalage avec son époque et, surtout, avec l’industrie hollywoodienne.
« Il me disait: Tu dis pas à un survivant de la Shoah de pas mettre des Noirs dans son film, c’est pas possible », rapporte-t-elle. Si son premier film est contesté, son deuxième film, « Au bout de la nuit » (1961), achèvera sa mise à l’écart par Hollywood: viol, suicide… Jack Garfein est à des années-lumière des sujets de l’industrie du « Make believe ».
Pas de quoi le décourager. Il fait alors son retour au théâtre et se lance dans la création d’un « Actors Studio » à Hollywood. Objectif ? Former les stars de demain. « C’était pas innocent comme action parce que la méthode de « l’Actors Studio » est une méthode de l’underground, très pointue et, tout d’un coup, il l’a mise à l’écran. C’était un peu révolutionnaire », explique Tessa Louise-Salomé.
Outre son esthétisme et son exhaustivité (interviews, matériel historique, séquences de film…), la force du documentaire réside dans sa narration. En juxtaposant le récit de son enfance, percutée par l’Holocauste , et celui de ses années dans le milieu de la mise en scène, la réalisatrice affirme que son expérience dans les camps de la mort a profondément marqué et influencé son génie créatif.
D’ailleurs, Jack Garfein, décédé durant le tournage du film, confiera que son rapport à l’art et à la comédie sont précisément ce qui lui a permis de survivre.